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Affaire de Hautefaye

- Wikipedia, 19/01/2012

L'affaire de Hautefaye, parfois appelée « drame de Hautefaye », est relative au supplice et la mise à mort par immolation d'Alain de Monéys, lors d'une foire dans le village de Hautefaye en Dordogne, le 16 août 1870, et au procès des responsables qui s'ensuivit.

Cette affaire se situe dans le contexte de la guerre franco-allemande et des passions exacerbées qu'elle a provoquées dans la population de ce petit village, suite à un malentendu. Alain de Monéys a en effet été pris pour un Prussien. Les rumeurs de cannibalisme dues à des propos attribués au maire du village et à des actes supposés des villageois ont amplifié le caractère barbare de l'événement.

Plusieurs ouvrages ont été consacrés à cette affaire. Pour l'historien Georges Marbeck, elle symbolise le meurtre ritualisé du bouc émissaire[1], alors que pour Alain Corbin, les raisons tiennent davantage à la haine des paysans envers la noblesse.

Sommaire

Contexte historique et politique

L'affaire se déroule en août 1870, un mois après la déclaration de guerre à la Prusse par la France (le 15 juillet 1870). Les premières informations de défaites sur le front de Lorraine, à Wissembourg, Forbach et Frœschwiller ont été annoncées les 5 et 6 août. Pour Alain Corbin, la décision du gouvernement de restreindre l'information à la suite de ces défaites a pour conséquence la propagation de rumeurs colportant la présence d'espions prussiens dans les alentours et la collusion entre les nobles et les prêtres pour conspirer contre l'Empire. Ceci provoque l'inquiétude de l'opinion et même des mouvements de peur collective[2].

Plusieurs incidents ont lieu. À quelques jours près, à Châtellerault, un employé des chemins de fer est molesté pour être soupçonné d'être un espion à la solde de l’ennemi[3]. Ces inquiétudes et ces rumeurs, associées aux conséquences de la sécheresse qui frappe la région en 1870, font partie des bruits qui se propagent dans le village et sur le foirail, lors de la foire annuelle aux bestiaux de Hautefaye, occasion de réunion et de négoce des habitants du village et des communes voisines.

L'affaire

Les protagonistes

La victime, Alain Romuald de Monéys d'Ordières, est le fils d'Amédée de Monéys, ancien maire de Beaussac. Il gère le domaine du château de Brétanges situé entre Hautefaye et Beaussac. Célibataire âgé de 32 ans, sa constitution physique l'a exempté des obligations militaires, et notamment de la conscription qui survient en 1870, suite à la menace prussienne. Cependant, il fait lever cette immunité, ayant manifesté le désir de s'engager pour son pays[4]. Il est membre du conseil municipal depuis 1865 et premier adjoint de la commune. Sa famille possède 80 hectares de terres à Hautefaye[5]. C'est au titre de gérant du domaine qu'il se rend à la foire de Hautefaye le 16 août 1870.

Les principaux responsables du massacre, désignés comme tels par la justice, sont des habitants de Hautefaye et des villages voisins, venus à la foire. Ils sont : François Chambord, 33 ans, maréchal-ferrant à Pouvrière en Charente (près de Souffrignac, à 9 km de Beaussac), considéré comme le meneur du groupe, et comme les autres principaux agresseurs, ne connaissant pas personnellement la victime[6] ; Léonard dit « Piarrouty », 53 ans, qui est chiffonnier à Nontronneau ; Pierre Buisson dit « Arnaud » ou « Lirou », 33 ans, cultivateur ; François Mazière dit « Silloux », 29 ans, métayer ; et les frères Étienne et Jean Campot, agriculteurs à Mainzac.

Ceux qui ont tenté de protéger et de défendre Alain de Monéys sont : l'abbé Victor Saint-Pasteur, curé de Hautefaye ; Philippe Dubois, scieur de long de Hautefaye ; Georges Mathieu, artisan de Beaussac ; et Pascal, le domestique du château de Bretanges.

Premier incident

L'affaire débute par un incident dont le protagoniste est Camille de Maillard de Lafaye, cousin d'Alain de Monéys, âgé de 26 ans, fils du maire de Beaussac et affichant des positions légitimistes. Il est la victime d'un premier malentendu, sans conséquences pour sa personne mais dont la répétition touche par la suite Alain de Monéys.

