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Conseil d’État, 304301

- wikisource:fr, 12/11/2009


Conseil d’État
6 novembre 2009


Section du contentieux – Société Pro Décor – 304301


Mlle Célia Verot, rapporteur public



Sommaire

Visas

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 2 avril et 2 juillet 2007 au secrétariat du contentieux du Conseil d’État, présentés pour la Société Pro Décor, dont le siège est 36, boulevard de la République à Boulogne (92100), représentée par son gérant en exercice ; la Société Pro Décor demande au Conseil d’État :

1°) d’annuler la délibération n° 2006-290 du 14 décembre 2006 par laquelle la Commission nationale de l’informatique et des libertés a prononcé à son encontre une sanction de 30 000 euros et lui a enjoint de cesser la mise en œuvre du traitement de prospection commerciale tant que de nouvelles modalités de gestion des demandes d’opposition conformes aux dispositions de la loi du 6 janvier 1978 n’auront pas été notifiées à la commission précitée ;
2°) de mettre à la charge de l’État le versement de la somme de 5 000 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ; la note en délibéré, enregistrée le 23 octobre 2009, présentée par la Commission nationale de l’informatique et des libertés ; la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, modifiée par la loi n° 2004-801 du 6 août 2004 ; le décret n° 2005-1309 du 20 octobre 2005, pris pour l’application de la loi du 6 janvier 1978 modifiée ; le code de justice administrative ;

Motifs

Considérant qu’aux termes de l’article 44 de la loi du 6 janvier 1978 modifiée : « I. - Les membres de la Commission nationale de l’informatique et des libertés ainsi que les agents de ses services habilités dans les conditions définies au dernier alinéa de l’article 19 ont accès, de 6 heures à 21 heures, pour l’exercice de leurs missions, aux lieux, locaux, enceintes, installations ou établissements servant à la mise en œuvre d’un traitement de données à caractère personnel et qui sont à usage professionnel, à l’exclusion des parties de ceux-ci affectées au domicile privé. Le procureur de la République territorialement compétent en est préalablement informé. II. - En cas d’opposition du responsable des lieux, la visite ne peut se dérouler qu’avec l’autorisation du président du tribunal de grande instance dans le ressort duquel sont situés les locaux à visiter ou du juge délégué par lui. Ce magistrat est saisi à la requête du président de la commission. Il statue par une ordonnance motivée, conformément aux dispositions prévues aux articles 493 à 498 du code de procédure civile. La procédure est sans représentation obligatoire. La visite s’effectue sous l’autorité et le contrôle du juge qui l’a autorisée. Celui-ci peut se rendre dans les locaux durant l’intervention. A tout moment, il peut décider l’arrêt ou la suspension de la visite. III. - Les membres de la commission et les agents mentionnés au premier alinéa du I peuvent demander communication de tous documents nécessaires à l’accomplissement de leur mission, quel qu’en soit le support, et en prendre copie ; ils peuvent recueillir, sur place ou sur convocation, tout renseignement et toute justification utiles ; ils peuvent accéder aux programmes informatiques et aux données, ainsi qu’en demander la transcription par tout traitement approprié dans des documents directement utilisables pour les besoins du contrôle. (…) Il est dressé contradictoirement procès-verbal des vérifications et visites menées en application du présent article. ; qu’aux termes de l’article 61 du décret du 20 octobre 2005 : Lorsque la commission décide un contrôle sur place, elle en informe préalablement par écrit le procureur de la République dans le ressort territorial duquel doit avoir lieu la visite ou la vérification. (…) » ; qu’aux termes de l’article 62 du même décret : « Lorsque la commission effectue un contrôle sur place, elle informe au plus tard au début du contrôle le responsable des lieux de l’objet des vérifications qu’elle compte entreprendre, ainsi que de l’identité et de la qualité des personnes chargées du contrôle. Lorsque le responsable du traitement n’est pas présent sur les lieux du contrôle, ces informations sont portées à sa connaissance dans les huit jours suivant le contrôle. Dans le cadre de leurs vérifications, les personnes chargées du contrôle présentent en réponse à toute demande leur ordre de mission et, le cas échéant, leur habilitation à procéder aux contrôles. » ; qu’en vertu des dispositions de l’article 45 de la loi du 6 janvier 1978 modifiée, la Commission nationale de l’informatique et des libertés peut prononcer des sanctions à l’encontre des responsables de traitement qui ne respectent pas les obligations découlant de ladite loi ;

