Cour d'appel de Grenoble, arrêt n° 06-02175 du 8 octobre 2007
- wikisource:fr, 9/02/2010
8 octobre 2007
Sommaire |
Visas
Appelant :
Monsieur Frédéric X… G… H…
Comparant et assisté de Me Djamila Y… (avocat au barreau de VALENCE)
Intimée :
L’Association Salon Vacances Loisirs prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège 69 rue des Alliés Au-dessus de l’Ecole David 13300 SALON DE PROVENCE
Représentée par Madame VERDUMO (Présidente) assistée de Me Alan Z… (avocat au barreau d’AIX EN PROVENCE)
Composition de la cour :
Lors du delibéré :
Monsieur Jean-François GALLICE, Conseiller, faisant fonction de Président, Monsieur Eric SEGUY, Conseiller, Madame Hélène COMBES, Conseiller,
Débats :
A l’audience publique du 17 Septembre 2007, Monsieur GALLICE, chargé du rapport, en présence de Madame COMBES, assistés de Mme LEICKNER, Greffier, a entendu les parties en leurs conclusions et plaidoiries, conformément aux dispositions de l’article 945-1 du Nouveau Code de Procédure Civile, les parties ne s’y étant pas opposées ;
Puis l’affaire a été mise en délibéré au 08 Octobre 2007, délibéré au cours duquel il a été rendu compte des débats à la Cour.
L’arrêt a été rendu le 08 Octobre 2007. Notifié le :
Grosse délivrée le : RG No 06 / 2175 HC
Exposé du litige
L’association des colonies de vacances et œuvres de plein air de la ville de Salon de Provence (devenue l’association Salon Vacances Loisirs), gère un centre de vacances à Lus-la-Croix-Haute.
Par contrat à durée déterminée du 10 janvier 1989, elle a embauché Frédéric X… en qualité d’agent d’entretien, gardien de l’établissement et chauffeur pour une durée de trois mois à compter du 11 janvier.
Le contrat a été renouvelé pour un an à compter du 11 avril 1989, puis s’est poursuivi sous le régime d’un contrat à durée indéterminée.
Au mois de juin 2001, Alain A… est devenu directeur de l’établissement de Lus-la-Croix-Haute.
Frédéric X… a été en arrêt de travail du 21 août 2003 au 27 novembre 2003 puis à compter du 10 mai 2004.
A l’issue de la première visite de reprise qui s’est déroulée le 6 octobre 2004, le médecin du travail a indiqué : « Inapte temporaire à son poste. On s’oriente vers une inaptitude définitive. À revoir le 25 / 10 / 2004. »
Le 25 octobre 2004, à l’issue de la seconde visite de reprise il a conclu en ces termes : « Inapte médicalement et définitivement à tous postes à Lus-la-Croix-Haute. Serait apte à un poste sans contact avec son directeur actuel ».
Le 21 mars 2005, l’association Salon Vacances Loisirs a proposé à Frédéric X… de le reclasser sur un poste d’employé d’entretien au centre de la Bastide Haute à Salon de Provence, poste qu’il a refusé le 2 avril 2005.
L’association Salon Vacances Loisirs l’a licencié pour inaptitude professionnelle par courrier du 9 mai 2005.:
Frédéric X… a contesté son licenciement devant le conseil de Prud’hommes de Valence qui par jugement du 11 mai 2006 l’a débouté de toutes ses demandes.
Il a relevé appel le 19 mai 2006.
Frédéric X… demande à la Cour de réformer le jugement, de dire que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse sur le fondement de l’article L 122-24-4 du code du travail et de condamner l’association Salon Vacances Loisirs à lui payer la somme de 32000 euros sur le fondement de l’article L. 122-14-4 du code du travail.
Il demande également à la Cour de juger que l’employeur est responsable de la détérioration de ses conditions de travail dû au harcèlement moral dont il a été victime et de dire que cette détérioration est à l’origine directe de son inaptitude et de la rupture.
Il réclame en conséquence 32 000 euros en réparation de son préjudice moral et 3 000 euros au titre des frais irrépétibles.
Sur le licenciement il fait valoir que la lettre de licenciement est insuffisamment motivée en ce qu’elle ne mentionne pas que la rupture repose sur l’impossibilité de le reclasser et en ce qu’elle ne précise pas les recherches effectuées pour tenter de le reclasser.
Il souligne que loin d’envisager la mutation d’Alain A…, l’association lui a fait une proposition qui emportait modification de son contrat de travail.
S’agissant du harcèlement moral dont il estime avoir été victime, harcèlement à l’origine de son inaptitude, il expose que dans le courant de l’année 2003, il s’est plaint auprès de la direction de l’association d’être l’objet de réflexions humiliantes de la part d’Alain A… et que son arrêt maladie du 20 août 2003 fait suite à une altercation particulièrement violente avec ce dernier.