Après avoir lu les dépêches sur la bataille de Reichshoffen, il annonce aux villageois présents que l'armée française est obligée de reculer. Il est alors pris à partie par des habitants présents et accusé de colporter de fausses nouvelles, d'être à la solde des Prussiens enfin. Tentant d'expliquer et de clarifier ses propos, il est alors accusé d'avoir crié « Vive la République ! ». Les esprits s'échauffant, des mouvements d'hostilité à son encontre deviennent de plus en plus vifs. Il réussit toutefois à prendre la fuite grâce à l'intervention de son métayer.

Lors du procès de l'un des meurtriers d'Alain de Monéys, François Mazière explique que quelques jours auparavant, le 9 août, pendant une foire à Charras, il a entendu Maillard déclarer que : « L'Empereur est perdu, il n'a plus de cartouches. » Indigné par ces propos, Mazière regrette que ce jour-là il n'ait pu lui « faire son affaire ». Pour Corbin cela suppose qu'il y a eu ce 16 août, date de la mise à mort de Monéys, préméditation évidente. Selon Corbin, la fuite de Maillard a obligé les habitants suspicieux et échauffés à se rabattre sur de Monéys, en faisant une victime substitutive[7].

Second incident

Dans la chronologie des faits, la venue d'Alain de Monéys sur les lieux de la foire de Hautefaye, à 2 heures de l'après-midi, se situe après la fuite de Camille de Maillard. Peu après son arrivée à la foire, il voit s'approcher des paysans armés de bâtons. S'enquérant de la situation, il apprend d'un colporteur nommé Brethenoux surnommé « le Mexicain » (car il a participé à la campagne du Mexique), que son cousin, Camille de Maillard, a crié « À bas Napoléon ! Vive la République ! »[8]. Refusant de croire les propos de Brethenoux, Monéys accompagne le paysan sur le lieu de l'incident afin de vérifier si d'autres témoins confirment les faits. Parmi ceux-ci se trouvent : Le Cussou, Pinard, Mazière, les frères Campot, Buisson, qui, tous, confirment les dires de Brethenoux. Le groupe se rassemble alors autour d'Alain de Monéys qui continue de défendre son cousin.

Refusant toujours d'admettre que Maillard ait put prononcer ces paroles, Monéys est alors pris à partie par le groupe, de plus en plus nombreux et hostile. Confondu par certains avec Maillard, il devient alors le centre de l'incident et est accusé à son tour d'avoir crié « Vive la République ! », d'être un traître et un Prussien[9]. Malgré ses dénégations (il assure être du côté des paysans et qu'il va lui-même s'engager pour combattre les Prussiens), le groupe profère les premières menaces de mort et porte les premiers coups[10].

Le supplice

Tentative de pendaison

Malgré les tentatives pour dissiper le malentendu et démontrer sa bonne foi, Alain de Monéys se retrouve entouré par les paysans, de plus en plus hargneux. L'un d'eux, Buisson, crie : « C'est un Prussien, il faut le pendre, il faut le brûler ! »[11]. Les frères Campot portent les premiers coups ; c'est l'acte qui sonne le déclenchement de l'agression collective. Se protégeant des coups, criant « Vive l'Empereur ! » afin de calmer l'assemblée, Alain de Monéys se trouve vite débordé et malmené. L'abbé Saint-Pasteur, curé de Hautefaye, intervient, un pistolet à la main, pour le secourir. Mais, face à la détermination des agresseurs et sentant que lui-même va être exposé à la fureur grandissante du groupe, il doit se réfugier dans le presbytère. Il tente une diversion en proposant aux paysans de l'accompagner pour boire à la santé de l'Empereur, ce que fait une partie d'entre eux.

Interviennent alors Philippe Dubois et Georges Mathieu (neveu du maire de Hautefaye) qui tentent de soustraire Monéys aux assauts répétés des paysans, mais, eux aussi submergés par la multitude, ne réussissent pas à mettre à l'abri le noble déjà atteint par des coups de sabots, de bâtons et d'aiguillons. Ils veulent le faire entrer dans la maison du maire, Bernard Mathieu, ce dernier en interdit l'entrée de peur que les forcenés y fassent irruption et brisent sa vaisselle[12],[13]. Les protecteurs, à leur tour, ne peuvent s'interposer plus longtemps au groupe. Mazière et Buisson s'emparent ensuite de la victime et le livrent à nouveau à la furie des paysans rassasiés du vin offert par le curé.

