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Perpétuité incompressible en France

- Wikipedia, 4/02/2012

La perpétuité incompressible ou perpétuité réelle est, en France, une peine d'emprisonnement à perpétuité assortie d'une période de sureté exceptionnelle de 30 ans, instaurée par la loi 94-89[1] du 1er février 1994 à l’initiative du ministre de la Justice de l’époque Pierre Méhaignerie, membre du gouvernement Balladur.

Sommaire

Contexte de sa création

En 1992, la France découvre avec effroi le martyre et la mort d’une petite fille de 8 ans qui était recherchée depuis longtemps par toute la France dans la région de Perpignan, où deux autres enfants avaient été tués quelques années auparavant.

L’auteur du crime et son passé amplifient la colère. Patrick Tissier, après avoir été condamné pour meurtre et viol en 1971, commettra un viol aggravé après avoir obtenu une libération en 1982 ; il sera ensuite libéré de nouveau en 1992 où il commettra de nombreux forfaits en peu de temps : un viol commis avec torture (fait déjà puni de la perpétuité), le meurtre d’une adulte et enfin celui de la petite Karine, qu’il connaissait. Les experts déclareront que « sa perversité ne participe pas d'une maladie mentale aliénante » et que « celui-ci inflige volontairement à ses victimes plus de tortures que nécessaire pour satisfaire ses besoins sexuels ».

La droite est au pouvoir, Édouard Balladur est Premier ministre et Pierre Méhaignerie ministre de la justice. Ils succèdent au Parti socialiste qui vient de réformer le Code pénal, supprimant la période de sûreté de 30 ans qu’avait instaurée Charles Pasqua, sauf dans les cas de meurtre d’enfant précédé de viol, de torture ou d’acte de barbarie.

L’affaire Tissier sera alors à l’origine de période de sûreté de durée « perpétuelle » pour ces cas précis d'infanticide, la possibilité pour lui d’être libéré au bout de 30 (voire 20 ans avec les réductions de période de sûreté) étant perçue comme inadaptée pour un criminel comme lui.

L'extension

En mars 2011 dans le cadre de loi LOPPSI 2, la perpétuité incompressible a été étendue aux cas de meurtres de personnes dépositaires de l'autorité publique, à condition qu'ils aient été commis soit avec préméditation, soit en bande organisée.

Cette extension était une initiative du Président Sarkozy, suite au meurtre d'un agent de police par un membre de l'organisation terroriste ETA en mars 2010.

Incohérence

Bien que les crimes passibles de cette perpétuité incompressible relèvent tous d'un double cumul de circonstances aggravantes, la loi demeure relativement arbitraire.

Une personne n'ayant commis qu'un seul meurtre peut être condamnée à la perpétuité incompressible si elle entre dans ce cumul de circonstances aggravantes, mais pas une personne ayant commis dix meurtres (par exemple) si l'on n'est pas en présence de ce cumul.

La mesure sur le plan légal

Les deux premiers alinéas de l'132-23 du code pénal

« En cas de condamnation à une peine privative de liberté, non assortie du sursis, dont la durée est égale ou supérieure à dix ans, prononcée pour les infractions spécialement prévues par la loi, le condamné ne peut bénéficier, pendant une période de sûreté, des dispositions concernant la suspension ou le fractionnement de la peine, le placement à l'extérieur, les permissions de sortir, la semi-liberté et la libération conditionnelle.

La durée de la période de sûreté est de la moitié de la peine ou, s'il s'agit d'une condamnation à la réclusion criminelle à perpétuité, de dix-huit ans. La cour d'assises ou le tribunal peut toutefois, par décision spéciale, soit porter ces durées jusqu'aux deux tiers de la peine ou, s'il s'agit d'une condamnation à la réclusion criminelle à perpétuité, jusqu'à vingt-deux ans, soit décider de réduire ces durées. »

Dernier alinéa de l'221-3 du nouveau code pénal

«  [...] lorsque la victime est un mineur de quinze ans et que l'assassinat est précédé ou accompagné d'un viol, de tortures ou d'actes de barbarie ou lorsque l'assassinat a été commis sur un magistrat, un fonctionnaire de la police nationale, un militaire de la gendarmerie, un membre du personnel de l'administration pénitentiaire ou toute autre personne dépositaire de l'autorité publique, à l'occasion de l'exercice ou en raison de ses fonctions, la cour d'assises peut, par décision spéciale, soit porter la période de sûreté jusqu'à trente ans, soit, si elle prononce la réclusion criminelle à perpétuité, décider qu'aucune des mesures énumérées à l'article 132-23 ne pourra être accordée au condamné [...] »