Il expose que caractérisent des actes de harcèlement moral :
- le fait de lui avoir imposé une journée de travail, le 20 août 2003 alors qu’un congé lui avait été accordé
- une dégradation de ses conditions de travail (rappel humiliant de consignes, discorde semée par le directeur entre lui-même et son subordonné Fabien B…)
- l’absence de dialogue avec le directeur et les pressions psychologiques qu’il exerçait.
Il fait valoir que la situation a été dénoncée très tôt et à maintes reprises à la présidence de l’association, laquelle n’a rien fait pour la faire cesser ;
que le médecin du travail est intervenu ainsi que des responsables syndicaux et d’anciens employés qui témoignent en sa faveur.
Sur son préjudice, il indique qu’âgé de 51 ans et chargé de famille, il n’a retrouvé un emploi en contrat à durée indéterminée qu’au mois de janvier 2006.
L’association l’association Salon Vacances Loisirs conclut à la confirmation du jugement, au rejet de toutes les demandes de Frédéric X… et réclame 2 000 euros au titre des frais irrépétibles.
Elle réplique qu’il ne convient pas de s’arrêter à la forme de la lettre de rupture, que ce n’est pas le refus du reclassement en soi qui est visé, mais le refus de la seule solution de reclassement possible, rendant tout reclassement impossible dans une association employant neuf permanents dont quatre à Lus-la-Croix-Haute.
Sur le fond, elle soutient que du 1er juin 2001, date de l’arrivée d’Alain A… à la direction du centre au mois d’août 2003, il n’y a eu aucun problème entre Alain A…, fonctionnaire territorial mis à disposition de l’association, et Frédéric X… ;
que la situation s’est dégradée lorsque le 20 août 2003 il a été demandé à Frédéric X… d’être présent au centre de vacances le 25 août pour assurer un transfert alors qu’il avait posé un jour de congé.
Elle invoque la colère de Frédéric X… qui est même devenu menaçant et qui a été en arrêt maladie dès le 21 août.
Elle souligne que c’est par un courrier du 29 août 2003 que Frédéric X… a pour la première fois invoqué un comportement du directeur s’apparentant à du harcèlement moral.
Elle fait valoir que les faits relatés dans les attestations produites par Frédéric X… n’établissent aucun agissement constitutif de harcèlement moral et conteste la valeur probante des témoignages formulés en termes vagues.
Elle indique qu’elle n’est pas restée sans réaction à la suite des plaintes du salarié et qu’elle a organisé une réunion au mois de novembre 2003 en présence d’un délégué syndical ;
qu’au mois de novembre 2003, le médecin du travail a d’ailleurs estimé que Frédéric X… était apte à la reprise.
Elle soutient encore qu’aucun acte de harcèlement moral n’est établi pendant la courte période de quatre mois (du 5 janvier 2004 au 10 mai 2004) pendant laquelle Frédéric X… a retravaillé.
Discussion
Attendu que pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens des parties, la Cour se réfère à la décision attaquée et aux conclusions déposées et soutenues à l’audience ;
Attendu que Frédéric X… soutient que son inaptitude et par voie de conséquence son licenciement trouvent leur origine dans le harcèlement moral dont il a été victime de la part d’Alain A…, directeur du centre de vacances de Lus-la-Croix-Haute depuis 2001 ;
Attendu qu’il importe dès lors de rechercher si des faits de harcèlement moral sont établis, étant rappelé qu’en application de l’article L 122-49 dernier alinéa du code du travail, la rupture du contrat de travail qui en résulterait serait nulle de plein droit et non simplement dépourvue de cause réelle et sérieuse ;
Attendu que des faits de harcèlement moral supposent des agissements répétés qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte aux droits du salarié et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ;
Attendu que les relations contractuelles se sont déroulées sans problème pendant de nombreuses années, Frédéric X… n’ayant au vu des pièces du dossier, jamais fait l’objet d’aucun reproche sur sa façon de travailler ;
Attendu qu’à la suite d’une altercation avec le directeur du centre le 20 août 2003, Frédéric X… s’est pour la première fois par écrit, plaint dans un courrier du 29 août 2003 du comportement à son égard d’Alain A…, indiquant en conclusion que ce comportement « ressemble à une forme de harcèlement moral. » ;
Attendu que les griefs que Frédéric X… fait à Alain A… concernent tant l’organisation de son travail (non-respect des plannings, non communication des plannings, non fixation des congés annuels…) que son comportement à son égard ;
que sur ce point il indique notamment que certains jours le directeur l’ignore complètement, communique au moyen d’un tableau, ne lui donne aucune instruction alors qu’il donne du travail à un emploi-jeune, exerce une pression destinée à lui faire quitter son travail ;
Attendu que dans la réponse qu’elle a apportée à Frédéric X… le 13 septembre 2003, la présidente de l’association Salon Vacances Loisirs, tout en appelant au dialogue, a admis le bien fondé de certains griefs, puisqu’elle a écrit : « Nous faisons de notre côté nos remarques personnelles à Monsieur A… concernant l’organisation de vos tâches. » ;
