Conseil d’État - 294120
- wikisource:fr, 14/07/2009
Visas
Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 6 juin et 2 octobre 2006 au secrétariat du contentieux du Conseil d’État, présentés pour M. Ben Mohamed A, … ; M. A demande au Conseil d’État :
1°) d’annuler le jugement du 12 octobre 2005 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l’annulation de la décision du ministre de la défense rejetant sa demande de révision de sa retraite du combattant ;
2°) réglant l’affaire au fond, d’annuler la décision du ministre de la défense rejetant sa demande de révision de sa retraite du combattant ;
3°) de constater que la SCP Lyon-Caen-Fabiani-Thiriez renonce au bénéfice de l’indemnité d’aide juridictionnelle et de mettre à la charge de l’État une somme de 3 000 euros par application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ; la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ensemble son premier protocole additionnel ; le code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de la guerre ; la loi n° 81-734 du 3 août 1981 ; la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ; la loi n° 2006-1666 du 21 décembre 2006 ; le code de justice administrative ;
Motifs
Considérant que, par un jugement en date du 12 octobre 2005, le tribunal administratif de Paris a rejeté la demande de M. A, ressortissant algérien, tendant à l’annulation de la décision implicite par laquelle le ministre de la défense a rejeté sa demande tendant à la revalorisation de sa retraite du combattant ; que M. A se pourvoit en cassation contre ce jugement ;
Considérant, d’une part, qu’aux termes de l’article L. 255 du code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de la guerre : « Il est institué pour tout titulaire de la carte du combattant (…) une retraite cumulable, sans aucune restriction, avec la retraite qu’il aura pu s’assurer par ses versements personnels (…)./ Cette retraite annuelle, qui n’est pas réversible, est accordée en témoignage de la reconnaissance nationale » ; qu’aux termes de l’article 26 de la loi du 3 août 1981 portant loi de finances rectificative pour 1981 : « Les pensions, rentes ou allocations viagères attribuées aux ressortissants de l’Algérie sur le budget de l’État ou d’établissements publics de l’État et garanties en application de l’article 15 de la déclaration de principe du 19 mars 1962 relative à la coopération économique et financière entre la France et l’Algérie ne sont pas révisables à compter du 3 juillet 1962 et continuent à être payées sur la base des tarifs en vigueur à cette même date./ Elles pourront faire l’objet de revalorisations dans des conditions et suivant des taux fixés par décret./ (…) La retraite du combattant pourra être accordée, au tarif tel qu’il est défini ci-dessus, aux anciens combattants qui remplissent les conditions requises postérieurement à la date d’effet de cet article./ (…) » ;
Considérant, d’autre part, qu’aux termes de l’article 1er de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales : « Les Hautes parties contractantes reconnaissent à toute personne relevant de leur juridiction les droits et libertés définis au titre I de la présente convention » ; qu’aux termes de l’article 14 de la même convention : « La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation » ; qu’en vertu des stipulations de l’article 1er du premier protocole additionnel à cette convention : « Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. (…) » ;
Considérant que le tribunal a fait une inexacte application des stipulations précitées de l’article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales en jugeant que la retraite du combattant attribuée en application des dispositions de l’article L. 255 du code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de la guerre, qui constitue pour ses bénéficiaires une créance, ne peut être regardée comme un bien au sens desdites stipulations ; que M. A est, par suite, fondé à demander, pour ce motif, l’annulation du jugement attaqué ;
Considérant que, dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu, en application de l’article L. 821-2 du code de justice administrative, de régler l’affaire au fond ;
Considérant qu’une distinction entre les personnes placées dans une situation analogue est discriminatoire, au sens des stipulations de l’article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, si elle n’est pas assortie de justifications objectives et raisonnables, c’est-à-dire si elle ne poursuit pas un objectif d’utilité publique, ou si elle n’est pas fondée sur des critères objectifs et rationnels en rapport avec les buts de la loi ;
Considérant qu’il ressort des termes mêmes de l’article 26 de la loi du 3 août 1981 précité, que les pensions perçues par les ressortissants algériens ne sont pas revalorisables dans les conditions prévues par le code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de la guerre ; que, dès lors, et quelle qu’ait pu être l’intention initiale du législateur manifestée dans les travaux préparatoires de ces dispositions, cet article crée une différence de traitement entre les retraités en fonction de leur seule nationalité ; que la différence de situation existant entre d’anciens combattants, selon qu’ils ont la nationalité française ou sont ressortissants d’États devenus indépendants, ne justifie pas, eu égard à l’objet de la retraite du combattant, une différence de traitement ; que si les dispositions de l’article 26 de la loi du 3 août 1981 avaient notamment pour objectif de tirer les conséquences de l’indépendance de l’Algérie et de l’évolution désormais distincte de son économie et de celle de la France, qui privait de justification la revalorisation des retraites du combattant en fonction de l’évolution de l’économie française, la différence de traitement qu’elles créent, en raison de leur seule nationalité, entre les titulaires de la retraite du combattant, ne peut être regardée comme reposant sur un critère en rapport avec cet objectif ; que, ces dispositions étant, de ce fait, incompatibles avec les stipulations de l’article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, elles ne pouvaient justifier le refus opposé par le ministre de la défense à la demande présentée par M. A en vue de la revalorisation de sa retraite du combattant ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède que M. A est fondé à demander l’annulation de la décision implicite par laquelle l’administration a rejeté sa demande tendant à la revalorisation de sa retraite du combattant ;
Considérant qu’il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que, contrairement à ce que soutient le ministre de la défense, M. A peut prétendre à la revalorisation de sa retraite du combattant ; que le montant de cette retraite doit être revalorisé, au taux prévu par les dispositions de l’article L. 256 du code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de guerre, à compter de la date d’attribution de cette retraite, soit le 1er août 1985 jusqu’à la date d’entrée en vigueur des dispositions du décret du 3 novembre 2003 pris pour l’application de l’article 68 de la loi de finances pour 2002, soit le 5 novembre 2003 ; qu’à partir de cette date, la pension doit être revalorisée en application du II et du III de l’article 68 de la loi de finances rectificative pour 2002, et ce, jusqu’au 31 décembre 2006 ; qu’à compter du 1er janvier 2007, ce taux doit être fixé dans les conditions prévues par l’article 100 de la loi de finances pour 2007 ; qu’il y a lieu, dès lors, de condamner l’État à verser à M. A les arrérages correspondant à la différence entre le montant ainsi fixé et celui qui a déjà été versé à l’intéressé ;
Sur les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant que M. A a obtenu le bénéfice de l’aide juridictionnelle ; que, par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 ; qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, et sous réserve que la SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez, avocat de M. A, renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l’État à l’aide juridictionnelle, de mettre à la charge de l’État la somme de 500 euros à payer à la SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez… (Annulation du jugement du tribunal administratif de Paris du 12 octobre 2005, ensemble la décision implicite du ministre de la défense rejetant la demande de M. A tendant à la revalorisation de sa retraite du combattant ; renvoi du requérant devant le ministre de la défense pour qu’il soit procédé à la liquidation de la pension revalorisée à laquelle il a droit sur les bases définies dans les motifs de la présente décision ; condamnation de l’État à verser à la SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez, avocat de M. A, la somme de 500 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l’article L. 761-1 du code de justice administrative, sous réserve que ladite société renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l’État à l’aide juridictionnelle.)