Conséquences de la catastrophe de Tchernobyl en France
- Wikipedia, 26/12/2011
La catastrophe de Tchernobyl, qui s'est déroulée en 1986, n'a officiellement eu aucune conséquence négative pour la santé en France, ce qui est contesté par des membres et associations de la société civile, lesquels réclament une plus grande transparence des pouvoirs publics sur le sujet.
Sommaire |
Passage du panache radioactif sur la France
L’annonce de l’accident
Le 28 avril 1986, vers 13 heures, les Suédois informent directement le Service central de protection contre les rayonnements ionisants (SCPRI), dépendant du ministère de la Santé (mais aussi Centre de référence européen pour la mesure des faibles radioactivités), de la contamination de leur atmosphère qu’ils imputent à un accident nucléaire soviétique. Dans la soirée, le Kremlin reconnait la survenue d’un accident dans un réacteur de type RBMK de la centrale de Tchernobyl, sans en préciser la date, l’importance ni les causes. Le soir même, le professeur Pierre Pellerin, directeur du SCPRI, fait équiper des avions d’Air France, se dirigeant vers le nord et l’est de l’Europe, de filtres permettant, à leur retour, d’analyser et faire connaître la composition de cette contamination. Invité du 13 heures d’Antenne 2, le lendemain 29 avril, Pierre Pellerin fait état de ses contacts avec les experts suédois, dénonce à l’avance le catastrophisme des médias et tient des propos rassurants : « même pour les Scandinaves, la santé n’est pas menacée ». Le soir même, son adjoint, le professeur Chanteur, répond à une question du présentateur : « on pourra certainement détecter dans quelques jours le passage des particules mais, du point de vue de la santé publique, il n’y a aucun risque »[1]. En France (comme en Suisse), les prévisions météorologiques sont favorables, et l’on pense que l’anticyclone des Açores devrait bloquer l’arrivée éventuelle du panache radioactif, ce qu’annonce par exemple Brigitte Simonetta sur Antenne 2 au JT de 20 h, le 29 au soir.
C’est malheureusement le terme impropre de « nuage » qui est bientôt popularisé en France. Or il ne faut pas confondre le panache et les nuages. Le panache, ensemble des émissions radioactives rejetées pendant les journées qui ont suivi l’accident, mélangées à l’air chaud de l’incendie du réacteur ne contient que très peu de vapeur d’eau. Il se dilue dans l’atmosphère, sa radioactivité diminuant selon les demi-vies des radioéléments relâchés. Les dépôts par temps sec sont fonction de la masse des particules ou aérosols et du relief. Mais les vrais nuages jouent un rôle important car s’ils crèvent au-dessus du panache, leurs gouttes d’eau entraînent plus abondamment les particules radioactives. La conjonction des deux, aléatoire, crée des dépôts humides géographiquement très hétérogènes, en taches de léopard.
L’arrivée du panache
Mais les prévisions météorologiques sont fausses et une des branches du panache est détectée dans l’après-midi du lendemain 30 avril par le Laboratoire d’écologie marine de Monaco, avant de l’être dans l’ensemble du midi de la France. Pendant la nuit, tandis que cette branche remonte en direction du nord du pays, suivie d’une station météo à l’autre, une autre branche venant plus directement de l’est, aborde aussi le territoire à une altitude différente. Monaco puis le SCPRI (par télex envoyé à minuit) en informent l’agence France Presse. La nouvelle est reprise le lendemain 1er mai par les médias en activité : Noël Mamère, au JT de 13.00, reprend les termes du télex du professeur Pellerin : « ce matin, le SCPRI a annoncé une légère hausse de la radioactivité de l’air, non significative pour la santé publique, dans le sud-est de la France et plus spécialement au-dessus de Monaco ». La presse nationale du lendemain 2 mai en fera ses gros titres : Le Figaro : « La France touchée à son tour ». France Soir : « Des nuages radioactifs au-dessus de la France ». Etc.
