Conseil d’État - 322243
- wikisource:fr, 26/04/2009
23 avril 2009
Sommaire |
Visas
Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 6 novembre et 8 décembre 2008 au secrétariat du contentieux du Conseil d’État, présentés pour M. Jean-Paul Alduy et autres demandant au Conseil d’État :
- d’annuler le jugement du 7 octobre 2008 par lequel le tribunal administratif de Montpellier a annulé les opérations électorales qui se sont déroulées les 9 et 16 mars 2008 pour l’élection des conseillers municipaux dans la commune de Perpignan, ainsi que l’élection du maire et de ses adjoints lors de la séance du conseil municipal du 21 mars 2008, d’autre part, décidé que lors des élections municipales partielles qui devront intervenir, le bureau de vote n° 4 de la ville de Perpignan sera présidé par une personne désignée par le président du tribunal de grande instance ;
- de mettre à la charge de Mme A., de M. C. et de Mme R. une somme de 8 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;la note en délibéré, enregistrée le 9 avril 2009, présentée pour M. Alduy et autres ;la note en délibéré, enregistrée le 10 avril 2009, présentée pour Mme A. ;le code électoral ;le code de justice administrative ;
Motifs
Considérant que M. Alduy et autres demandent l’annulation du jugement du 7 octobre 2008 par lequel le tribunal administratif de Montpellier a, à la demande de différents candidats, d’une part, annulé les opérations électorales qui se sont déroulées les 9 et 16 mars 2008 pour l’élection des conseillers municipaux dans la commune de Perpignan ainsi que, par voie de conséquence, l’élection du maire et de ses adjoints lors de la séance du conseil municipal du 21 mars 2008, d’autre part, décidé que lors des élections municipales partielles qui devront intervenir, le bureau de vote n° 4 de la ville de Perpignan sera présidé par une personne désignée par le président du tribunal de grande instance ;
Sur les conclusions tendant à ce qu’il soit donné acte du désistement d’office de la requête de M. Alduy et autres :
Considérant qu’aux termes de l’article R. 611-22 du code de justice administrative : « Lorsque la requête ou le recours mentionne l’intention du requérant ou du ministre de présenter un mémoire complémentaire, la production annoncée doit parvenir au secrétariat du contentieux du Conseil d’État dans un délai de trois mois à compter de la date à laquelle la requête a été enregistrée. Si ce délai n’est pas respecté, le requérant ou le ministre est réputé s’être désisté à la date d’expiration de ce délai, même si le mémoire complémentaire a été ultérieurement produit. Le Conseil d’État donne acte de ce désistement » ; qu’en vertu des dispositions de l’article R. 611-23 du même code, « le délai prévu à l’article précédent est d’un mois en matière électorale (…) » ;
Considérant que, dans leur requête enregistrée au secrétariat du contentieux du Conseil d’État le 6 novembre 2008, M. Alduy et autres ont exprimé leur intention de produire un mémoire complémentaire ; que ce mémoire a été présenté par fax et enregistré par le secrétariat du contentieux du Conseil d’État le 8 décembre 2008, soit dans le délai franc d’un mois imparti à compter de l’enregistrement de la requête, le 7 décembre 2008 étant un dimanche ; que les conclusions de Mme A. tendant à ce qu’il soit donné acte du désistement d’office de la requête ne peuvent, dès lors, qu’être rejetées ;
Sur la régularité du jugement :
Considérant, en premier lieu, qu’en mentionnant l’existence d’un écart de quarante voix entre le résultat reporté en faveur de la liste menée par M. Alduy sur les feuilles de pointage du bureau de vote n° 4 et le résultat attribué à cette liste au titre de ce bureau sur le procès-verbal des opérations de dépouillement et lors de la proclamation des résultats, pour en déduire que cette circonstance mettait en cause la sincérité des suffrages obtenus par cette liste, le tribunal administratif n’a pas soulevé d’office un grief qui n’avait pas été débattu par les parties, mais s’est borné à relever, à l’appui de sa réponse au grief tiré de l’irrégularité frauduleuse ayant entaché l’ensemble des opérations de dépouillement au bureau de vote n° 4, un élément de fait résultant des pièces versées au dossier de première instance ; que, par suite, le moyen tiré de ce qu’il aurait méconnu le principe du contradictoire et les dispositions de l’article R. 611-7 du code de justice administrative en n’informant pas les parties de ce que sa décision était susceptible d’être fondée sur un grief soulevé d’office ne peut qu’être écarté ;
Considérant, en second lieu, que contrairement à ce qui est soutenu, le jugement attaqué est suffisamment motivé ;
Sur le fond :
Considérant qu’il résulte de l’instruction que le second tour des élections municipales de la commune Perpignan, où étaient inscrits 69 382 électeurs, opposait trois listes respectivement menées par M. Alduy, Mme A. et M. X ; qu’à l’issue des opérations de dépouillement dans les 66 bureaux de vote de la commune, la liste menée par M. Alduy est arrivée en tête avec 19 072 voix, représentant 45,48 % des 41 938 suffrages exprimés, soit avec 574 voix d’avance sur la liste menée par Mme A., qui a obtenu 18 498 voix, correspondant à 44,11 % des suffrages, la liste menée par M. X. recueillant 4 368 voix, soit 10,42 % des suffrages ;
