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Henri Lafont

- Wikipedia, 23/01/2012

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Henri Lafont, de son vrai nom Henri Chamberlin, est né à Paris en 1902 et mort à Arcueil le 26 décembre 1944. Il fut le chef de la Gestapo française (la Carlingue) durant l'occupation allemande de la Seconde Guerre mondiale.

Sommaire

Jeunesse

Il grandit dans un milieu populaire. Son père était mort et sa mère l'abandonna. Il traînait souvent dans le quartier des Halles à Paris.

À l'adolescence, il exerce de nombreux métiers, de manœuvre à coursier.

En 1919, il vole la bicyclette de son patron qui lui a confisqué un pourboire et décide de partir sur la Côte d'Azur. Il est rapidement arrêté et passe devant le tribunal qui le condamne à la maison de correction. Il voyage à travers la France, de Chambéry au Havre en passant par Marseille où il est de nouveau condamné, mais pour proxénétisme.

En 1932, il fait son service militaire dans les tirailleurs algériens, puis il se marie et aura deux enfants, Pierre et Henriette. Il commence une vie tranquille avec un travail régulier. Mais un nouveau coup dur s'annonce avec la fuite de sa femme qui part avec la caisse du magasin où il travaille. Il est responsable de la caisse ; la justice lui demande des comptes. Il décide de prendre la fuite et change de nom. Jusqu'à la fin de 1940, il est condamné onze fois à des peines de prison.

De Chamberlin à Lafont

Au début de 1940, Chamberlin s'appelle Lafont, il est gérant d'un garage Simca à la Porte des Lilas où il noue quelques contacts avec des policiers. En mars, il réussit à devenir gérant du mess de l'Amicale de la préfecture de la police. En mai, il est poursuivi et arrêté pour insoumission, mais, comme la Wehrmacht approche, il est transféré au camp de Cepoy. Dans le camp, il y a des personnes diverses et quelques Allemands.

En juin 1940, c'est la défaite puis l'armistice et l'exode des populations du nord vers le sud de la France. Le désordre du camp permet à Lafont de s'évader assez facilement avec deux Allemands pour compagnons.

« Pourquoi ne pas travailler avec nous ? »

Les deux Allemands font partie de l'Abwehr et comme ils sympathisent avec Lafont, ils lui proposent de venir avec eux à Paris. « Nos services viennent d'arriver à l'Hôtel Lutetia. Pourquoi ne pas travailler avec nous ? »

Lafont dira plus tard à l'un de ses avocats :

« Au début, cette histoire d'Allemands ne me plaisait guère. Si les gars d'en face, les résistants, m'avaient proposé quelque chose, je l'aurais fait. Il n'y a pas de doute. Et je n'aurais pas fait de cadeaux aux fritz ! Seulement voilà, à l'époque, des résistants, j'en ai pas connu, j'en ai pas vu la couleur. Je ne savais même pas ce que c'était. C'est à cela que tient le destin d'un homme : un petit hasard, une histoire d'aiguillage. Ou alors c'est la fatalité! »

Il crée un bureau d'achats pour le compte de la Wehrmacht. Il achète toute sorte de produits, des vêtements aux meubles en passant par les denrées alimentaires. Il joue les utilités et se fait remarquer par Otto Brandl et le capitaine Radecke de la Wehrmacht. Les affaires marchent bien, mais les locaux deviennent exigus. Il déménage deux fois pour finalement s'installer au 93, rue Lauriston, dans un immeuble qui appartenait à un juif américain d'origine polonaise ayant fui en 1940 pour les États-Unis. Lafont décide de s'entourer d'une bande, mais recrutée à sa manière, c’est-à-dire composée d'ancien détenus de droit commun.

En août 1940, en compagnie de Radecke, il va à la prison de Fresnes muni d'un laissez-passer. Il choisit vingt-cinq hommes : « T'es libre!… mais tu m'appelleras patron. »

Quelques jours plus tard et grâce à « Otto », il obtient sa carte de policier allemand no 10 474R

« Les petits chefs de la collaboration font des discours, moi j'agis. Vous jugerez sur pièces », dit Lafont à Radecke. Pour son premier coup, il part à Toulouse où il arrête un espion belge, Lambrecht, qu'il torture de ses propres mains, le ramène à Paris dans le coffre de sa voiture pieds et poings liés. Le résultat aboutit à l'arrestation d'un réseau de 600 personnes.

« Tout le monde est à vendre, il suffit de savoir acheter. »

Sa bande se compose d'une centaine de permanents sur lesquels il règne en maître. Il instaure un système d'amendes pour ceux qui feraient des écarts aux règles édictées, pouvant aller jusqu'à la peine de mort.