Le groupe, sous la direction de Chambord, projette un premier temps d'amener Monéys aux autorités, mais, face à la passivité du maire du village, les paysans décident de le pendre à un cerisier. Alain Corbin souligne que l'absence d'autorité du maire à cet instant permet à Chambord de devenir le chef de l'entreprise punitive : celui-ci va jusqu'à se prétendre membre du conseil municipal de Hautefaye, ce qui l'autorise à prendre des initiatives[14]. La tentative de pendaison échoue, du fait de la fragilité des branches de l'arbre ; il est décidé de le battre à mort.

Tortures

Dès lors, l'intention de faire durer le supplice avant la mise à mort d'Alain de Monéys est effective. Chambord harangue le groupe : « Avant de faire périr le Prussien, il faut le faire souffrir »[15]. Les tortionnaires ménagent des moments de répit à la victime avant de revenir à la charge[16]. Il est traîné dans le local qui sert d'atelier au maire, qui est aussi maréchal-ferrant. Les assaillants l'attachent fortement avec des sangles sur le travail à ferrer, tandis qu'il est violemment frappé au visage et aux jambes à coups de sabot et de bâton par Bouillet dit « Déjeunat »[17]. Corbin indique que peu d'éléments sur cet épisode ont pu ressortir des interrogatoires et des témoignages[18]. Se rendant à la foire pour rejoindre son maître, Pascal, le serviteur des Monéys, alerté par les cris et prévenu par Mathieu et Dubois, accourt pour délivrer Alain de Monéys de l'atelier, profitant de l'absence temporaire des assaillants[19]. Le retour du groupe fait cependant échouer la nouvelle tentative de secours. À nouveau battu, Monéys est alors atteint à la tête par un coup très violent que Piarrouty lui assène avec sa balance à crochet, et que certains témoins croient mortel[18].

Sur l'insistance des protecteurs de la victime, le maire propose de le faire entrer dans son étable à moutons. Alain de Monéys est mis à l'abri et soigné par Dubois. L'acte d'accusation mentionne qu'à cet instant : « il se crut cependant sauvé. Il voulait qu'on achetât une barrique de vin pour faire donner à boire à ceux qui le poursuivaient ». Mais la pression extérieure du groupe mené par Chambord finit par avoir raison de la porte, qui cède au moment où Monéys, sur les conseils de Dubois, essayait de changer ses vêtements par une blouse pour tenter de fuir en passant inaperçu[18].

Les frères Campot se saisissent de la victime qu'ils livrent aux violences des paysans, qui atteignent leur paroxysme. Selon des témoins, la tête d'Alain de Monéys « était comme un globe de sang ». Il est porté vers le foirail, mais Dubois tente de le faire entrer dans l'auberge. L'aubergiste ferme la porte sur la cheville de la victime qui avait commencé à entrer et qui s'effondre sous la douleur. Il est considéré comme mort, mais dans un sursaut inattendu, les témoins le voient se relever de lui-même, se diriger vers une grange pour prendre un pieu et le pointer vers le groupe des forcenés[20],[21]. Jean Campot réussit sans difficulté à désarmer Monéys et retourner le pieu contre la victime, qui se traîne sous une charrette. Aussitôt Monéys extirpé, Pierre Buisson lui porte avec un pieu un coup à la nuque qui, pour les témoins, fut le coup mortel[20]. Dès cet instant, selon toute vraisemblance, c'est sur un moribond, voire un cadavre, que la foule s'acharne, chacun voulant participer à la curée qui dure environ dix minutes[22]. Corbin indique qu'à part le crochet de Piarrouty et une fourche, aucune arme tranchante, ni couteau ni hache, ne fut utilisée. Après le battage de la dépouille, Mazière et Jean Campot prennent chacun une jambe de la victime dans l'intention de l'écarteler, mais ils ne réussissent qu'à le déchausser[23],[24].

