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A propos de la fessée, des châtiments corporels, ou plus exactement des violences sur les enfants

Paroles de juge - Parolesdejuges, 12/03/2015

 

Le débat récurrent autour des agressions physiques sur les mineurs vient d'être relancé (cf. ici). Après avoir renvoyé à d'autres articles du blog faisant allusion à cette problématique (cf. ici, ici, ici), il peut apparaître utile d'apporter quelques précisions pouvant alimenter le débat.

Le Conseil de l'Europe (son site) vient en effet de publier un avis à propos des "châtiments corporels envers les enfants".

Dans la page de présentation de l'avis (cf. ici), le Conseil écrit que : "le Comité européen des droits sociaux du Conseil de l’Europe considère que le droit français ne prévoit pas d’interdiction suffisamment claire, contraignante et précise des châtiments corporels infligés aux enfants ni par la loi ni par la jurisprudence."  (texte complet ici)

 

Immédiatement une telle affirmation surprend le juriste, au moins pour partie.

En effet notre droit pénal contient les dispositions suivantes :

- "Les violences ayant entraîné une incapacité de travail inférieure ou égale à huit jours ou n'ayant entraîné aucune incapacité de travail sont punies de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende lorsqu'elles sont commises :1° Sur un mineur de quinze ans (..)." (art. 222.13 - texte ici)

- "Hors les cas prévus par les articles 222-13 et 222-14, les violences volontaires n'ayant entraîné aucune incapacité totale de travail sont punies de l'amende prévue pour les contraventions de la 4e classe." (art. R 624-1 - texte ici).

Cet article R 624-1R 624-1 est inséré dans une section du code pénal intitulée "Des violences légères". Cela signifie donc, par hypothèse, qu'il a vocation à s'appliquer aux violences les plus modérées, les plus faibles, les moins agressives. Sinon le qualificatif de "légères" n'aurait pas de sens.

Notre droit pénal punit donc au moins d'une contravention toutes les violences légères, et, parmi celles-ci, punit plus sévèrement les violences légères commises sur des mineurs de moins de 15 ans.

Par ailleurs, selon le dictionnaire Larousse, "fesser" signifie "frapper quelqu'un sur les fesses".

Or, "frapper" quelqu'un, c'est, selon le même dictionnaire, "donner un ou plusieurs coups sur quelque chose, taper dessus." Et, sauf si les mots n'ont plus aucun sens, "frapper" et "donner des coups" sur une personne, c'est bien exercer sur elle une violence au moins légère.

Ce qui impose de conclure, sans grande difficulté, que "fesser", qui correspond à "frapper" et à "donner un coup", est au moins une violence légère au sens des textes précités.

C'est pourquoi, pour le juriste, il est malaisé de comprendre l'affirmation du conseil de l'Europe selon lequel "le droit français ne prévoit pas d’interdiction suffisamment claire, contraignante et précise des châtiments corporels infligés aux enfants ni par la loi (..)."

Certes il n'est pas écrit dans le code pénal qu'il est interdit de taper le corps d'un enfant avec le plat de sa main. mais, plus largement, il n'est pas non plus écrit qu'il est interdit de repousser quelqu'un avec la main, de donner un coup avec un cartable, de bousculer avec l'épaule, etc. Le code pénal ne fera jamais la liste, illimitée, des innombrables violences légères pouvant être exercées.

Dès lors, une fessée ou n'importe quelle action physique sur un enfant (lui tirer l'oreille, lui pincer le bras etc..) étant une violence légère au sens du code pénal, l'insuffisance de notre loi mise en avant par le Conseil de l'Europe semble découler d'une mauvaise interprétation de notre droit.

 

Par contre, il est exact que certaines juridictions françaises ont parfois reconnu l'existence d'un "droit de correction" au profit d'un parent. Au prix, parfois, d'une motivation qui peut prêter à débat.

Dans un arrêt du 29 octobre 2008 (texte intégral ici) une cour d'appel a écrit dans la même phrase : " les violences reconnues par le prévenu et reprochées à ce dernier sont légères, rares et n'ont pas dépassé l'exercice du simple droit de correction explicité par Jean-Louis X... ..". En conséquence de quoi la juridiction prononce la relaxe pour cette infraction.

Le juriste peut s'étonner qu'une juridiction écrive que le geste d'un parent constitue une violence légère, ce qui est entraîne automatiquement une qualification pénale, puis le relaxe ensuite ce qui signifie qu'elle considère que aucune infraction n'a été commise. On aurait mieux compris une peine modérée ou, au mieux, une dispense de peine. D'autant plus que le juriste cherche en vain dans le code pénal une allusion, même lointaine, à un "droit de correction" justifiant des violences sur des enfants.

Les juges ont voulu, tout en constatant des violences mêmes légères, faire obstacle à la condamnation de leur auteur en créant une nouvelle sorte d'excuse légale.