« La détection des aérosols radioactifs ayant survolé le territoire après l’accident a été rapide. Les mesures des activités p-total (mesure de l’activité de tous les radionucléides émetteurs bêta) dans l’air de l’environnement des centres du Commissariat à l’énergie atomique (CEA) ont été effectuées dans les 24 heures qui ont suivi leur détection (entre le 29 et 30 avril). Dès le 1er mai, on avait ainsi connaissance d’une élévation anormale de l’activité de l’air les 29 et 30 avril. »[2]
La communication
Aucun texte officiel ne précise comment doit être organisée la communication en pareil cas (comme dans la plupart des États, la France ne s’est préparée à pareil événement !) et les ministères du tout nouveau gouvernement Chirac (première cohabitation), sont trop heureux de trouver en la personne du professeur Pellerin un expert qui veut bien l’improviser, malgré la faiblesse de ses moyens et son manque d’expérience dans ce domaine. C’est à lui principalement que reviendra la tâche d’informer les Français des résultats des mesures de contamination radioactive et du niveau de risque couru, même si Michèle Barzach, ministre chargé de la Santé, signe certains communiqués de synthèse. Pour compliquer la situation, le panache survient à la veille d’un week-end de quatre jours (le 1er mai tombe un jeudi) qui a vidé les ministères, comme certains organes de presse, et ralenti le transport par la poste des échantillons radioactifs prélevés dans toute la France, alors que Jacques Chirac accompagne le président Mitterrand à Tokyo pour un sommet des chefs d’État occidentaux. Les ministres concernés, mal coordonnés, interviendront peu par la suite, et de façon parfois maladroite. Mobilisé 24 heures sur 24, le SCPRI, assisté de l’Institut de protection et de sûreté nucléaire (IPSN), une branche semi-autonome du CEA que dirige François Cogné, multiplie les mesures globales sur le territoire (lait, eau, air) et tous les soirs à minuit, à partir du 30 avril, fait état par télex à l’AFP de ses constatations et conclusions. Aucun chiffre n’est communiqué durant la première semaine mais le ton est rassurant. Se basant sur les recommandations en vigueur de la communauté scientifique internationale, le SCPRI juge tout de suite que la contamination des aliments produits en France sera trop faible pour poser un vrai problème de santé publique et qu’il n’y a pas lieu de prendre de mesures de précaution particulières, sauf sur les produits importés de l’Est de l’Europe (une question débattue à Bruxelles par l’ensemble des pays de la Communauté européenne). Ce faisant, il cherche à éviter les paniques constatées dans les autres pays affectés et ses conséquences (des milliers d’avortements totalement injustifiés au plan médical, par exemple). Dès le 2 mai à minuit, le professeur Pellerin diffuse un communiqué selon lequel il faudrait imaginer des élévations dix mille ou cent mille fois plus importantes pour que commencent à se poser des problèmes significatifs d’hygiène publique. Il précise que les prises préventives d’iode destinées à bloquer le fonctionnement de la thyroïde ne sont ni justifiées ni opportunes. Ce facteur 10 000, très excessif, nourrira la contestation future.
Déclarations des autorités
Le gouvernement français estime alors qu’aucune mesure particulière de sécurité n’est nécessaire. Le Service central de protection contre les rayonnements ionisants (SCPRI), placé sous la direction du professeur Pierre Pellerin et sous la tutelle du ministère de la Santé, annonce le 29 avril 1986 par un premier communiqué qu'« aucune élévation significative de la radioactivité n'a été constatée ».
L'analyse dix-sept ans plus tard des relevés faits à l'époque confirme ce diagnostic : « Les mesures d’aérosols atmosphériques effectuées principalement par le SCPRI et le CEA, permettaient la caractérisation des masses d’air contaminé très rapidement en fournissant une bonne indication des niveaux d’activité atteints. Ces mesures [...] permettaient d’évaluer dans des délais satisfaisants les doses reçues par la population lors du passage du nuage. Ces doses efficaces qui sont faibles, inférieures à 0,5 μSv pour l’irradiation externe et inférieures à 20 μSv pour l’inhalation (IPSN, 1986 ; Renaud et al., 1999a), ne nécessitaient pas à elles seules de dispositions particulières de protection de la population (mise à l’abri ou distribution d’iode stable). » [2] Le SCPRI mentionne dans un communiqué dès le 30 avril une « légère hausse de la radioactivité atmosphérique, non significative pour la santé publique[3] ».
Le 2 mai 1986, le professeur Pellerin diffuse un communiqué selon lequel « les prises préventives d'iode ne sont ni justifiées, ni opportunes » et « il faudrait imaginer des élévations dix mille ou cent mille fois plus importantes pour que commencent à se poser des problèmes significatifs d'hygiène publique[4] ».
Controverse sur le nuage radioactif
Le 30 avril, la présentatrice Brigitte Simonetta annonce dans un bulletin météorologique d'Antenne 2 que la France est protégée du « nuage » par l’anticyclone des Açores[5],[6]. Selon Michèle Rivasi, « par la suite, nous avons su qu'il s'agissait d'un ordre qui avait été donné à la météo d'agir ainsi... »[7].