L'immolation

Mazière et Campot se saisissent chacun d'Alain de Monéys par une jambe et le traînent en direction d'une ancienne mare, que les habitants nomment « le lac desséché » et où il est de coutume de fêter la Saint-Jean. Ils sont suivis par le cortège formé par les paysans et le maire ceint de son écharpe. Alcide Dusolier, ami d'enfance d'Alain de Monéys et qui s'est rendu sur les lieux du massacre le lendemain[25], évoqua ce moment dans un texte de 1874 : « On le traînait par les jambes à travers les ruelles du bourg, sa tête sanglante sonnait sur les cailloux, son corps déchiré sautait de droite et de gauche : Vive l'Empereur, Vive l'Empereur ! »[26]

Arrivés sur les lieux, ils jettent le corps dans la mare asséchée. Sous la direction de Chambord, on va chercher des fagots, des branchages, et des débris. Chambord prend une botte de paille à un agriculteur, tout en lui promettant le remboursement par l'Empereur[27]. Entassés sur le corps, qui aux dires de certains témoins bouge encore[28], les fagots et le foin sont tassés par Chambord et Campot. Dans une ultime tentative, Dubois essaie d'empêcher l'irréparable de se produire, mais il est pris en chasse par une dizaine de paysans et est forcé de s'échapper.

Personne n'ayant d'allumettes, Chambord va chercher[28], ou fait chercher par le jeune Thibassou[27], un paquet d'allumettes, et demande à trois enfants de mettre le feu au tas de fagots et de foin. Le bûcher s'embrase sous les vivats de l'assistance criant « Vive l'Empereur ! »[29]. Un nommé Duroulet commente l'immolation par ces mots : « Voyez comment cela grille bien ! »[30] Un nommé Besse ajoute, voyant la graisse s'écouler du corps en train de se consumer : « dommage que toute cette graisse soit perdue »[30],[28], un autre allume sa cigarette sur les braises du bûcher[31].

Corbin constate qu'entre le début du supplice et son dénouement tragique il se déroula exactement deux heures, et explique cette gestion du temps « implicitement calculée » par un désir de diluer la responsabilité collective, afin que chacun puisse participer au massacre[32].

Après le massacre

Les réactions et conséquences

Le soir du drame les habitants des alentours sont déjà au courant du massacre de Hautefaye. Certains protagonistes se vantent de leurs actes, Piarrouty parle des trois coups de balance qu'il a assénés à la victime, madame Antony raconte que son métayer Mazière, était revenu exalté de Hautefaye en lui disant « Oui, nous avons tué et cramé le Prussien, je l'ai frappé et je ne m'en repens pas. Il ne voulait pas crier "Vive l'Empereur !" »[33]. D'autres espèrent une récompense, Pierre Sarlat et le tailleur de pierre François Cholet croient qu'ils seront payés par l'Empereur pour avoir brûlé Monéys[34].

Les châtelains du voisinage épouvantés par l'affaire craignent le retour des jacqueries et certains, dont les Monéys, se constituent en groupes de défense pour faire face à une éventuelle attaque des paysans. Cette peur affecte même la ville de Nontron, qui craint un épisode similaire aux jacqueries des croquants qui ont touché le Périgord au XVIIe siècle[35]. Marbeck constate qu'à la psychose des « gentilshommes prussiens » qui fut à l'origine du massacre de Hautefaye, répond la psychose des « fourches levées »[36].

Deux jours après les faits, la presse régionale se fait l'écho du drame. Le Charentais du 18 août puis le Nontronnais du 20, parlent d'actes de sauvagerie, de barbarie, le Nontronnais utilisant le terme de cannibales pour qualifier les paysans. La presse nationale avec le Moniteur universel du 23 août relate également le drame[37].

L'affaire remonte jusqu'au gouvernement, le 20 août, le ministre de l'Intérieur Henri Chevreau répondant à l'interpellation d'un député sur les soulèvements paysans qui se déclarent dans le pays, condamne le supplice de Hautefaye : « un acte de sauvagerie a été accompli récemment à Nontron et sera l'objet de la réprobation générale. Un citoyen a été brûlé au milieu d'une population qui n'a pas eu l'énergie de s'opposer à un crime aussi odieux. »[38].

Le 27 août, Bernard Mathieu est destitué en public de sa fonction de maire de Hautefaye, sur décret daté du 24 août, par le préfet de la Dordogne et est remplacé à titre provisoire par son conseiller municipal Élie Mondout.

