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A la recherche de Marcel Proust

Justice au singulier - philippe.bilger, 13/07/2012

Michel Erman a réussi le tour de force, avec une économie de moyens remarquable, sans vanité ni affectation mais avec une lucidité chaleureuse, de nous persuader que Proust est un maître mais aussi un frère. Partir à la recherche de Marcel Proust, c'est nous retrouver.

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Un soir, dans des embouteillages, au moment où l'exaspération devant l'incompréhension de ces gens qui ne semblaient pas savoir que j'étais pressé était à son comble, j'ai entendu qu'une émission sur Marcel Proust allait être diffusée sur France Inter avec plusieurs invités dont Nina Companeez et Eric-Emmanuel Schmitt.
La révélation n'est pas venue d'eux mais d'un philosophe et professeur de linguistique à l'université de Bourgogne, Michel Erman, dont je n'avais jamais entendu parler et qui m'a tout de suite tellement passionné par sa manière simple et familière d'évoquer Marcel Proust et son oeuvre que le lendemain, toutes affaires cessantes, je suis allé acheter la biographie qu'il lui avait consacrée chez Fayard.
Je n'ai pas été déçu.
Parce que, sans m'attendre au pire puisque j'avais déjà un pressentiment favorable, je craignais que comme dans tant d'ouvrages traitant de la Recherche et de son auteur, le savoir scientifique, érudit, la révérence excessive, la fascination pour la complexité et la psychologie proustiennes, la posture presque obligatoire d'exégète plus que de biographe, un certain esprit de sérieux se croyant nécessaire pour être à la hauteur de ce monument de notre littérature viennent délibérément altérer l'infinie curiosité du lecteur à l'égard de l'humanité de cet être exceptionnel, la pure joie de lire, demain, les chefs d'oeuvre trop analysés, disséqués, broyés et momifiés avant.
Michel Erman n'est pas tombé dans le travers du respect excessif, inconditionnel. Il n'a pas fait seulement de Proust l'idole qui, à cause de certaines étrangetés de sa vie, semblait échapper à notre condition humaine - une sorte d'être singulier contraignant sans cesse autrui à osciller entre l'admiration éperdue ou la dérision sotte, un zombie des nuits venant à l'hôtel Ritz quêter un peu de fraternité, de chaleur et de tendresse avant la fin, avant sa mort, sans avoir eu le temps de terminer le Temps retrouvé.
Ce qui, chez Michel Erman, tranche avec le regard de tous les spécialistes qui se seraient senti déshonorés s'ils avaient si peu que ce soit rendu Proust accessible tient au contraire à sa volonté de le constituer comme proche, de le montrer de plain-pied dans la communauté humaine. Sans que l'aval de la Recherche fasse oublier l'amont de l'histoire qui l'a permise et inspirée. Sans que la formation et l'existence de Proust fassent de l'ombre à ce qui, au fil de neuf années, s'est construit et élaboré comme une cathédrale - une oeuvre qui, pour beaucoup dont moi, a représenté une bienfaisante fracture dans le cours d'une destinée tout à coup éclairée par une lumière décisive.
On devine, dans cette belle biographie, une infinité de bonheurs d'expression - le dernier chapitre en particulier, dans sa sobriété et son émotion, en regorge - mais aussi le souci de l'auteur de demeurer dans la droite ligne d'un récit ordinaire, au sens le plus noble de ce terme, avec un style ni enflé ni pompeux mais juste, simple et sans les fioritures avec lesquelles les imitateurs imparfaits de Proust dégradent ce qu'ils écrivent. On ne ressemble pas à Proust, on le sert modestement comme on peut.
Michel Erman connaît trop bien, et dans ses profondeurs, l'oeuvre, il perçoit avec trop d'intuition et d'empathie la personne de Proust pour même éprouver la tentation d'une usurpation. Sa seule obsession, au long de ces pages : nous confronter à un Proust au visage humain, un proche, un génie, un homme, un exemple. Il parvient à réconcilier ces appréciations contradictoires de Proust affirmant aimer Balzac à cause de ses défauts et Tolstoï grâce à ses qualités, pour lui le premier étant un frère et le second un maître.
Michel Erman, en effet, a réussi le tour de force, avec une économie de moyens remarquable, sans vanité ni affectation mais avec une lucidité chaleureuse, de nous persuader que Proust est un maître mais aussi un frère.
Partir à la recherche de Marcel Proust, c'est nous retrouver.


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