Une polémique s’ensuit, souvent résumée par « le nuage s’est arrêté à la frontière ». Libération affirme que « les pouvoirs publics ont menti en France » et que « Le professeur Pellerin [en] a fait l’aveu ».
Par la suite, le professeur Pellerin porte plainte pour diffamation contre différents médias ou personnalités qui ont affirmé que le professeur Pellerin avait déclaré que « le nuage de Tchernobyl s'est arrêté à la frontière française ». N'ayant jamais prononcé cette phrase, le professeur Pellerin a gagné tous les procès en première instance, en appel et en cassation. Seule une condamnation de la justice française pour « diffamation publique envers un fonctionnaire » de Noël Mamère pour des propos tenus en 1999 a été sanctionnée par la Cour européenne des droits de l'homme, celle-ci estimant qu'en 1999 « le SCPRI n’existait plus et, âgé de 76 ans, le fonctionnaire en question n’était plus en activité[8] ».
Controverse sur la contamination
La dose moyenne reçue suite au passage du « nuage » de Tchernobyl sur la France a pu être évaluée par certaines sources à une moyenne d'environ 0,01 mSv (millisievert), « correspondant à un séjour de quelques semaines en montagne » (pour l'irradiation externe)[9], et par d'autres de 0,025 mSv à 0,4 mSv, selon la localisation géographique. Cet écart est retenu par exemple par Georges Charpak[10] : « La dose moyenne reçue par les populations françaises estimée pour 1986 est comprise entre moins de 0,025 mSv dans l'Ouest et 0,4 mSv dans l'Est ». Dans tous les cas, ces doses se situent donc dans la gamme des faibles doses d'irradiation.
Douze ans après le passage du nuage, des travaux rétrospectifs géographiquement plus précis ont été mis en œuvre, avec par exemple le Projet CAROL pour la basse vallée du Rhône[11], qui conclue à une très nette corrélation entre contamination surfacique au sols et pluviométrie au moment du passage du nuage : « Négligeables en Camargue, ces dépôts humides ont dépassé couramment 15 000 Bq·m-2, et 25 000 Bq·m-2 dans les endroits les plus arrosés début mai 1986, comme les environs de Vaison-la-Romaine. Ils sont venus s’ajouter à la rémanence des retombées anciennes des essais atmosphériques d’armes nucléaires, de l’ordre de 1 500 à 2 500 Bq·m-2. ». Cette étude a également montré de très fortes hétérogénéités entre les contaminations mesurées au sein d’une même commune, et pose quelques hypothèses d'explication, évaluant aussi les incertitudes pour ce type de cartographie[11].
Le réexamen des données collectées montrent que les premières communications, faites dans l’urgence, avaient sous-évalué les retombées, parfois d'un facteur dix : « Cette relation pluie-dépôt a permis d’aboutir à une carte des dépôts théoriques de césium 137 et d'iode 131 en 1986. Cette carte fait apparaître des dépôts supérieurs, voire très supérieurs aux estimations faites à l’époque, notamment sur toutes les zones de l’Est de la France ayant reçu des précipitations supérieures à 20 mm. Si l’on excepte le premier bilan établi le 7 mai par le SCPRI, mentionnant des dépôts extrêmement faibles et inférieurs à 1 000 Bq/m2, la première carte publiée par cet organisme dans son bulletin mensuel de juin 1986 (sorti quelques semaines plus tard) faisait état de dépôts moyens régionaux de césium 137 allant de 1 000 à 5 400 Bq/m2 dans l’Est de la France (SCPRI, 1986) alors qu’ils ont pu atteindre jusqu’à 40 000 Bq/m2. »[2]
Le 24 février 2002, la CRIIRAD publie un atlas qui, selon elle, révélerait de façon détaillée la contamination du territoire français par le nuage de Tchernobyl[12],[13]. Par extrapolation des mesures relevées entre 1988 et 1992, les villes de Mélon, Ghisonaccia-gare, Clairvaux-Les-Lacs ou Strasbourg y sont présentées comme ayant eu en mai 1986 des activités surfaciques de césium 137 supérieures à 30 000 becquerels/m2. Les ordres de grandeurs sont très similaires à ceux publiés par l'IRSN en 2005 dans sa reconstitution des retombées de Tchernobyl[14].En 1992, les mesures dans certaines villes mettaient en évidence un taux supérieur à 3 000 Bq/m2.