Un nouveau palier dans l'opprobre sur le village est atteint quand à la chute de l'Empire, Alcide Dusolier devenu sous-préfet républicain de la Dordogne, voyant dans ce village un foyer de rébellion bonapartiste, préconise au préfet de rayer Hautefaye de la carte en effaçant son nom et en l'annexant comme arrondissement à Nontron. La proposition est transmise au ministre de l'Intérieur. Mais face à l'opposition du maire par intérim et ensuite de Martial Villard, le nouveau maire — qui objectent que le droit ne reconnaissant que la responsabilité pénale individuelle, il ne saurait incriminer tout un village pour des actes commis par des individus qui n'étaient pas tous originaires de Hautefaye — le projet de débaptiser le village est abandonné[39].

Rumeur de cannibalisme

Le supplice s'est déroulé en pleine foire au bétail, et plusieurs participants du massacre utiliseront des métaphores relatives à l'abattage des bêtes, et à la tuerie du porc ; l'un d'eux raconte « Nous avons fait griller à Hautefaye un fameux cochon »[40]. Le fantasme de paysans cannibales prend forme dans la presse, en particulier le Nontronnais du 20 août qui désigne sous ce qualificatif les émeutiers du foirail, relayée par les villageois des environs et les nobles dont l'oncle d'Alain de Monéys qui évoque la menace des « cannibales » dans une lettre du 22 août 1870[39].

La rumeur de cannibalisme, prend une forme précise lors du procès, à partir de phrases attribuées à deux des protagonistes lors du massacre. L'un des témoins, le couvreur Jean Maurel âgé de 78 ans, affirma avoir entendu le maire Bernard Mathieu répondre à la foule qui manifestait l'intention de faire brûler et manger la victime, « faites ce que vous voudrez, mangez-le si vous voulez ! »[41]. Ce que le maire nia farouchement lors de la confrontation avec le témoin qui retira ses accusations[39]. Sur la base d'un autre témoignage, furent aussi évoqués les propos de Besse qui regrettait de voir s'écouler la graisse du corps de la victime sans pouvoir la recueillir. Lors de cette audience, deux pierres plates ayant conservé des traces de graisse furent présentées comme pièces à conviction[31].

Enquête et arrestation

Le corps calciné d'Alain de Monéys fut déposé entre deux draps dans l'église de Hautefaye. Le docteur Roby-Pavillon, qui en fit l'autopsie, rédigea le soir du 16 août le rapport qui décrit l'état de la dépouille : « Cadavre presque entièrement carbonisé et couché sur le dos, la face un peu tournée vers le ciel, à gauche, les membres inférieurs écartés, la main droite raidie au-dessus de la tête, comme pour implorer, la main gauche ramenée vers l'épaule correspondante et étalée, comme pour demander grâce ; les traits du visage exprimant la douleur, le tronc tordu et ramené en arrière »[42]. De l'examen du corps, le médecin établit qu'il fut immolé de son vivant et qu'il mourut des suites de l'asphyxie et des brûlures, et qu'auparavant il fut blessé par des objets contondants, piquants et tranchants. La blessure du crâne fut portée par un individu posté derrière Monéys, tandis qu'il était debout, et il fut traîné encore vivant. Roby-Pavillon conclut que « l'ensemble de ces blessures aurait inévitablement amené la mort »[43].

Les gendarmes de Nontron dépêchés sur les lieux et dans le voisinage, procèdent aux premières arrestations. Une cinquantaine de personnes sont interpellées et interrogées par le juge Marchenaud[38]. Le 19 août, Charles Boreau-Lajanadie, procureur général de la Cour impériale de Bordeaux, se déplace en personne sur les lieux du meurtre[44] et se charge de l'instruction de l'affaire.

Le 18 septembre, les prévenus quittent la prison de Nontron pour Périgueux afin d'être informés des charges retenues contre eux lors de la session extraordinaire des assises prévue pour le 26 septembre, mais celle-ci est ajournée et renvoyée au 18 octobre. Une proclamation est rédigée par Alcide Dussolier afin de dissiper des rumeurs d'amnistie dont les prévenus auraient bénéficié, dues à la proclamation de la République. Elle est affichée dans les rues de Nontron et donne le nom des inculpés :

«  Les inculpés, au nombre de vingt et un, ont été transférés ce matin de notre maison d'arrêt au chef-lieu du département, sous l'escorte de la gendarmerie.

