Loi du 31 mai 1850
- Wikipedia, 2/12/2011
La loi du 31 mai 1850 était une loi française qui restreignait le corps électoral en imposant de nouvelles conditions à l'exercice du droit de vote.
Malgré l'adoption récente du suffrage universel masculin par la Deuxième République en mars 1848, près d'un tiers des citoyens fut ainsi exclu des listes électorales. Cette loi, votée par l'Assemblée législative, fut abrogée par Louis-Napoléon Bonaparte lors du Coup d'État du 2 décembre 1851.
Sommaire |
Histoire
Contexte politique
Depuis les élections de mai 1849, la droite conservatrice et monarchiste du parti de l'Ordre est majoritaire à l'Assemblée législative, face à une minorité républicaine dominée par l'extrême-gauche démocrate-socialiste de la Montagne.
Effrayée par les progrès de la Montagne lors des élections complémentaires des 10 mars et 28 avril 1850 (notamment l'élection d'Eugène Sue) et nostalgique du suffrage censitaire pratiqué par la précédente monarchie constitutionnelle, la droite décide de retirer le droit de vote à une grande partie de l'électorat populaire. Par conséquent, dès le début du mois de mai, le ministre de l'Intérieur, Baroche, convoque une commission de dix-sept membres chargée de préparer un projet de loi. Cette commission comprenant les chefs de la majorité, Thiers, Molé, Montalembert et Berryer[1], que l'on surnommait « les Burgraves », conçoit une loi électorale limitant le droit de vote en imposant de nouvelles conditions. Léon Faucher en est le rapporteur du projet, présenté dès le 8 mai à l'Assemblée, qui en vote l'urgence par 453 voix contre 197.
Contenu : un durcissement des conditions au droit de vote
L'article 2 de la loi précise que la liste électorale de chaque commune comprendra « tous les Français âgés de vingt et un ans accomplis, jouissant de leurs droits civils et politiques, actuellement domiciliés dans la commune et qui ont leur domicile dans la commune ou dans le canton depuis trois ans au moins », alors que le décret du 5 mars 1848 n'exigeait que six mois de résidence. Cette nouvelle condition de domiciliation exclue une grande partie des artisans villageois et des ouvriers, industriels ou agricoles. Ceux-ci, auxquels il faut ajouter les compagnons réalisant leur tour de France, étaient en effet souvent amenés à migrer vers de nouveaux lieux de travail. Or, ces populations « instables » étaient précisément celles qui échappaient le mieux à l'influence et au contrôle des curés et des notables, relais locaux de la droite conservatrice.
De plus, la durée de résidence étant principalement attestée par l'inscription sur le rôle de la contribution personnelle, les plus pauvres, ceux que la bourgeoisie perçoit comme les éléments des « classes dangereuses », sont relégués à un rôle de citoyen passif en vertu d'une discrimination fiscale très comparable au suffrage censitaire.
Quant à l'article 9 de la loi, il prolonge la répression du mouvement révolutionnaire en excluant du suffrage « les condamnés à plus d'un mois d'emprisonnement pour rébellion, outrages et violences envers les dépositaires de l'autorité ou de la force publique [...] pour délits prévus par la loi sur les attroupements et la loi sur les clubs, et pour infractions à la loi sur le colportage, ainsi que les militaires envoyés par punition dans les compagnies de discipline ».
Débats parlementaires
L'urgence ayant été votée le 8 mai, la discussion générale s'ouvre dès le 21 mai, trois jours après le rapport du projet par Léon Faucher. Le premier jour de la discussion, Victor Hugo, Pascal Duprat et le général Cavaignac se prononcent contre le projet, qui est défendu par Jules de Lasteyrie et par Des Rotours de Chaulieu. Hugo, pourtant élu sur une liste du parti de l'Ordre, souligne le caractère réactionnaire et inégalitaire du projet : « Cette loi fait gouverner féodalement trois millions d'exclus par six millions de privilégiés. Elle institue des ilotes, fait monstrueux »[2]. Lors de son intervention à la tribune, Hugo est applaudi par la gauche mais raillé par la droite.