Ces niveaux de contamination, tout en étant détectables, restent à un niveau faible. Le becquerel mesure en effet la désintégration d'un atome unique chaque seconde, une radioactivité mesurable peut être le fait de traces chimiques à peine détectables par ailleurs. À titre de comparaison, la radioactivité naturelle d'un corps humain (due principalement au potassium 40 contenu dans les os) est de l'ordre de 8 000 becquerels pour une surface de peau de l'ordre de 2 m2. Ainsi, l'activité maximale détectée dans l'Est de la France est celle que l'on pourrait constater en étant entouré par une foule dans le métro[réf. nécessaire].
Le 25 février 2002, la controverse, qui dure depuis des années, conduit le gouvernement Jospin (lettre de mission de Bernard Kouchner et Yves Cochet) à demander au professeur André Aurengo de présider un groupe de travail chargé de « réaliser la cartographie de la contamination du territoire (etc.)… afin de reconstituer les doses et les risques correspondants pour la population française ». Le délai fixé par le gouvernement est de 6 mois, mais les associations antinucléaires refusent de participer au groupe de travail et, pour constituer ce dernier, André Aurengo doit faire appel à des experts étrangers. Le 24 avril 2003, l’IRSN publie une nouvelle carte de la contamination de la France par le nuage de Tchernobyl, où les valeurs atteignent 40 000 becquerels/m2. Le professeur Aurengo se déclare « consterné que de tels résultats, méthodologiquement aussi contestables et très probablement faux, aient pu être diffusés sans aucune validation scientifique »[15]. Les désaccords d'ordre scientifique se poursuivent entre l’Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire et le président du groupe de travail quant aux modèles physiques utilisés (proportionnalité discutable entre précipitations pluviales et contamination alimentaire, validité des mesures du césium pour évaluer la contamination en iode). Faute d’accord, le Conseil scientifique de l’IRSN fait appel à une commission ad hoc constituée d’experts étrangers du domaine du nucléaire. Leur avis, rendu le 27 mars 2006, rend hommage au travail effectué par l’IRSN, mais conclut à l’impossibilité de reconstituer fidèlement le passé et juge inapproprié d’estimer les doses à la thyroïde sur la base d’estimation de dépôts de césium corrélés avec des données météorologiques lorsque les pluies sont importantes. Faute d’un accord entre l’IRSN et le professeur Aurengo, ce dernier remet au gouvernement un rapport personnel, le 18 avril 2006. Il ne sera pas rendu public.
Les retombées en France ont fait l’objet d’un rapport de l'IRSN[16]. Dans l'instruction d'une plainte déposée en France en 2001 par des personnes ayant contracté un cancer de la thyroïde, un rapport rédigé par Georges Charpak, Richard L. Garvin et Venance Journé, affirme que le SCPRI a fourni des cartes « inexactes dans plusieurs domaines » et « n'a pas restitué toutes les informations qui étaient à sa disposition aux autorités décisionnaires ou au public »[17]. Ce rapport reproche au SCPRI une communication fausse mais pas d'avoir mis en danger la population.
Controverse sur les conséquences sanitaires en France
Cancers de la thyroïde
Une éventuelle augmentation de la mortalité liée au passage du nuage de produits radioactifs serait liée à une augmentation du nombre de cancers de la thyroïde déclarés chez les personnes qui étaient des enfants en 1986, lors du passage du nuage.
Dans la zone de Tchernobyl, beaucoup plus exposée que les régions françaises, il n'y a pas eu d'augmentation des cancers des adultes provoqués par la catastrophe[réf. nécessaire] mais il y a eu une augmentation du nombre d'enfants atteints, estimée à 2 000 cas.
Effet des faibles doses de radiations
Les conséquences sanitaires des faibles doses de radiations sont controversées, et deux hypothèses principales existent :
- Selon l'une d'entre elles, les faibles doses de radiations n'auraient pas de conséquences néfastes en matière de cancer, et le risque pourrait même diminuer dans certains cas (phénomène d'hormèse) ; c'est cette thèse que défend le professeur Aurengo[18], ainsi que l'académie de médecine[19]. Si l'on retient cette première hypothèse, la catastrophe de Tchernobyl n'aurait pas provoqué d'augmentation du nombre de cancers en France.