Voici les noms par ordre alphabétique : 1. Beauvais, dit Roumaillac, scieur de long à Vieux Mareuil ; 2. Besse dit Duroulet, terrassier à Javerlhac ; 3. Brouillet dit Déjeunat, propriétaire aux Grézilles, commune de Feuillade (Charente) ; 4. Brut, maçon à Fayemarteau, commune d'Hautefaye ; 5. Buisson, dit Lirou, à Feuillade (Charente) ; 6. Campot (Etienne), cultivateur à la Chabrie, commune de Mainzac (Charente) ; 7.Campot (Jean), cultivateur à la Chabrie, commune de Mainzac (Charente) ; 8. Chambort, maréchal-ferrant à Pouvrière, commune de Souffrignac (Charente) ; 9. Delage, dit Lajou, cultivateur à Doumeyrat, commune de Grassac (Charente) ; 10. Feytou (Girard), mineur à Frontoubade, commune de Lussas ; 11. Frédéric (Jean), maçon à Beaussac ; 12. Lamongie (Léonard), cultivateur au Grand-Gilou, commune d'Hautefaye ; 13. Léchelle, dit Pinart, cultivateur à Frontoubade, commune de Lussas ; 14. Léonard (François) dit Piarrouty, chiffonnier à Nontronneau commune de Lussas ; 15. Licoine (Roland), cultivateur à Feuillade (Charente) ; 16. Limay (André), dit Thibassou, commune de Mainzac (Charente) ; 17. Mazière, cultivateur à Plambeau, commune d'Hautefaye ; 18. Murguet, à la Forêt, commune de Souffrignac ; 19. Sallat père, cultivateur au Grand-Gilou, commune d'Hautefaye ; 20. Sallat fils, cultivateur au Grand-Gilou, commune d'Hautefaye ; 21. Sarlat, dit Lamy, tailleur d'habits à Nontronneau commune de Lussas[45]. »

Les 21 inculpés comparaissent au tribunal de Périgueux le 13 décembre, après le rejet de leur pourvoi en cassation.

Le procès et l'exécution des coupables

Le procès se déroule du 13 au 21 décembre au palais de Justice de Périgueux, sous la présidence du juge Brochon, et connaît une grande affluence. Le premier jour du procès, l'acte d'accusation détermine la responsabilité directe de Chambord, Buisson, Jean Campot, Léonard dit Piarrouty et Mazière comme auteurs de l'homicide commis avec préméditation. Les autres accusés, dont Étienne, le frère de Jean Campot, sont jugés pour complicité pour avoir aidé les auteurs du meurtre, donné des coups ou pour les avoir encouragés[46].

Les jours suivants, jusqu'au 17 décembre, sont destinés à l'audition des témoins, l'un des témoignages les plus importants étant celui de l'ancien maire Bernard Mathieu. L'accusation et la défense insistent sur le manque de courage et la non-assistance dont il fit preuve lors du drame, appuyés par les témoignage de Mme Anthony et du couvreur Jean Maurel qui reviennent sur les propos qu'il prononça aux paysans[47].

Lors du procès on présente les pièces à convictions : deux pierres prélevées dans le bûcher montrant des taches de graisses, et la balance à crochet de Piarrouty une des armes du meurtre, ainsi que la cravache que possédait Alain de Monéys.

Le 21 décembre après délibération du jury, la cour condamne Chambord, Buisson, Piarrouty et Mazière à la peine de mort. Jean Campot bénéficie d'une erreur du jury et se voit condamné à une peine de travaux forcés à perpétuité[48]. Les autres accusés sont condamnés pour les plus lourdes peines à huit ans de travaux forcés, et pour les plus légères à des peines d'un an de prison. L'un des accusés, Thibaud Limay dit Thibassou, est acquitté mais, en raison de son jeune âge, envoyé en maison de correction jusqu'à vingt ans. La justice ordonne que l'exécution se déroule sur la place publique de Hautefaye. Le 25 décembre peu après la fin du procès, probablement pris de remords selon Georges Marbeck, Bernard Mathieu ancien maire de Hautefaye meurt en Charente[49].

Le 26 janvier 1871, le pourvoi en cassation des quatre condamnés à mort est rejeté, ainsi que la demande de grâce qui parvient le 30 janvier au ministère de la Justice[50].

La guillotine devait être initialement installée au lieu de l'ancienne mare desséchée où s'était déroulée l'immolation d'Alain de Monéys, mais le terrain étant trop accidenté, l'échafaud est dressé le matin du 6 février dans la halle aux bestiaux. Le bourreau Jean-François Heidenreich ayant refusé de se déplacer, il envoie son premier aide, Nicolas Roch, présider à l'exécution. Les quatre condamnés sont exécutés dans l'ordre suivant : Piarrouty en premier, suivi de Buisson, Mazière, et puis Chambort[51].