On en trouve également trace dans un arrêt du 4 mai 1998 d'une autre cour d'appel (texte intégral ici) qui, à propos du comportement d'un instituteur, a jugé que : "Si la réaction de M. Z... n'a pas été la mieux appropriée en l'espèce, elle n'a pas eu de conséquences excessives de nature à compromettre la santé physique ou morale de l'enfant n'a pas excédé les limites du droit de correction d'un instituteur à l'égard d'un enfant qui, une première fois repris, se montre insolent et provocateur à son endroit. L'exercice limité de ce droit de correction pour faire assurer la nécessaire discipline et l'autorité des maîtres, ôte aux faits toute intention coupable. En conséquence, le jugement sera réformé. M. Z... sera renvoyé des fins de la poursuite (..)."

Quelques arrêts de la cour de cassation comportent la notion de "droit de correction" mais il s'agit de confirmations de culpabilité et d'une simple mention de l'argumentaire de la cour d'appel. (cf. ici, ici, ici, ici)

Plus déroutante est la décision de la cour de cassation du 17 juin 2003 (texte intégral ici) puisqu'il y est écrit, pour valider une décision de non-lieu d'un juge d'instruction confirmée elle-même par une chambre de l'instruction :

"l'enquête et l'information diligentées ont permis d'établir que, le 19 février 1999, Marie Z..., qui assurait la garde du jeune Gabin X... né le 17 mars 1997, au domicile de ses parents, a effectivement administré une claque à celui-ci ; mais il n'est nullement établi que ce geste ait excédé les limites du droit de correction inhérent à la mission de surveillance qui avait été confiée à la gardienne de l'enfant."

Cela signifie que la cour de cassation a estimé,  il y a onze ans, que certaines violences légères sont possibles contre des mineurs, la "claque" en étant manifestement une si les mots ont encore du sens.

Dans une décision du 26 novembre 2002 (texte intégral ici), la chambre criminelle a jugé en sens contraire et approuvé une condamnation, mais autour du même argumentaire :

"Attendu qu'Yves X..., instituteur, poursuivi pour violences sur mineurs de quinze ans, a fait valoir qu'il ne faisait qu'user de son droit de correction ; Attendu que, pour écarter l'argumentation du prévenu et le déclarer coupable des faits reprochés, l'arrêt relève qu'il reconnaît avoir tiré les cheveux ou donné des coups de pied aux fesses de plusieurs enfants et que de tels faits constituent des violences au sens de l'article 222-13 du Code pénal ; Attendu qu'en l'état de ces énonciations procédant de son appréciation souveraine, la cour d'appel a justifié sa décision."

Mais dans une décision du 21 février 1990, la chambre criminelle avait expressément reconnu l'existence d'un "droit de correction", quand bien même elle approuvait la condamnation pour violences. ceci en ces termes :

"Attendu qu'il appert de l'arrêt attaqué que X... a, sous prétexte de lui donner "une petite correction" "en raison de toutes les bêtises qu'il faisait", giflé avec force l'enfant Romain Y..., âgé de 6 ans, puis l'a entraîné dans les waters où il lui a plongé la tête dans la cuvette avant de tirer la chasse d'eau ; que pour retenir X... dans les liens de la prévention, les juges relèvent qu'il importe peu que la mère ait consenti à cette correction, dès lors que les violences commises, par leur nature et par leurs conséquences, dépassaient, même en l'absence d'une incapacité de travail, les limites de l'exercice d'un droit de correction, lequel en toute hypothèse n'appartenait pas à X..., et entraient dans le champ d'application de l'article 312 du Code pénal sanctionnant les violences sur mineur de 15 ans."

Ce n'est donc pas tant le droit pénal en vigueur qui pouvait être reproché à la France, qui couvre l'intégralité des violences y compris les "légères", que la création, par les tribunaux y compris au plus haut niveau, d'un "droit de correction" permettant aux parents et à certains professionnels de l'éducation de commettre des violences sur les enfants sans risquer aucune sanction. Etant relevé que, d'après les banques de données, la notion de droit de correction n'a, semble-t-il (à confirmer), plus été utilisée par les tribunaux depuis plusieurs années.

 

Deux options apparaissent alors.

Soit on considère que le cadre juridique pénal actuel est suffisant pour sanctionner tout châtiment corporel, que les errements anciens des juridictions ne sont plus d'actualité, et donc qu'il n'existe aucun réel besoin d'intervenir. Mais rien ne permet de savoir ce qui pourrait être jugé demain,

Soit on considère que le débat reste ouvert et qu'il doit se prolonger autour des violences même légères utilisées par les adultes contre les enfants. Avec, éventuellement, le constat de la nécessité de préciser le cadre juridique pour faire obstacle à toute exception et bannir définitivement la notion de droit de correction.