- Selon l'autre thèse, le risque de cancer varie linéairement avec la dose, sans qu'il existe de seuil de disparition du risque ; c'est cette dernière que reprennent notamment un rapport de l'Académie des sciences française de 1995[20], et un rapport plus récent de l'Académie des sciences des États-Unis de juin 2005[21]. Si l'on retient cette seconde hypothèse, la catastrophe de Tchernobyl entraînerait un surcroît de décès par cancers en France.
En France l'académie des sciences et l'académie de médecine adoptèrent en 2005 les conclusions du groupe de travail du professeur Aurengo[22].
Nombre de cancers supplémentaires
Georges Charpak a évalué le surcroît de cancers à 100 décès sur un an, et environ 300 sur 30 ans, en partant de l'hypothèse d'une dose moyenne de 0,05 mSv une année après Tchernobyl, soit environ le 10 000. Il juge que « la grande majorité des cancers ne sont pas causés par l'accident, y compris dans les zones les plus affectées, à la notable exception du cancer de la thyroïdee de l'ensemble des cancers mortels sur la même période[23] ».
Le nombre de cancers de la thyroïde a augmenté en France régulièrement d'environ 7% en moyenne par an depuis 1975 (soit un quadruplement en 19 ans), sans inflexion particulière en 1986. Selon la Société française d'énergie nucléaire cette augmentation est due à l'amélioration du dépistage ; ces cancers représentent sensiblement 1% du total des cancers qui apparaissent en France et la mortalité correspondante a tendance à diminuer[3]. Dans la zone de Tchernobyl elle-même, il a été constaté une augmentation du nombre de cancers de la thyroïde des adultes dans les mêmes proportions, donc il n'y a pas eu de surmortalité détectable des adultes. Dans les régions françaises du Calvados, on assiste au même quadruplement de ce nombre de cancers ; en région Champagne-Ardenne, il y a eu seulement un doublement de ce nombre révélé par une étude équivalente, alors que cette région a reçu plus de retombées qu'à l'Ouest de la France.
Les cancers de la thyroïde sont très majoritairement féminins et l'évolution de leur nombre suit l'évolution du nombre de cancers du sein. A priori deux phénomènes concomitants sont à prendre en compte :
- l'augmentation du nombre de cancers détectés par l'accroissement de la sensibilité des appareils à ultrasons : le seuil de détection des nodules est passé d'un diamètre de 10 mm à 2 mm.
- évolution dans les comportements féminins de prise d'hormones de substitutions pré- à post- ménopause.
L'iode radioactif est très couramment utilisé comme radiopharmaceutique en scintigraphie ou en traitement d'hyperthyroïdies. Le service de médecine nucléaire d'un hôpital consomme environ un Curie d'iode 131 par an. Ces examens ne sont pas pratiqués sur les enfants de moins de quinze ans, qui seraient plus susceptibles de développer ce type de cancer. Il a été constaté une augmentation du taux de cancers secondaires de la thyroïde sur des personnes soumises à une radiothérapie de la thyroïde utilisant une forte dose d'Iode 131.
Selon l'étude de l'INVS parue en 2006, les résultats ne vont pas globalement dans le sens d’un éventuel effet de l’accident de Tchernobyl sur les cancers de la thyroïde en France. Toutefois, l'incidence observée des cancers de la thyroïde en Corse est élevée chez l'homme[24],[25].
L'IRSN se refuse à fournir les estimations des quantités d'iode 131 qui se sont déposées dans l'environnement français à la suite de l'accident de Tchernobyl. Ces données, réclamées depuis 2009 par le directeur de recherche de l'INSERM de Villejuif, Florent de Valthaire, sont destinées à conduire une étude sur les cancers de la thyroïde [26].
Actions en justice des malades de la thyroïde
Depuis mars 2001, 400 poursuites ont été engagées en France contre 'X' par l'Association des malades de la thyroïde, dont 200 en avril 2006. Ces personnes sont affectées par des cancers de la thyroïde ou goitres, et ont accusé le gouvernement français, à cette époque dirigé par le premier ministre Jacques Chirac, de ne pas avoir informé correctement la population des risques liés aux retombées radioactives de la catastrophe de Tchernobyl. L'accusation met en relation les mesures de protection de la santé publique dans les pays voisins (avertissement contre la consommation de légumes verts ou de lait par les enfants et les femmes enceintes) avec la contamination relativement importante subie par l'Est de la France et la Corse. Plusieurs études européennes (dont l'étude de 2006 de l'IRSN) ont étudié une possible corrélation entre la catastrophe de Tchernobyl et l'augmentation du nombre de cancers de la thyroïde en Europe sans pouvoir établir un lien de cause à effet. L'augmentation des cancers est un phénomène continu, antérieur à la catastrophe et qui s'observe également dans les zones non contaminées[27]. De nouvelles plaintes sont néanmoins déposées par des malades et il reste à la justice à se prononcer sur ce phénomène[28].