Commémoration

En 1953, Noémie Lavaud qui fut la dernière personne à avoir été témoin de l'affaire de Hautefaye, meurt à l’âge de 92 ans. Un siècle après l'affaire, le 16 août 1970, une messe de pardon fut célébrée dans l'église du village en présence des descendants de la victime et de ceux des quatre condamnés[52]. Francis Donnary, maire du village depuis 1977, a proposé de faire installer une stèle commémorative pour marquer l'événement, mais a abandonné le projet, « car il y a encore une honte dans ce village » explique-t-il[53].

Notes et références

  1. Georges Marbeck, 1982, avant-propos, p. 8.
  2. Alain Corbin, 1995, p. 59.
  3. Alain Corbin, 1995, p. 63.
  4. Alain Corbin, 1995, p. 88.
  5. Alain Corbin, 1995, p. 90.
  6. Alain Corbin, 1995, p. 89.
  7. Alain Corbin, 1995, p. 88-89.
  8. Georges Marbeck, 1982, p. 225.
  9. Georges Marbeck, 1982, p. 256.
  10. Georges Marbeck, 1982, p. 257.
  11. Georges Marbeck, 1983, p. 257.
  12. Alain Corbin, 1995, p. 96, 103.
  13. Georges Marbeck, 1983, p. 266.
  14. Alain Corbin, 1995, p. 90, 96.
  15. Alain Corbin, 1995, p. 96.
  16. Alain Corbin, 1995, p. 107.
  17. Georges Marbeck, 1982, p. 266.
  18. a, b et c Alain Corbin, 1995, p. 97.
  19. Georges Marbeck, 1982, p. 270
  20. a et b Corbin 1995, p. 99
  21. Marbeck 1982, p. 279
  22. Corbin 1995, p. 106
  23. Corbin 1995, p. 101
  24. Marbeck 1982, p. 281
  25. Marbeck 1982, p. 292
  26. Dusolier 1874, p. 17
  27. a et b Marbeck 1982, p. 282
  28. a, b et c Corbin 1998, p. 109
  29. Marbeck 1982, p. 283
  30. a et b Marbeck 1982, p. 284
  31. a et b Corbin 1998, p. 111
  32. Corbin 1998, p. 107
  33. Marbeck 1982, p. 290
  34. Corbin 1998, p. 113
  35. Corbin 1998, p. 142
  36. Marbeck 1982, p. 289
  37. Corbin 1998, p. 140
  38. a et b Marbeck 1982, p. 294
  39. a, b et c Corbin 1998, p. 148
  40. Corbin 1998, p. 110-111
  41. Marbeck 1982, p. 348
  42. Ponsac 1870, p. 4 cité par Corbin 1998, p. 141
  43. Marbeck 1982, p. 355
  44. Corbin 1998, p. 112
  45. cité par Marbeck 1982, p. 310
  46. Marbeck 1982, p. 341
  47. Marbeck 1982, p. 346
  48. Marbeck 1982, p. 368
  49. Marbeck 1982, p. 369
  50. Marbeck 1982, p. 378
  51. Marbeck 1982, p. 399-400
  52. Marbeck 1982, p. 409
  53. Stéphane Vacchiani, Cannibales d'un jour in Le Point 14 mai 2009 p. 110

Bibliographie

Ouvrage utilisé pour la rédaction de l'article : Ouvrage utilisé comme source pour la rédaction de cet article

Documents d'époque

  • Charles Ponsac, Le Crime d'Hautefaye : Assassinat de M. de Monéys brûlé vif par des paysans bonapartistes, vingt et un accusés, quatre exécutions capitales, Impr. Viéville et Capiomont, 1871 
  • Alcide Dusolier, Ce que j'ai vu du 7 août 1870 au 1er février 1871 : l'agonie de l'empire, le 4 septembre, le dictateur Gambetta, Paris, E. Leroux, 1874 [lire en ligne (page consultée le 22 mars 2010)] 
  • Georges Marbeck, Cent documents autour du drame de Hautefaye, Périgueux, Pierre Fanlac, 1983 (ISBN 2-86577-042-7) 

Monographies historiques

Romans

Voir aussi


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