Dernier alinéa de l'221 du nouveau code pénal

«  [...] lorsque la victime est un mineur de quinze ans et que le meurtre est précédé ou accompagné d'un viol, de tortures ou d'actes de barbarie ou lorsque le meurtre a été commis en bande organisée sur un magistrat, un fonctionnaire de la police nationale, un militaire de la gendarmerie, un membre du personnel de l'administration pénitentiaire ou toute autre personne dépositaire de l'autorité publique, à l'occasion de l'exercice ou en raison de ses fonctions, la cour d'assises peut, par décision spéciale, soit porter la période de sûreté jusqu'à trente ans, soit, si elle prononce la réclusion criminelle à perpétuité, décider qu'aucune des mesures énumérées à l'article 132-23 ne pourra être accordée au condamné [...] »

720-4 du code de procédure pénale

«  Lorsque le condamné manifeste des gages sérieux de réadaptation sociale, le tribunal de l'application des peines peut, à titre exceptionnel et dans les conditions prévues par l'712-7 du code de procédure pénale, décider qu'il soit mis fin à la période de sûreté prévue par l'article 132-23 du code pénal ou que sa durée soit réduite.

Toutefois, lorsque la cour d'assises a décidé de porter la période de sûreté à trente ans en application des dispositions du dernier alinéa des articles 221-33 et 221-4 du code pénal, le tribunal de l'application des peines ne peut réduire la durée de la période de sûreté ou y mettre fin qu'après que le condamné a subi une incarcération d'une durée au moins égale à vingt ans.

Dans le cas où la cour d'assises a décidé qu'aucune des mesures énumérées à l'article 132-23 du code pénal ne pourrait être accordée au condamné à la réclusion criminelle à perpétuité, le tribunal de l'application des peines ne peut accorder l'une de ces mesures que si le condamné a subi une incarcération d'une durée au moins égale à trente ans.

Les décisions prévues par l'alinéa précédent ne peuvent être rendues qu'après une expertise réalisée par un collège de trois experts médicaux inscrits sur la liste des experts agréés près la Cour de cassation qui se prononcent sur l'état de dangerosité du condamné.

Par dérogation aux dispositions du troisième alinéa de l'732 du code de procédure pénale, le tribunal de l'application des peines peut prononcer des mesures d'assistance et de contrôle sans limitation dans le temps. (alors que leur maximum est de dix ans pour les autres condamnés). »

Premier alinéa de l'720-1-1 du code de procédure pénale

« Sauf s'il existe un risque grave de renouvellement de l'infraction, la suspension peut également être ordonnée, quelle que soit la nature de la peine ou la durée de la peine restant à subir, et pour une durée qui n'a pas à être déterminée, pour les condamnés dont il est établi qu'ils sont atteints d'une pathologie engageant le pronostic vital ou que leur état de santé est durablement incompatible avec le maintien en détention, hors les cas d'hospitalisation des personnes détenues en établissement de santé pour troubles mentaux. »

Condamnés à la « perpétuité réelle » française (liste complète)[2]

Ce sont toutes des personnes ayant des antécédents et un âge certain.

Criminel Age Année Résumé (voir article correspondant pour plus de précisions) Cour d'assises
Pierre Bodein 59 2007 Alterne depuis 1969 séjours en hôpital psychiatrique et en prison. Surnommé « Pierrot le fou », son casier judiciaire fait état de 5 condamnations, notamment pour des viols avec violence. Après avoir été condamné à 20 ans de prison en 1994, il est libéré en 2004. Quatre mois plus tard, il est de nouveau emprisonné, accusé d'enlèvements, viols et meurtres sur trois personnes de 10, 14 et 38 ans, puis est condamné en raison de preuves génétiques. Bas-Rhin
Christian Beaulieu 56 2007 Après plusieurs condamnations pour des agressions sexuelles sur six enfants au total, dans les années 1982 et 1988, il est condamné pour meurtre précédé de viol sur un mineur de 4 ans. Sa peine fut réduite en appel, un expert psychiatre retint une atténuation de sa responsabilité. Christian Beaulieu aurait dû attendre l’âge de 86 ans pour demander la remise en cause de sa peine à titre « exceptionnel ». Nièvre
Michel Fourniret 66 2008 Incarcéré en 1984 pour une dizaine d'agressions et viols sur mineur en région parisienne, il est condamné à 5 ans de prison, il est libéré en 1987 et commence à agir avec une complice (sa compagne Monique Olivier) et donner la mort à certaines de ses victimes dont une de moins de quinze ans (sans laquelle sa période de sûreté aurait été de 22 ans réductibles). Fourniret pourra demander à être réinséré dans la société en 2030 (et non 2038 car il faut soustraire les années de prison faites auparavant ; il aura alors 88-89 ans). Il n'a pas fait appel. Ardennes
Pierre Bodein 60 2008 Appel de sa condamnation par la cour d'assises du Bas-Rhin, ci haut mentionnée[3]. Haut-Rhin