Considérant qu’il résulte de l’instruction que dans le bureau de vote n° 4, le président du bureau a été surpris, à 19 heures, alors que commençait le dépouillement de la septième enveloppe de centaine, en possession de bulletins de vote en faveur de la liste de M. Alduy susceptibles d’être substitués à d’autres bulletins de vote ; qu’il a, à la suite de cet incident, à nouveau été surpris alors qu’il tentait de faire disparaître des enveloppes contenant des bulletins de vote en faveur des listes de M. Alduy et de Mme A. qu’il détenait sur lui ; que cette manœuvre a donné lieu à l’interruption des opérations de dépouillement jusqu’à 20 heures 45, à l’intervention sur place des services de police et du procureur de la République ainsi qu’à l’engagement d’une procédure pénale pour fraude électorale ; qu’ainsi et sans qu’il soit besoin de prescrire une enquête sur ces faits, il résulte de l’instruction, d’une part, qu’eu égard à sa gravité et à la fonction des personnes concernées, à savoir deux personnalités locales liées au candidat arrivé en tête à l’issue du scrutin, respectivement président et deuxième présidente du bureau de vote, et une employée par la municipalité dont ce candidat était le maire sortant, secrétaire du bureau, qui avaient pour charge d’organiser les opérations de dépouillement, d’autre part, au stade auquel elle a été découverte, une heure après le début des opérations de dépouillement, opérées au surplus irrégulièrement sur des tables contiguës, cette manœuvre frauduleuse est, dans les circonstances de l’espèce, de nature à entacher d’irrégularité l’ensemble des opérations de dépouillement qui ont eu lieu dans le bureau de vote n° 4, dont la sincérité ne saurait être reconnue ;
Considérant que lorsque le juge de l’élection constate, comme en l’espèce, qu’a eu lieu dans un bureau de vote une fraude massive dont il résulte de l’instruction qu’elle a été organisée pour favoriser une liste ou un candidat donnés, il lui appartient de rechercher si les résultats de l’élection pourraient être regardés comme acquis de façon certaine quels que soient les résultats des opérations de vote dans ce bureau ; que, dans le cas où cette certitude n’est pas établie, l’ensemble des opérations électorales doit être annulé ;
Considérant que, à l’issue du dépouillement dans les 65 autres bureaux de vote de la commune de Perpignan, la liste conduite par M. Alduy a obtenu 553 voix d’avance sur celle de Mme A. ; qu’eu égard à cet écart de voix et en raison du caractère exceptionnel de la fraude qui s’est déroulée au profit de la liste de M. Alduy au bureau de vote n° 4, qui comptait 1 286 inscrits et où ont été exprimés 825 suffrages, il n’est pas possible d’établir avec certitude que la liste de M. Alduy aurait conservé une avance sur la liste de Mme A. quels qu’aient été les résultats dans le bureau litigieux ; que, par suite, il n’est pas établi de façon certaine que la liste conduite par M. Alduy aurait, en l’absence de fraude, obtenu sur l’ensemble de la commune la majorité nécessaire à sa proclamation ; qu’ainsi les requérants ne sont pas fondés à soutenir que c’est à tort que, par le jugement qu’ils attaquent, le tribunal administratif de Montpellier a, après avoir constaté à bon droit l’existence d’une fraude dans le bureau de vote n° 4, annulé pour ce motif et sans qu’il ait eu besoin d’examiner les autres griefs de la protestation, les opérations électorales qui se sont déroulées les 9 et 16 mars 2008 pour l’élection des conseillers municipaux dans la commune de Perpignan ainsi que, par voie de conséquence, l’élection du maire et de ses adjoints lors de la séance du conseil municipal du 21 mars 2008 ;
Considérant qu’aucun moyen n’est articulé contre l’article 3 du jugement décidant que lors des élections partielles consécutives à l’annulation prononcée, le bureau de vote n° 4 de la ville de Perpignan sera présidé par une personne désignée par le président du tribunal de grande instance ; que les conclusions dirigées contre cette partie du jugement ne peuvent, dès lors, qu’être également rejetées ;
Considérant que les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l’État et de Mme A., de M. C. et de Mme R., qui ne sont pas, dans la présente espèce, la partie perdante, la somme que M. Alduy et autres demandent au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens ; qu’il n’y a pas lieu de mettre à la charge de M. Alduy et autres les sommes que Mme A., M. C. et Mme R. demandent sur le fondement de cet article ;… (Rejet des conclusions de Mme A. tendant à ce qu’il soit donné acte du désistement de la requête ; rejet de la requête de M. Alduy et autres ; rejet des conclusions présentées par Mme A. et par M. C. et Mme R. au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.)