Marine Le Pen donne le mauvais exemple...
Justice au Singulier - philippe.bilger, 12/11/2015
La présidente du Front national (FN) suspecté d'abus de biens sociaux et de complicité d'escroquerie, notamment pour le financement de la campagne des élections législatives en 2012, a refusé à deux reprises de se rendre devant des magistrats instructeurs qui avaient l'intention de la placer sous le statut de témoin assisté (Le Monde, Le Figaro).
Le 13 octobre comme le 9 novembre, elle a allegué qu'ayant déposé une requête en suspicion légitime, il lui paraissait normal d'attendre que la Cour de cassation ait statué, avant de répondre à la sollicitation judiciaire.
Par ailleurs, en raison de la campagne des élections régionales, elle invoquait un emploi du temps surchargé et soupçonnait une manoeuvre et des pressions du Premier ministre et de la garde des Sceaux pour expliquer une convocation renouvelée si proche de l'échéance du premier tour des régionales.
La surcharge de son emploi du temps est à l'évidence incontestable mais sa capacité d'organisation lui aurait permis de distraire un moment, le 13 octobre ou le 9 novembre, pour se rendre dans le cabinet des juges.
Le reste de ses justifications ne me semble pas recevable et, pour tout dire, regrettable.
Marine Le Pen s'inscrit en effet, par son double refus, dans un mouvement qui n'est pas à l'honneur de ceux qui, ces derniers temps, ont pris le pli de tancer et d'insulter les juges - ce n'est pas son cas - ou de considérer que les injonctions de la justice étaient relatives et pouvaient être laissées à la discrétion de chacun.
Je songe en particulier à Henri Guaino et à cette droite radicale médiatique qui approuve l'inadmissible et fait le lit de ce qu'il y a de pire en démocratie : la contestation, permanente et trop souvent fondée sur l'ignorance, des institutions et en l'occurrence de la judiciaire. Il est paradoxal que la présidente du FN puisse apparemment camper sur ce registre.
Mais, pour elle, il me semble que l'enjeu est plus grave.
Alors que Aymeric Chauprade qui a quitté le FN avait été vivement critiqué par Marine Le Pen n'ayant pas apprécié sa participation à cette honteuse équipée dominicaine qui a permis l'évasion de deux pilotes placés sous contrôle judiciaire, il est surprenant de relever que la présidente du FN, pour la France, n'est elle-même pas impeccable dans son comportement civique.
Réclamer à juste titre une politique pénale cohérente, dénoncer la calamité politique, le cynisme du pouvoir et le mépris du peuple se rapportant à l'action erratique de Christiane Taubira et au maintien de celle-ci dans ses fonctions, exiger une exécution des peines efficace et globalement un état de droit qui s'honorerait de sa fermeté - autant de dénonciations et de propositions qui évidemment seront discutées, voire contredites, même si elles sont approuvées, dans le fond, par la majorité de LR ; mais qui imposent une normalité personnelle, une cohérence intime et une banalité de bon aloi. Ne pas se distinguer pour le pire quand la règle est limpide !
On ne peut pas en gros afficher le souci d'une justice digne de ce nom qui ferait exécuter les sanctions qu'elle prononce, respecter ses commandements mais dans le détail faire l'inverse. S'exonérer, soi, d'une responsabilité et d'un devoir que la communauté nationale, elle, dans son rapport avec les magistrats, ne devrait jamais éluder ni négliger, est choquant, peu républicain.
En ayant adopté et répété sa démarche d'abstention, Marine Le Pen cultive un rapport de force qui ne lui déplaît pas. Autant elle a eu raison de l'imposer récemment sur le plan médiatique, autant, pour cette occurrence judiciaire, elle fait gravement fausse route. Elle aurait dû s'inspirer plus de Nicolas Sarkozy que d'Henri Guaino. On peut reprocher beaucoup à l'ex-président qui ne s'est jamais privé après de pourfendre : mais avant il y allait et c'était bien de sa part !
On intente suffisamment de procès au FN, nécessaires ou absurdes, pour que sa présidente ne donne pas en plus le mauvais exemple de son inconduite aux citoyens qui ne comprendront pas, au pouvoir qui s'en réjouira et à la démocratie que le laxisme et la volatilité des principes ne cessent d'affecter au quotidien.