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Conseil d’État - 297301

- wikisource:fr, 29/10/2007


Conseil d’État
26 octobre 2007


2ème/7ème SSR - ADVOCNAR - 297301


M. Frédéric Lenica, commissaire du gouvernement



Sommaire

Visas

Vu la requête, enregistrée le 11 septembre 2006 au secrétariat du contentieux du Conseil d’État, présentée pour l’Association de défense contre les nuisances aériennes (ADVOCNAR), dont le siège est B.P. 90054 à Saint-Gratien (95211) ; l’Association de défense contre les nuisances aériennes demande au Conseil d’État :

  1. d’annuler la décision implicite de rejet résultant du silence conservé par le ministre des transports, de l’équipement, du tourisme et de la mer, sur la demande adressée par l’Association de défense contre les nuisances aériennes tendant, d’une part, à l’adoption d’un arrêté ministériel interdisant tout décollage et tout atterrissage d’aéronef sur l’aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle entre 22 h 30 et 6 h 00 et, d’autre part, à la reconnaissance de la carence fautive de l’État et en conséquence à l’indemnisation de l’Association de défense contre les nuisances aériennes ;
  2. de condamner l’État à réparer le préjudice moral que l’Association de défense contre les nuisances aériennes a subi en lui versant une somme de 737 766 391 euros de dommages et intérêts ;
  3. d’enjoindre à l’État de prendre un arrêté ministériel interdisant tout décollage et tout atterrissage d’aéronefs sur l’aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle entre 22 h 30 et 6 h 00, dans un délai de trois mois à compter de la décision à intervenir ;
  4. de mettre à la charge de l’État la somme de 15 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ; la Constitution du 4 octobre 1958, ainsi que le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 et la Charte de l’environnement de 2004, auxquels se réfère son préambule ; la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée le 4 novembre 1950 ; la directive 2002/30/CE du 26 mars 2002 du Parlement et du Conseil ; le code de l’aviation civile ; le code de l’environnement ; le code de justice administrative ;

Motifs

Considérant que, par une décision implicite en date du 12 juillet 2006, le ministre des transports, de l’équipement, du tourisme et de la mer a refusé de prendre une mesure d’interdiction de tout décollage ou tout atterrissage d’aéronef sur l’aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle entre 22 h 30 et 6 h 00 ; que l’Association de défense contre les nuisances aériennes demande l’annulation de cette décision ainsi que la réparation du préjudice résultant de cette décision ;

Sur les conclusions à fin d’annulation de la décision attaquée :

Sur les moyens tirés de la méconnaissance du Préambule de la Constitution de 1946, de la Charte de l’environnement et du code de l’environnement

Considérant que les moyens tirés de ce que la décision attaquée serait contraire aux articles 1er et 5 de la Charte de l’environnement, aux articles L. 571-1 et suivants et L. 220-1 du code de l’environnement et au 11ème alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, ne sont pas, en tout état de cause, assortis de précisions suffisantes pour en apprécier le bien-fondé ;

Sur le moyen tiré de la méconnaissance du Plan national santé environnement

Considérant que l’association requérante n’est pas fondée à se prévaloir du plan national santé environnement, dont les recommandations sont dépourvues de valeur normative ;

Sur la méconnaissance du principe d’égalité

Considérant que si le ministre a institué des restrictions en matière de circulation aérienne nocturne différentes sur l’aérodrome de Roissy-Charles-de-Gaulle de celles prévues pour les aérodromes d’Orly ou d’autres aérodromes internationaux tels Bâle-Mulhouse, les mesures adoptées tiennent compte des spécificités propres à chacun de ces aérodromes, dont l’importance des plates-formes n’est pas comparable ; qu’ainsi, l’Association de défense contre les nuisances aériennes n’est, en tout état de cause, pas fondée à soutenir que la décision attaquée méconnaît le principe d’égalité ;