Chacun appréciera.

 

Oublions maintenant le cadre juridique pour aborder un autre aspect, sans doute essentiel, de la problématique. C'est la question de la limite.

Nombreux sont les adultes, au premier rang desquels certains parents, qui affirment que quand un enfant est insupportable, incontrôlable, qu'il fait des bêtises, qu'il agresse un tiers, qu'il a un comportement qui doit impérativement être stoppé, et que les mots n'y font rien, il n'est pas bien grave, de temps en temps, d'intervenir physiquement pour obtenir ce qui ne peut pas être obtenu autrement. Pour faire simple : une fessée (ou un acte assimilable) ce n'est pas la fin du monde et c'est parfois très efficace.

On peut sans doute, dans un premier temps, admettre qu'une petite tape sur l'épaule ou sur les fesses ce n'est la forcément dramatique. Mais dès que l'on creuse un peu cela devient plus délicat.

D'abord, il n'est pas forcément aisé d'expliquer à un enfant qu'il lui est formellement interdit de lever la main sur quelqu'un, parce que par principe on ne s'en prend pas physiquement aux autres, tout en levant la main sur lui. De la même façon qu'un parent n'est pas crédible s'il exige d'un enfant qu'il ne soit pas grossier tout en l'étant lui-même.

Ensuite, autoriser la fessée ou plus largement quelques "châtiments corporels", c'est dès le départ, poser le principe que certaines violences sur les enfants sont légitimes. Le risque est alors que dans les esprits le mot "violence" prenne plus de place que le mot "certaines".

Surtout, si certaines violences sont autorisées - et donc dépénalisées - au nom du "droit de correction", où va se trouver la limite entre les violences acceptables et celles qui ne le sont pas ?

On pourrait donc donner une "petite" fessée, la violence minimaliste classiquement admise. Mais jusqu'à quelle puissance du geste cela reste-t-il une "petite" fessée ? Et si on peut utiliser la main sur les fesses, un parent peut-il aussi utiliser le pied pour taper la fesse ?

Et peut-on tirer l'oreille ? Pincer ou tordre le bras ? Attraper par les vêtements et pousser dans une autre pièce ? Bousculer et faire tomber sur un fauteuil ? Prendre par les cheveux ? Secouer ?

Et la petite tape sur les fesses, peut-on la déplacer et la donner sur la joue ? Doucement ? Un peu moins doucement ?

Et puis à quelle fréquence serait-on autorisé à le faire pour que cela reste tolérable ? Rarement ? De temps en temps ? Chaque fois que nécessaire ? Journellement en cas d'enfant difficile ?

En plus, la violence considérée comme modérée et acceptable par un adulte sera parfois estimée inacceptable par un autre.

Et comment résoudre la difficulté si dans un couple de parents l'un est en faveur des châtiments corporels et l'autre non ?

Autoriser certaines violences sur les enfants ouvre inéluctablement la porte à des violences excessives, mais qui ne seront pas considérées comme telles par certains adultes qui les utilisent. Et qui mettront en avant leur droit de correction.

 

Le choix semble donc être entre une interdiction absolue de toutes les violences physiques sur les enfants, et la reconnaissance du droit d'exercer certaines violences, faibles ou modérées mais sans que quiconque ne soit en mesure de poser clairement les limites. Au moins par comparaison, la première solution semble s'imposer.

Certains mettent en avant une sagesse naturelle des adultes pour considérer que ceux-ci sont instinctivement aptes à déceler les limites à ne pas dépasser. Mais les magistrats voient tout au long de l'année défiler certains de ces adultes, et notamment des parents, qui, à l'inverse, à cause de problématiques personnelles, professionnelles, de couple, ou familiales non résolues, exercent des violences sur les enfants qui ne sont pas justifiées et qui, même modérées, sont parfois traumatisantes.

 

Enfin, les châtiments corporels sont d'autant moins légitimes qu'il existe toujours d'autres moyens d'intervenir. Il existe une large palette de punitions pouvant être efficaces, et, quand les difficultés augmentent, divers spécialistes peuvent aider à franchir le cap.

 

Sans doute ne faut-il pas exagérément culpabiliser les adultes qui ont ponctuellement craqué à cause d'enfants aux comportement difficile.

Mais l'interdiction par principe de tous les châtiments corporels présente plusieurs avantages :

- Il n'existe qu'un seul message, clair et sans aucune ambiguïté.

- Le message n'est pas diffusé que certaines violences sont permises sur les enfants.

- La question de la limite des violences autorisées et interdites ne se pose pas.

- Les adultes qui sont dépassés et désarmés face à des enfants difficiles sont incités à réfléchir à l'origine de leur propre comportement et à chercher d'autres solutions.

 

 

 

 

 

 

 


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