Considérant qu’à la suite de plaintes émanant de particuliers faisant état de l’absence de prise en compte, par la Société Pro Décor, spécialisée dans la vente et la pose de fenêtres, de leurs demandes de ne plus faire l’objet de démarchage téléphonique, des membres de la Commission nationale de l’informatique et des libertés se sont rendus, le 27 mai 2005, au siège de ladite société pour une mission de contrôle ; que, par délibération du 24 novembre 2005, la formation restreinte de la Commission nationale de l’informatique et des libertés a mis en demeure la Société Pro Décor de cesser d’utiliser une base de données non mise à jour et de prendre toutes mesures de nature à garantir qu’il soit systématiquement et immédiatement tenu compte du droit d’opposition exercé par toute personne concernée à recevoir de la prospection commerciale, en application de l’article 38 de la loi du 6 janvier 1978 modifiée le 6 août 2004 et de mettre en œuvre des mesures de nature à conserver la trace de ces demandes , dans un délai de 15 jours ; qu’après avoir procédé à de nouvelles visites sur place, la commission, estimant que le système de gestion des demandes d’opposition à l’utilisation du numéro de téléphone à des fins commerciales mis en place par la société, reposant sur leur transmission, au moyen de notes manuscrites, par le téléopérateur à son responsable, seul habilité à supprimer le numéro de la base de données, ne garantissait pas la prise en compte effective et rapide de l’ensemble des demandes d’opposition et ne répondait donc pas à la mise en demeure qui lui avait été faite, a infligé à la Société Pro Décor, par une délibération du 14 décembre 2006, une sanction de 30 000 euros et lui a enjoint de cesser d’utiliser le traitement de prospection commerciale tant qu’une nouvelle procédure efficace des demandes de radiation n’aurait pas été mise en place et notifiée à la commission ; que la Société Pro Décor demande l’annulation de cette délibération ;

Sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête ;

Considérant qu’aux termes de l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales : « 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. » ;

Considérant que si le droit au respect du domicile que ces stipulations protègent s’applique également, dans certaines circonstances, aux locaux professionnels où des personnes morales exercent leurs activités, il doit être concilié avec les finalités légitimes du contrôle, par les autorités publiques, du respect des règles qui s’imposent à ces personnes morales dans l’exercice de leurs activités professionnelles ; que le caractère proportionné de l’ingérence que constitue la mise en œuvre, par une autorité publique, de ses pouvoirs de visite et de contrôle des locaux professionnels résulte de l’existence de garanties effectives et appropriées, compte tenu, pour chaque procédure, de l’ampleur et de la finalité de ces pouvoirs ;

Considérant qu’il ressort des dispositions précitées de l’article 44 de la loi du 6 janvier 1978 modifiée et des articles 61 et 62 du décret du 20 octobre 2005 que les membres de la Commission nationale de l’informatique et des libertés peuvent accéder à des locaux professionnels en dehors de leurs heures normales de fonctionnement et en l’absence du responsable du traitement ; que toute entrave à l’exercice de ce droit de visite peut, en application des dispositions de l’article 51 de la loi du 6 janvier 1978 modifiée, faire l’objet de sanctions pénales, à l’exception de l’exercice du droit d’opposition prévu par les dispositions précitées de l’article 44 ; qu’aucune disposition ne prévoit que le responsable du traitement soit prévenu de cette visite et puisse se faire assister de la personne de son choix ; que les membres de la commission peuvent accéder aux programmes informatiques et aux données ainsi qu’en demander la transcription ; qu’en raison tant de l’ampleur de ces pouvoirs de visite des locaux professionnels et d’accès aux documents de toute nature qui s’y trouvent que de l’imprécision des dispositions qui les encadrent, cette ingérence ne pourrait être regardée comme proportionnée aux buts en vue desquelles elle a été exercée qu’à la condition d’être préalablement autorisée par un juge ; que, toutefois, la faculté du responsable des locaux de s’opposer à la visite, laquelle ne peut alors avoir lieu qu’avec l’autorisation et sous le contrôle du juge judiciaire, offre une garantie équivalente à l’autorisation préalable du juge ; qu’une telle garantie ne présente néanmoins un caractère effectif que si le responsable des locaux ou le représentant qu’il a désigné à cette fin a été préalablement informé de son droit de s’opposer à la visite et mis à même de l’exercer ;

Considérant qu’il n’est pas contesté que les responsables des locaux ayant fait l’objet des contrôles sur place qui ont permis aux membres de la Commission nationale de l’informatique et des libertés de constater les manquements sanctionnés par la délibération attaquée n’ont pas été informés de leur droit de s’opposer à ces visites ; qu’à cet égard la seule mention que le contrôle était effectué en application de l’article 44 de la loi du 6 janvier 1978 modifiée ne saurait tenir lieu de l’information requise ; que, par suite, la Société Pro Décor est fondée à soutenir que la sanction qui lui a été infligée, dès lors qu’elle reposait sur les faits constatés lors des contrôles effectués, a été prise au terme d’une procédure irrégulière et qu’elle doit pour ce motif être annulée ;

Sur les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge de l’État le versement à la Société Pro Décor de la somme de 3 000 euros ;… (Annulation de la délibération de la Commission nationale de l’informatique et des libertés du 14 décembre 2006 infligeant une sanction de 30 000 euros à la Société Pro Décor ; condamnation de l’État à verser une somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative)



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