Dans une lettre publiée dans Libération, 52 médecins spécialistes montrent que « ces malades français sont les otages d’un lobby anti-nucleaire et juridicomedical » : alors que seuls des enfants ont été atteints en Ukraine, la plupart des plaignants français étaient adultes en 1986.
Selon la Société française d'énergie nucléaire « Les registres des cancers ont révélé une augmentation préférentielle de cas à l’Ouest de la France, région la moins exposée aux retombées du nuage radioactif. » « L’augmentation mondiale des découvertes de cancers de la thyroïde résulte surtout des progrès de la médecine et du dépistage. » « C’est un besoin naturel des individus de trouver une explication simple et de bon sens, idéalement extérieure, aux maux qui les accablent. En matière de maladie thyroïdienne, Tchernobyl fournit le parfait alibi[3]. »
Risques liés à l'alimentation
Les recommandations de l'OMS sur le lait préconisent une activité annuelle inférieure à 100 000 becquerels d'iode radioactif, soit une activité moyenne inférieure à 600 becquerels par litre de lait.
Le 7 mai 1986, un courrier de l'Organisation mondiale de la santé indique que « des restrictions quant à la consommation immédiate [du] lait peuvent donc demeurer justifiées ». Une note du 16 mai émanant du ministère de l'Intérieur, à l'époque dirigé par Charles Pasqua déclare « Nous avons des chiffres qui ne peuvent pas être diffusés. (…) Accord entre SCPRI et IPSN pour ne pas sortir de chiffres »[29].
Le 16 mai, une réunion de crise se tient au ministère de l'Intérieur : du lait de brebis en Corse présente une contamination par l'iode 131 anormalement élevée, d'une activité de plus de 10 000 becquerels par litre ; les relevés du SCPRI de 1986 relèvent 6 000 becquerels par litre de lait en certains endroits du territoire, notamment en Corse et dans l'Est de la France. Dans la mesure où la catastrophe qui produisait la pollution à l'iode radio-actif était un événement ponctuel, et que l'iode 131 a une demi-vie courte (l'activité au bout de deux mois est difficilement détectable), il a été jugé que le bilan de l'activité radio-active sur une année ne serait pas affecté sensiblement, et les autorités n'ont pas pris de mesure particulières.
Selon la Société française d'énergie nucléaire des études montrent que pour le cas extrême d'un chasseur consommant 40 kg de sangliers « contaminés » par an, « sa dose efficace engagée serait alors voisine de 1 millisievert pour l’année 1997, c’est-à-dire nettement inférieure à la dose résultant de la seule radioactivité naturelle et de l’ordre de la limite de dose réglementaire établie pour le public (1 mSv/an) - elle-même bien en deçà des niveaux présentant un risque avéré[3]. »
Controverse sur la position des autorités
Dès l'époque de la catastrophe de Tchernobyl, des écologistes et des scientifiques ont dénoncé le contraste entre les déclarations des autorités françaises et les mesures d'urgences prises dans les autres pays voisins — en Allemagne par exemple, où la consommation des produits frais a été interdite.
Le livre Contaminations radioactives : atlas France et Europe (Éditions Yves Michel - 2002), publié par la CRIIRAD, affirme mettre en évidence les « carences et les mensonges des services officiels français ».
Selon un article de Fabrice Nodé-Langlois dans Le Figaro du 13 mai 2005, citant un reportage d'Envoyé spécial, il serait aujourd'hui « bien établi que le SCPRI a menti par omission, et n'a pas rendu publiques toutes les mesures de radioactivité dont il disposait ».
En mars 2005, deux « experts indépendants », Paul Genty et Gilbert Mouthon, ont remis un rapport au juge d'instruction Marie-Odile Bertella-Geffroy. Ce rapport s'inscrit dans l'instruction judiciaire entamée en mars 2001 par le dépôt de plainte contre X pour « défaut de protection des populations contre les retombées radioactives de l'accident » par l'Association française des malades de la thyroïde et la CRIIRAD. Ils affirment qu'ils ont constaté que sur la base de documents saisis lors de perquisitions dans des ministères et organismes impliqués dans la prévention du risque nucléaire, les mesures de radioactivité effectuées à l'époque par les autorités françaises, EDF, la Cogema ou la gendarmerie étaient beaucoup plus élevées que celles communiquées à la presse et à l'opinion publique[30].