Sur la méconnaissance des objectifs de la directive 2002/30/CE du Parlement et du Conseil, des obligations en matière de police et de l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales

Considérant que l’article 4 de la directive 2002/30/CE du Parlement et du Conseil prévoit : « 1. Les États membres adoptent une approche équilibrée lorsqu’ils traitent des problèmes liés au bruit dans les aéroports situés sur leur territoire. Ils peuvent également envisager des incitations économiques comme mesure de gestion du bruit. / 2. Lorsqu’elles envisagent d’introduire des restrictions d’exploitation, les autorités compétentes prennent en considération les coûts et avantages que sont susceptibles d’engendrer les différentes mesures applicables, ainsi que les caractéristiques propres à chaque aéroport. / 3. Les mesures ou combinaisons de mesures prises en vertu de la présente directive ne sont pas plus restrictives que ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif environnemental défini pour un aéroport donné (…) » ; que l’article R. 221-3 du code de l’aviation civile dispose : « L’utilisation d’un aérodrome ouvert à la circulation aérienne publique peut, à toute époque, être soumise à certaines restrictions ou temporairement interdite, si les conditions de la circulation aérienne sur l’aérodrome ou dans l’espace aérien environnant, ou des raisons d’ordre public le justifient (…) » ; qu’aux termes de l’article R. 227-8 du même code : « Sans préjudice de l’application des dispositions de l’article R. 221-3, des restrictions d’exploitation au sens (…) de la directive 2002/30/CE du 26 mars 2002 peuvent être imposées par arrêté du ministre chargé de l’aviation civile sur les aérodromes (…) ; Ces restrictions sont établies aérodrome par aérodrome en prenant en compte les caractéristiques propres de l’aérodrome considéré et les effets prévisibles de la réduction à la source du bruit généré par les aéronefs, des mesures d’aménagement du territoire, d’urbanisme et de construction et des procédures de navigation aérienne et de conduite de vol visant à limiter le bruit pour les riverains, ainsi que des coûts et avantages que sont susceptibles d’entraîner, outre les restrictions envisagée, ces différentes mesures » ;

Considérant qu’un objectif environnemental de plafonnement des nuisances sonores globales liées à l’activité de l’aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle a été défini par un arrêté en date du 28 janvier 2003 instituant un indicateur représentatif de l’énergie sonore engendrée par l’activité aérienne de cet aéroport ; qu’il ressort en outre des pièces du dossier que diverses mesures, tenant compte des spécificités de l’aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle et des coûts et avantages des restrictions envisagées, ont été prises tendant à limiter les nuisances sonores aéroportuaires nocturnes pour les riverains, notamment en plafonnant le niveau des nuisances sonores globales diurnes et nocturnes provoquées par l’activité de l’aéroport, en fixant des restrictions d’exploitation pour les aéronefs les plus bruyants et pour les mouvements nocturnes d’aéronefs et en instaurant une taxe sur les nuisances sonores aériennes dont le taux varie selon les horaires ; qu’un plan d’exposition au bruit instaurant des restrictions à l’urbanisation et un plan de gêne sonore tendant à la prise en charge de dépenses d’insonorisation des habitations situées dans son périmètre ont été mis en place afin de maîtriser l’urbanisme autour de l’aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle et de compenser les nuisances sonores supportées par les riverains ; que la circonstance que les périmètres de ces deux plans ne coïncident pas est sans incidence sur la légalité de la décision attaquée ; que, par ailleurs, une interdiction complète des mouvements nocturnes d’aéronefs sur cette plate-forme aurait des conséquences négatives importantes à la fois sur l’activité de l’aéroport et sur l’activité économique nationale, compte tenu notamment de l’importante activité de fret express et des vols intercontinentaux, difficilement transférables sur un autre aérodrome national ; que, dans ces conditions, le ministre, en refusant de prendre un arrêté interdisant tout mouvement d’aéronefs sur la plate-forme aéroportuaire de Roissy-Charles-de-Gaulle entre 22 h 30 et 6 h 00 ne s’est pas abstenu illégalement de faire usage de ses pouvoirs en matière de police de la circulation aérienne ; qu’il n’a pas non plus, pour les mêmes raisons, porté atteinte au bon équilibre entre le droit des personnes au respect de leur vie privée et familiale et les intérêts notamment économiques liés à l’activité nocturne de cet aéroport ; que, par suite, la décision attaquée n’a méconnu ni les stipulations de l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ni l’objectif d’une approche équilibrée de la gestion du bruit pour l’aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle ;