Attendu que bien que dans certaines des attestations que le salarié produit aux débats, les témoins s’expriment uniquement sur leur expérience personnelle, ils n’en évoquent pas moins des traits de caractère ou un comportement d’Alain A… en adéquation avec les attitudes dénoncées par Frédéric X… dans son courrier du 29 août 2003 ;
que c’est ainsi que Véronique C… fait état du non-respect de ses plannings par Alain A…, de son ton blessant, de l’absence de communication et de sa volonté de diviser l’équipe ;
que Simon D… évoque une pression continuelle, des reproches incessants, des ordres et des contre-ordres, sa mise à l’écart et la division des employés ;
que Fabien B…, emploi-jeune travaillant sous la responsabilité de Frédéric X…, indique qu’Alain A… lui donnait ses ordres lui-même, ce qui a eu pour effet de diviser l’équipe et de détériorer ses relations avec Frédéric X… ;
qu’il atteste de l’absence de dialogue entre Frédéric Marquis et Alain A…, ce dernier communiquant par l’intermédiaire d’un tableau ;
Attendu que l’ensemble de ces éléments permet de retenir que Frédéric X… a été victime de la part d’Alain A… d’agissements répétés de harcèlement moral caractérisés par sa mise à l’écart et le mépris dont il était l’objet ;
que ces agissements ont atteint un point de non-retour lorsqu’il a été demandé le 20 août 2003 à Frédéric X… d’effectuer un transport pendant sa journée de congé du 25 août 2003 ;
Attendu que la longueur du premier arrêt de travail (21 août-27 novembre 2003) témoigne de la dégradation de son état de santé ;
que le docteur E… médecin généraliste qui a prescrit l’arrêt de travail indique que le 20 août 2003, Frédéric X… s’est présenté « dans un état pitoyable : en pleurs, ce qui chez un homme très calme habituellement était étonnant. » ;
que le médecin du travail qui l’a examiné le 15 septembre 2003 l’a adressé à un confrère psychiatre en indiquant : « Je le trouve très dépressif, pleurant même devant moi. Le tableau qu’il décrit me semble relever du harcèlement moral et me rappelle le cas d’une de ses collègues ayant également été victime de harcèlement par le même directeur il y a un an et demi et pour laquelle je vous avais également consulté. » ;
Attendu que le 15 octobre 2003, le docteur F…, psychiatre consultant, écrivait au médecin du travail en évoquant l’état de santé de Frédéric X… : « Il présente en effet le tableau classique du trouble anxieux généralisé provoqué que l’on rencontre chez les personnes qui se plaignent d’être victime d’un harcèlement moral au travail. En effet malgré un arrêt de travail déjà prolongé, il présente d’abord convenablement avec une certaine retenue et puis dès qu’il évoque ses difficultés professionnelles, les larmes lui montent au yeux et il ne peut contenir quelques sanglots….. Bien sûr, c’est un homme qui jusqu’alors n’avait aucun antécédent, qui paraissait plutôt solide et bien organisé dans sa vie. » ;
Attendu qu’il convient de retenir que les agissements de harcèlement moral sont à l’origine du premier arrêt de travail de Frédéric X… ;
Attendu qu’après une reprise au mois de janvier 2004, Frédéric X… a de nouveau été arrêté le 10 mai 2004 pour ne plus reprendre son travail ;
que dans un courrier du 30 août 2004, il a indiqué à la présidente de l’association que les problèmes de nouveau apparus au mois de janvier 2004 se sont aggravés ;
qu’une fois de plus la direction de l’association ne les a pas niés puisqu’elle a indiqué dans un courrier du 10 septembre 2004 : « M.A… sera également informé des différents malaises qui surviennent à la suite de ses directives et il agira, nous pensons, en conséquence. » ;
Attendu que l’avis d’inaptitude du médecin du travail n’est que la conséquence de cette situation de harcèlement, le médecin ayant précisé que Frédéric X… serait apte à un poste sans contact avec son directeur actuel ;
Attendu qu’il résulte de tout ce qui précède que le licenciement de Frédéric X… pour inaptitude a pour origine le harcèlement moral dont il a été victime de la part d’Alain A…, ce qui entraîne sa nullité ;
Attendu que compte tenu de l’ancienneté de Frédéric X…, la rupture du contrat de travail dans les conditions ci-dessus analysées lui a causé un préjudice qui sera réparé par la somme de 25 000 euros ;
Attendu qu’il lui sera alloué la somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Statuant publiquement, contradictoirement, après en avoir délibéré conformément à la loi,
- Infirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 11 mai 2006 par le conseil de Prud’hommes de Valence.
- Statuant à nouveau, dit que le licenciement de Frédéric X… est nul en application de l’article L 122-49 du code du travail.
- Condamne l’association Salon Vacances Loisirs à payer à Frédéric X… la somme de 25 000 euros à titre de dommages-intérêts de ce chef et celle de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles.
- Condamne l’association Salon Vacances Loisirs aux dépens de première instance et d’appel.
Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du nouveau code de procédure civile.
Signé par Monsieur GALLICE, président, et par Madame LEICKNER, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire