Crise et mutations de l'État-Providence en France
- Wikipedia, 2/09/2011
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La crise et les mutations de l'État-Providence en France est une démarche d'analyse de l'État-providence.
Sommaire |
Origine
Vers 1980, de nombreux experts écrivent que l'État-providence keynésien est en crise. Ces thèses sont développées par Pierre Rosanvallon dans ses ouvrages, La crise de l'État-Providence et La nouvelle question sociale. Repenser l'État-Providence. Il s'agit d'une triple crise : financière, de légitimité et d'efficacité. Le "voile d'ignorance" (John Rawls) concernant les dépenses du Welfare State, acceptées pendant les Trente Glorieuses, s'est peu à peu déchiré. Or, vingt ans après, le système français de protection sociale existe toujours malgré les catastrophes annoncées. Au cours des années de crise, la nature des difficultés a changé pour passer d'une crise financière (déficit de la sécurité sociale) à des problèmes sociaux (exclusion) et politiques (blocage des réformes).
Le système français de protection peut être qualifié de bismarckien : les prestations sociales sont destinées aux travailleurs salariés et à leurs ayant droit, versées sous la forme de prestations contributives pour les retraites, les indemnités journalières maladie et les allocations chômage, proportionnellement aux salaires perçus précédemment. Elles sont financées par des cotisations versées par les employeurs et les salariés. Elles sont gérées au sein des caisses par un conseil d'administration où siègent des représentants des salariés et des employeurs. Mais, il existe aussi dans le système de protection sociale une composante beveridgienne qui relève de la solidarité nationale. Cette composante prend en charge ceux qui n'ont pas accès aux prestations d'assurance maladie.
Entre 1974 et 1986, les comptes du régime général de la sécurité sociale alternent déficits et soldes positifs (déficits entre 1974 et 1976, en 1978, 1981, 1982, 1982, 1986 et 1987). De 1990 et 1998, les déficits sont permanents pour atteindre des sommets entre 1993 et 1996 et depuis 2001. Plusieurs plans de redressement ont tenté de résoudre les problèmes financiers de la Sécurité Sociale en introduisant des mesures d'économie. Depuis le milieu des années 1970 jusqu'à leur institutionnalisation en 1996 (par la réforme constitutionnelle qui avait instauré le vote de la loi annuelle de financement de la sécurité sociale par le Parlement), les plans se sont succédé au rythme d'un tous les ans… sauf les années électorales.
Or, leur structure est toujours la même : il s'agit de faire baisser les dépenses en particulier les dépenses de santé (hausse de la part prise par les usagers dans les frais médicaux : ticket modérateur, forfait hospitalier) et d'augmenter les ressources (augmentations des taxes affectées comme les taxes sur le tabac, l'alcool et des cotisations sociales). Le plan de réforme de l'assurance-maladie présenté par Philippe Douste-Blazy en mai 2004 ne déroge pas à cette règle. Il prévoit :
- 5 milliards d'euros de nouvelles recettes obtenues par le relèvement de 0,13% à 0,16% du taux de la contribution sociale de solidarité sur les sociétés, le relèvement de 6,2% à 6,6% de la Contribution sociale généralisée des retraites imposables, la création d'une franchise d'un euro par consultation (sauf pour les jeunes de moins de 20 ans et les bénéficiaires de la CMU)
- 10 milliards d'euros d'économies sur l'offre de soins obtenus grâce au développement des génériques, le déremboursement des produits inefficaces et la lutte contre la surconsommation médicamenteuse à l'origine des 128 000 journées d'hospitalisation.
C'est le contexte économique qui amène la France à modifier sa politique de protection sociale en mettant en œuvre de véritables politiques de réduction des prestations notamment pour l'assurance-vieillesse.
En effet, la nécessité de respecter les critères de Maastricht à partir de 1996 et plus encore en 1997 avec le pacte de stabilité explique pour beaucoup l'annonce du plan Juppé en novembre 1995. Il s'inscrit encore dans la logique des plans de redressement de la sécurité sociale puisqu'il prévoit des mesures permettant d'augmenter les recettes : hausse de la CSG, création du CRDS (Contribution pour le remboursement de la dette sociale), augmentation des cotisations sociales des retraités et des chômeurs. Mais il prévoit aussi de réduire les dépenses : fixation d'un objectif quantifié d'augmentation des dépenses d'assurance-maladie, gel des prestations familiales. Il vise enfin à étendre aux régimes publics les mesures décidées en 1993 par Édouard Balladur pour les retraites de base du secteur privé. Seul ce dernier point sera abandonné du fait des protestations (grèves de 1995) mais il sera repris en 2003 par François Fillon (sauf pour les régimes spéciaux de la SNCF et de la RATP) :
- passage progressif dans le secteur public de 37,5 ans à 40 ans à l'horizon 2008 à raison de six mois par an,
- la durée de cotisation dans le secteur public doit augmenter après 2008 en fonction de l'allongement de l'espérance de vie pour être portée à 41 ans en 2012,
- mise en œuvre d'une décote sur 10 ans pour atteindre 5% par année manquante en 2013,
- surcote de 3% par année supplémentaire aussi bien dans le public que dans le privé,
- pour le privé, aucun salarié ayant une carrière complète ne devrait partir avec une retraite inférieure à 85% du SMIC net,
- le calcul de la pension se fera dans le secteur privé sur la base de 160 trimestres,
- les salariés ayant commencé à travailler très jeunes (14 ans) pourront partir à la retraite avant 60 ans à condition d'avoir cotisé 40 ans.
Le développement des prestations sous conditions de ressources
Une partie de la population reste exclue des prestations d'assurances sociales du fait de son incapacité à cotiser suffisamment ; elle doit donc compter sur les prestations sous conditions de ressources, les minima sociaux. Deux mesures ont joué un rôle important : le RMI créé en 1988 et la CMU adoptée en 1999 qui offre une couverture santé complémentaire aux plus démunis.
RMI et RMA
Fin 2003, 1,12 million de personnes percevaient le RMI. Un peu moins d'un quart des bénéficiaires le sont depuis moins d'un an mais 10% le sont depuis plus de 10 ans. Les effectifs ont plus que doublé depuis sa création en 1988. Seulement, un allocataire sur deux dispose d'un véritable contrat d'insertion. C'est pourquoi, face à l'"échec relatif" du RMI (F.Fillon), le dispositif a-t-il été complété en 2003 par la création du RMA afin d'activer la dépense du RMI. Il complète le RMI pour aider les allocataires à sortir de l'assistanat et éviter ainsi les phénomènes de "trappes à pauvreté". S'inscrivant dans le droit fil des politiques du Workfare et de l'État social actif (Active Welfare State), le RMA est réservé aux personnes qui perçoivent le RMI depuis au moins deux ans. Il s'agit d'un contrat de travail à temps partiel (de 6 à 18 mois) rémunéré à la hauteur du SMIC. Plus élevé que le RMI (411,70 euros pour une personne seule), le RMA vise à encourager l'insertion professionnelle des RMIstes et faciliter le retour à l'emploi. L'employeur reçoit une aide égale au montant du RMI et verse à l'allocataire le complètement qui lui permet d'atteindre le SMIC. En contrepartie, il ne paie des charges que sur ce différentiel...
ASS pour les chômeurs en fin de droit
Avec la réforme de 1992 de l'assurance-chômage, on est passé de 34 800 bénéficiaires de l'ASS (Allocation de solidarité spécifique) en 1992 à 467 000 en 1995 et 372 000 fin 2002. Ce minimum social, accordé aux chômeurs en fin de droit, est versé pour une durée limitée (trois ans pour ceux qui sont dans le dispositif et deux ans pour les nouveaux entrants). Fin janvier 2004, 264 000 chômeurs se sont vu priver de leur assurance-chômage (les fameux "recalculés") en raison de la signature en décembre 2003 de la convention réduisant de 30 à 23 mois la durée d'affiliation aux Assedic. Dès lors, ils ont basculé dans l'ASS (pour une durée de deux ans). Les revers de la majorité aux élections régionales ont conduit le chef de l'État de "demander au gouvernement de suspendre la mise en œuvre de la mesure relative à l'ASS". Pour ceux qui ne peuvent même plus être couverts par le régime de solidarité du système d'indemnisation du chômage (ASS), le RMI (puis le RMA) vient jouer un rôle de "dernier filet de sécurité".
Couverture Maladie Universelle
La CMU améliore l'accès des plus démunis au système de soin de santé et garantit que personne ne se trouve sans protection sociale. La CMU s'inscrit dans le droit fil de la loi contre les exclusions (juillet 1998). Elle se pose donc en recours face à la réduction progressive de la couverture maladie offerte par les régimes légaux aussi bien du point de vue du nombre de personnes remboursées que du niveau de remboursement. Au 31 mars 2002, la CMU bénéficiât à 1,3 million de personnes pour la couverture de base soit 2% de la population et à 4,6 millions pour la couverture complémentaire soit 7,7% de la population.
Au total, l'étude de la DREES (Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques) publiée en décembre 2003 estime à 3,3 millions, le nombre de personnes bénéficiant des minima sociaux. Avec les conjoints et les enfants des bénéficiaires, on approche les 6 millions de personnes soit 10% de la population française.
Cette séparation entre, d'un côté les assurances et de l'autre la solidarité contribue à dualiser le système français de protection sociale. Elle est double. D'une part, elle sépare les populations couvertes en deux groupes : ceux qui relèvent de l'assurance (ayant suffisamment contribué pour bénéficier des prestations) et ceux qui relèvent de la solidarité (ne devant compter que sur les prestations versées sous conditions de ressources, RMI, ASS...). D'autre part, cette distinction divise aussi le système en deux groupes de secteurs : ceux relevant des assurances sociales dans une logique bismarckienne (retraites, chômage) et ceux relevant d'une logique non contributive (logique béveridgienne), financée par l'impôt et servant des prestations forfaitaires (familles, politiques de lutte contre la pauvreté et l'exclusion).