Sur la méconnaissance de l’article R. 227-9 du code de l’aviation civile

Considérant qu’aux termes de cet article : « L’évaluation des caractéristiques d’un aérodrome et des différentes mesures dont il est susceptible de faire l’objet comporte les informations prévues par arrêté du ministre chargé de l’aviation civile portant notamment sur la situation de l’aérodrome, les effets sur l’environnement du transport aérien en l’absence de mesures visant à en limiter les nuisances sonores et la comparaison des mesures envisagées au regard de leurs conséquences économiques et de leur efficacité environnementale (…) » ; que, dès lors qu’aucune mesure de transfert complet de l’activité nocturne de fret de l’aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle vers un autre aéroport n’a été envisagée, l’absence d’évaluation d’une telle mesure est sans incidence sur la légalité de la décision attaquée ; qu’en tout état de cause, il ressort des pièces du dossier qu’une évaluation de l’impact des mesures de limitation ou de réduction des vols de nuit, étudiant notamment les effets d’une mesure de couvre-feu entre zéro heure et cinq heures sur l’aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle et les conséquences d’un transfert des activités de fret sur un autre aéroport, a été effectuée en 2003 ; que l’association requérante n’est, dès lors, pas fondée à soutenir que la décision attaquée a été prise en méconnaissance des dispositions précitées de l’article R. 227-9 du code de l’aviation civile ;

Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que l’Association de défense contre les nuisances aériennes n’est pas fondée à demander l’annulation de la décision implicite par laquelle le ministre des transports, de l’équipement, du tourisme et de la mer a rejeté sa demande tendant à l’adoption d’un arrêté ministériel interdisant tout décollage et tout atterrissage d’aéronef sur l’aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle entre 22 h 30 et 6 h 00 ;

Sur les conclusions aux fins d’indemnisation

Considérant que l’Association de défense contre les nuisances aériennes demande une indemnisation au titre des frais d’insonorisation des 63 257 logements dont les occupants sont victimes des nuisances sonores résultant du trafic aéroportuaire de l’aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle ; que, toutefois, elle ne saurait se substituer aux habitants des logements concernés pour obtenir la réparation des dommages qu’ils subiraient individuellement ; qu’en tout état de cause, ainsi qu’il a été dit ci-dessus, il ne résulte pas de l’instruction que la décision contestée serait entachée d’une illégalité constitutive d’une faute de nature à engager la responsabilité de l’État ; que, par ailleurs, il ne ressort pas non plus des pièces du dossier que les nuisances subies par les habitants du nord-ouest francilien excéderaient les troubles normaux que peuvent être appelés à subir, dans l’intérêt général, les riverains d’un aérodrome, en raison de l’implantation et du fonctionnement normal de l’aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle ; que les conclusions de l’Association de défense contre les nuisances aériennes tendant à la condamnation de l’État à réparer le préjudice que lui aurait causé cette décision ne peuvent, dès lors, qu’être rejetées ;

Sur les conclusions aux fins d’injonction

Considérant que la présente décision, qui rejette les conclusions de l’association requérante, n’appelle aucune mesure d’exécution ; que ses conclusions aux fins d’injonction ne peuvent, par suite, qu’être rejetées ;

Sur les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative

Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de l’État, qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que l’association requérante demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens… (Rejet de la requête.)



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