Sur la base du rapport Genty-Mouthon, la CRIIRAD a demandé la mise en examen du professeur Pierre Pellerin pour « mise en danger délibérée et de diffusion de fausses nouvelles de nature à tromper les concitoyens sur les conséquences de la catastrophe de Tchernobyl », et l'audition de Pierre Galle, Raymond Paulin et Jean Coursaget sur « les éléments erronés » contenus dans leur Mise au point historique sur Tchernobyl (article publié par l'Académie des sciences). Cet article concluait qu'« en France, les retombées ont été très inférieures à celles qui auraient pu justifier des contre-mesures (sanitaires) préventives ». Le secrétaire perpétuel de l'Académie a rappelé que cet article n'exprime pas la position officielle de l'Académie mais n'est qu'un élément du débat[31].
En 2006, le journaliste Hervé Morin observe que l'effet de Tchernobyl en France a été jusqu'à mille fois sous-évalué[32]. La conclusion de l'article est néanmoins qu'il est impossible de discerner l'effet dû à Tchernobyl car le nombre de cas de cancers de la thyroïde est inférieur à la marge d'erreur du nombre de cas de cancers spontanés.
Nicolas Sarkozy, ultérieurement président de la République française à partir de 2007, a été chargé de mission de 1987 à mai 1988 pour la lutte contre les risques chimiques et radiologiques au sein du ministère de l'Intérieur[33], une fonction qui donne lieu à polémiques, en 2007, en raison de sa possible implication dans la gestion des conséquences de la catastrophe de Tchernobyl[34].
Notes et références
- ↑ Livre de Bernard Lerouge et al, Tchernobyl, un « nuage » passe… Les faits et les controverses. L’Harmattan 2009
- ↑ a, b et c Les retombées de l'accident de Tchernobyl en France : analyse critique des mesures effectuées à l'époque sur le territoire national et enseignements pour la gestion de crise. Ph. Renaud and D. Louvat, Radioprotection Vol. 38 No. 4, p. 529.
- ↑ a, b, c et d Tchernobyl 20 ans après : Nouveau regard sur Tchernobyl. L'impact sur la santé et l'environnement, Société française d'énergie nucléaire (SFEN), p. 8-10
- ↑ Communiqué du professeur Pellerin, directeur du SCPRI, diffusé à de très nombreux destinataires le 2 mai 1986
- ↑ Le nuage radioactif bloqué par l'anticyclone des Açores
- ↑ Communiqué de presse du SCPRI en juin 1986
- ↑ « Nuage de Tchernobyl: qui a vraiment cru qu'il contournait la France? », Mediapart Dijon/Bourgogne Nuage de Tchernobyl: qui a vraiment cru qu'il contournait la France?
- ↑ Arrêt de la Cour, affaire Mamère c. France, site officiel
- ↑ Élément de sûreté nucléaire, Jacques Libman, EDP Sciences, 2001
- ↑ De Tchernobyl en tchernobyls, G. Charpak, avec Richard L. Garwin et Venance Journé, Éditions Odile Jacob, 2005 (ISBN 2-7381-1374-5), p. 226
- ↑ a et b P. Renaud, J.M. Métivier, M. Morello, Modélisation de la répartition spatiale du 137Cs dans la basse vallée du Rhône (à partir de 77 résultats de mesurages de l’activité en 137Cs d’échantillons de sols prélevés dans le Bas-Rhône entre 1991 et 1997 par l’Institut de Protection et de Sûreté Nucléaire (IPSN) et la Commission de Recherche et d’Information Indépendante sur la Radioactivité (CRII-RAD); Rapport DPRE/SERNAT/2001-017 (01/12/1998)
- ↑ http://www.criirad.org/actualites/communiques/tchernobyl/atlas/cp.invitn1conf.pdf
- ↑ Corinne Castanier, Contamination des sols français par les retombées de l'accident de Tchernobyl : Les preuves du mensonge, Commission de recherche et d'information indépendantes sur la radioactivité, 2005 (réimpr. Mise à jour juillet 2005) (1re éd. 2002) [lire en ligne (page consultée le 26 décembre 2011)]
- ↑ Dépôts au sol en France, IRSN, fiche Tchernobyl n°4, 2006
- ↑ Le Monde, 17 juin 2003
- ↑ Cartographie des retombées radioactives de l’accident de Tchernobyl en France : présentation comparée des différentes approches
- ↑ Extrait du rapport cité p. 235 de l'ouvrage De Tchernobyl en tchernobyls (voir bibliographie) : « Le SCPRI avait pleinement connaissance du dépassement quelquefois très important des valeurs de la radioactivité [...] les cartes qui ont été fournies par le SCPRI sont inexactes dans plusieurs domaines [...] le SCPRI n'a visiblement pas restitué toutes les informations qui étaient en sa possession aux autorités décisionnaires ou au public [...]. Les risques de contamination ont toujours été niés ainsi que l'irradiation de la population avec, pour conséquence, l'absence de toute prophylaxie et en particulier l'absence de l'administration d'iode. »
- ↑ On en trouvera des éléments dans la conférence Radioactivité et santé (novembre 2003)
- ↑ [PDF] Irradiation médicale, déchets, désinformation : un avis de l’Académie de médecine. Guy de Thé et Maurice Tubiana. Communiqué adopté le 4 décembre 2001.