Le lendemain, 22 mai, le projet est attaqué par Canet puis soutenu par Béchard et, surtout, par Montalembert. Après avoir expliqué que le projet de la loi n'était pas contraire à la Constitution, le tribun catholique déclare que le suffrage universel est dangereux car il risque d'aboutir au socialisme. Or, selon lui le socialisme doit être combattu : « De même qu'on a entrepris l'expédition de Rome contre une république qu'on cherchait à rendre solidaire de la république française, il faut entreprendre une guerre sérieuse contre le socialisme qu'on cherche à rendre solidaire de la république et de la Constitution »[2]. Montalembert ayant appelé Cavaignac, républicain modéré, à voter avec la droite afin de prolonger par une loi la répression qu'il avait mené lors des Journées de Juin, le général lui répond qu'il continuera à défendre le suffrage universel, « attaqué dans son expression » en juin 1848 et désormais attaqué « dans sa source » par les conservateurs[2]. Le républicain Emmanuel Arago combat également les propos de Montalembert.
Afin de rassembler l'ensemble des représentants de la droite au profit de leur proposition de loi réactionnaire et d'empêcher les modérés de voter avec la gauche, les Burgraves décident de provoquer davantage la colère de la Montagne. Le 24 mai, Thiers prononce à la tribune un discours dans lequel il stigmatise « la vile multitude » et attribue aux couches populaires un sanglant penchant au désordre ou à la dictature.
Cette conception a déjà été combattue le 21 mai par Hugo, qui considère que le suffrage universel élève le peuple et se substitue au recours à la violence. Pour lui, cette loi est par conséquent une « mutilation »[2].
Le 24 mai, les républicains Alphonse de Lamartine, Jules Favre et Jules Grévy, les socialistes Pierre Leroux et Paul de Flotte, ainsi que le général Lamoricière et le légitimiste démocrate La Rochejaquelein montent à la tribune pour s'opposer au projet de loi.
Vote et conséquences
Après ces vifs débats, la loi est adoptée, par 433 voix contre 241, le 31 mai 1850.
Son application se traduit par la radiation de près de 2,9 millions d'électeurs. Leur nombre est ainsi réduit du tiers, passant de 9.618.057 à 6.809.281. A Paris, le corps électoral passe de 224.000 à 74.000 citoyens. Dans la ville ouvrière de Lille, on passe de 15.058 à 4524 électeurs.
Abrogation de la loi
Le président de la République, Louis-Napoléon Bonaparte, a promulgué la loi le 3 juin, mais il décide bientôt d'en tirer parti contre l'Assemblée, cette dernière ne comptant pas lui permettre de rester à la tête de l'État au delà de 1852. Cherchant à placer le peuple de son côté lors de l'épreuve de force qui se prépare, le président se démarque par conséquent de la loi du 31 mai. De plus, cette dernière est contraire à son concept de césarisme démocratique.
En octobre 1851, alors que de nombreuses pétitions de citoyens s'élèvent contre la loi, le président fait déposer une demande d'abrogation. Cette demande ayant été rejetée par 355 voix contre 348, la majorité de droite s'enferre dans son rôle réactionnaire et permet au président de se poser en défenseur de la démocratie. Le 2 décembre 1851, après avoir dissous l'Assemblée au moyen d'un coup d'État militaire, il proclame le rétablissement du suffrage universel. Aucune élection n'ayant été organisée lors des dix-huit mois précédant le coup d'État, la loi du 31 mai 1850 n'a donc jamais rempli son rôle.
Notes et références
- ↑ Les treize autres membres de cette commission sont Benoist d'Azy, Beugnot, Victor de Broglie, Louis Buffet, Prudent de Chasseloup-Laubat, Napoléon Daru, Léon Faucher, Jules de Lasteyrie, Louis Napoléon Lannes de Montebello, Théobald Piscatory, Jean-Pierre Aurélien de Sèze, Saint-Priest et Antoine Lefebvre de Vatimesnil (Moniteur du 2 mai 1850).
- ↑ a, b, c et d Discours cités dans : Charles de Montalembert, Œuvres, t. III (Discours), Paris, 1860, pp. 426-464.
Bibliographie
- Pierre Milza, Napoléon III, Perrin, Paris, 2004, pp. 187-189.
- Inès Murat, La Deuxième République, Fayard, Paris, 1987, pp. 428-429.
- Georges Valance, Thiers, bourgeois et révolutionnaire, Flammarion, Paris, 2007, p. 248.
- Philippe Vigier, La Seconde République, 6e édition corrigée, PUF, Paris, 1992, pp. 78-79.