Lors des deux premières condamnation de Bodein et Beaulieu, les médias ne prêtèrent pas attention à la particularité de leur peine et la confondirent presque tous avec la période de sûreté de 30 ans, (comme beaucoup de gens, y compris des experts en droit pénal). Mais cette peine refit surface avec la condamnation de Michel Fourniret, précisément dans le but de ne pas créer la confusion avec la période de sûreté de 30 ans requise contre Monique Olivier le même jour.

Autres cas de période de sûreté entre 23 ans et 30 ans (liste incomplète)

Les cas où une période de sûreté d'une durée supérieure à 22 ans (jusqu'à 30 ans) peuvent être prononcés sont les mêmes que pour la perpétuité réelle. 7 personnes ont été condamnées à une période de sûreté de 30 ans entre 1986 et 1994, sachant que jusque en 1992, le meurtre d'enfant n'était pas le seul crime à en être passible.

Criminel Durée Année Résumé Cour d'assises
Monique Olivier 28 ans 2008 Complice des meurtres et viols de Michel Fourniret ci-haut mentionné, notamment sur une jeune fille de 12 ans. Ardennes
Christian Beaulieu 30 ans 2008 Après plusieurs condamnations pour des agressions sexuelles sur six enfants au total, dans les années 1982 et 1988, il est condamné à la perpétuité "réelle" pour meurtre précédé de viol sur un enfant de 4 ans. Sa peine fut réduite en appel, un expert psychiatre retint une atténuation de sa responsabilité. Christian Beaulieu aurait dû attendre l'âge de 86 ans pour demander la remise en cause de sa peine à titre « exceptionnel ». Cher
Denis Waxin 29 ans 2003 Appel de sa condamnation par la cour d'assises du Nord, ci-bas mentionnée. Pas-de-Calais
Denis Waxin 30 ans 2000 Plusieurs meurtres de jeunes filles, la moins âgée avait 6 ans[4]. Nord
Peter Frantz 30 ans 1999 Viol et assassinat de Lotta Heitzer, 9 ans, jeune fille allemande venue en vacances en France en août 1994. Gironde
Patrick Tissier 30 ans 1998 Voir ci-haut. Pyrénées-Orientales
Christian Van Geloven 30 ans 1994 Meurtres et viols de 2 enfants dans la région de Perpignan. Pyrénées-Orientales
Didier Gentil 28 ans 1992 Meurtre et viol d'une enfant de 7 ans en 1988 commis sous l'emprise de l'alcool. Didier Gentil avait accusé Richard Roman jusqu'à la fin du procès où il avoue le meurtre. Isère
Gérard Lebourg 30 ans 1992 Meurtre et viol d'un enfant de 10 ans en 1988. Calvados
Thierry El Borgi et Philippe Siauve 30 ans 1991 Parachutistes impliqués dans quatre assassinats dont trois commis sur des jeunes filles préalablement violées. Ce sont les premiers à être condamnés à une sûreté de 30 ans et à être aussi sévèrement punis depuis l'abolition de la peine de mort. Bas-Rhin

Conformité

La peine a été déclarée conforme par le Conseil constitutionnel, saisi en 1994 par un groupe de parlementaires de gauche. Il confirmé sa jurisprudence dans le cadre de sa décision sur la loi Loppsi 2.

En 2010, la Cour de cassation a rejeté l'argument des avocats de Pierre Bodein selon lequel il s'agirait d'une peine inhumaine et dégradante au sens de l'article 3 de la Convention européenne des droits de l'homme[5].

Notes et références

Liens internes

Liens externes


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