- ↑ Rapport cité dans De Tchernobyl en tchernobyls, p. 116-117
- ↑ Il soutient le modèle dit LNT d'une variation linéaire du risque de cancer à faibles doses, sans effet de seuil. On en trouvera un résumé en Modèle:Url=http://www.nap.edu/nap-cgi/report.cgi?record id=11340&type=pdfxsum.
- ↑ [PDF] La relation dose-effet et l’estimation des effets cancérogènes des faibles doses de rayonnements ionisants, rapport commun de l'Académie des sciences et de l'Académie nationale de Médecine - mars 2005. Éditions Nucléon, diffusion par EDP sciences.
- ↑ Rapport De Tchernobyl en tchernobyls, p. 226-227.
- ↑ Synthèse du rapport de INVS
- ↑ Rapport complet de l'INVS
- ↑ Paul Benkimoun et Hervé Morin, En France l'étude impossible sur l'impact des retombées de Tchernobyl, Le Monde du 6 avril 2011, p4.
- ↑ Étude 2003 sur Tchernobyl et le cancer de la thyroïde sur doctissimo
- ↑ Nouvelles plaintes de malades français après Tchernobyl - RFI, 26 avril 2006
- ↑ Le Monde du 25 février 2002
- ↑ « Tchernobyl : un mensonge français » sur le site de la chaîne France 5, émission C dans l'air, 25 avril 2005
- ↑ Tchernobyl : la manipulation de M. Pellerin - Le Monde du 13 juillet 2006
- ↑ L'effet de Tchernobyl en France a été jusqu'à mille fois sous-évalué
- ↑ Claire Ané, « Sarkozy et Tchernobyl, la rumeur qui court le net », Le Monde, 11 avril 2007
- ↑ « Sarkozy-Tchernobyl et la désinformation », Culture critique / World Press, 30 mars 2007
Voir aussi
Bibliographie
- Anonyme, Tchernobyl, anatomie d'un nuage, éditions Gérard Lebovici, 1987. (ISBN 2-85184-285-4)
- Georges Charpak, Richard L. Garvin et Venance Journé, De Tchernobyl en tchernobyls, Éditions Odile Jacob, 2005. (ISBN 2-7381-1374-5)
- Bernard Lerouge, Yvon Grall, Pierre Schmitt, Tchernobyl, un « nuage » passe… Les faits et les controverses L’Harmattan, 2009. (ISBN 978-2-296-06685-4)
- André Aurengo, « Tchernobyl. Quelles conséquences pour la France ? » Pour la Science n°344 de juin 2006
- CRIIRAD et Andre Paris, "Contaminations radioactives : Atlas France et Europe", éditions Yves Michel, 2002
Articles connexes
- Conséquences sanitaires de la catastrophe de Tchernobyl
- Accident nucléaire
- Pollution radioactive
- Liste des accidents nucléaires
- Scandales journalistiques
Liens externes
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- Visualisation du nuage de Tchernobyl
- Vidéo de l'évolution du nuage radioactif (césium 137) au dessus de l'Europe du 26 avril au 9 mai 1986
- [PDF] Tchernobyl 20 ans après : Nouveau regard sur Tchernobyl. L'impact sur la santé et l'environnement, Société française d'énergie nucléaire (SFEN)
- Tchernobyl, l'essentiel, par l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire
- [PDF] Tchernobyl, 13 ans après, IRSN avril 1999.
- Archive Ina, A2 30/04/1986 Duplex Claude Sérillon & commentaires de Brigitte Simonetta