Il n'y a pas que des gangsters et autres malfrats, mais aussi des policiers, dont le plus connu, l'ancien « premier policier de France » Pierre Bonny, devient le second de Lafont.

Échec à Alger

Vers la fin de l'année 1940, Hermann Brandl demande à Lafont de faire passer un agent de liaison en Afrique du Nord pour y installer un émetteur clandestin en communication avec les services allemands. Lafont s'installe avec son équipe au Cap Doumia près d'Alger. Mais deux des complices sont arrêtés par la police, et la mission échoue. Lafont est condamné à mort par contumace.

Affairisme et tortures

Les activités exercées prennent plusieurs directions dont, la lutte contre la résistance avec, à leur actif de nombreux réseaux démantelés.

Les services excellent dans les interrogatoires : arrachage des ongles, limage des dents, nerf de bœuf, coup de poing, de pied, brûlure à la cigarette ou au fer à souder. Mais aussi le supplice de la baignoire glacée, de l'électricité, etc.

Début 1942, il s'entend avec le "Devisen Schütz Kommando" (Détachement pour la mise en sûreté des devises, DSK) installé au 5 rue Pillet-Will chargé des devises et de la lutte contre le marché noir. Dans les trafics, il obtenait jusqu'à 20 % de commissions.

Il s'agit de s'introduire dans la bonne société, de mettre en confiance ses interlocuteurs, de se concentrer sur les personnes ayant des ennuis et désireuses de cacher de l'argent en Suisse ou d'obtenir des laissez-passer. Lors du rendez-vous, les membres de l'équipe sortent leur carte de police allemande ou française et négocient le rachat de devises, d'or de meubles à des prix bradés. Quand il s'agit d'un Juif, tout lui est confisqué, puis il est emmené au SD de l'avenue Foch.

La chasse aux trafiquants est des plus motivantes car très lucrative pour les permanents. Les trésors s'accumulent rue Lauriston, un jour de décembre 1942 Lafont partage le butin de l'ancienne ambassade US, composé de vaisselle de luxe, avec les principaux chefs allemands de Paris.

Henri Lafont mène une grande vie, une revanche sur sa jeunesse, ce qui lui procure une jouissance de voir des gens importants lui faire des demandes. Il organise beaucoup de soirées mondaines où il multiplie les contacts et devient incontournable grâce aux faveurs qu'il distribue. Pour récompenser ses chefs, il les emmène dans les grands cabarets et établissements de nuit de la capitale dont le One-two-two. Ayant obtenu la nationalité allemande avec le grade de capitaine, il fit la tournée des établissements de nuit parisiens en uniforme allemand, ce qui déplut aux services de renseignement de la Wehrmacht.

Il y a beaucoup d'habitués du "93", comme le préfet de police Amédée Bussière, le journaliste Jean Luchaire, l'actrice Yvette Lebon et sa fille ainsi que beaucoup de femmes appelées les « comtesses de la Gestapo ».

Paradoxalement, les rapports avec les collaborationnistes sont plutôt mauvais. Fernand de Brinon refuse d'entrer dans les combines de Lafont.

En 1943, la bande inflige de lourdes pertes au réseau "Défense de la France" dont une soixantaine de membres sont arrêtés. Cependant, "Défense de la France" survit à ce coup dur. Parmi les personnes arrêtées se trouve Geneviève de Gaulle nièce du général, arrêtée le 20 juillet 1943 par l'ancien inspecteur Bonny au 68 rue Bonaparte. Elle est enfermée dans un hôtel particulier réquisitionné en juin 1940 par Wilhelm Radecke au 3bis place des États-Unis dont le propriétaire a fui à New York. Lafont s'en sert comme entrepôt de marchandises, et au printemps 1943, Karl Boemelburg fait aménager aux derniers étages des cellules avec barreaux.

On ne peut parler de Henri Lafont sans évoquer ses opérations punitives sanglantes contre les maquis avec sa troupe œuvrant sous l'uniforme milicien, nommé Brigade nord-africaine, puisque composée essentiellement d'hommes originaires d'Afrique du nord. La Brigade nord-africaine est créée au début de l’année 1944 par Henri Lafont et le nationaliste algérien Mohamed el-Maadi (ancien officier français membre du mouvement d'extrême-droite la Cagoule)[1]. La brigade prend part à des combats contre la résistance intérieure française, en Limousin (trois sections participent aux combats contre le maquis de Tulle), en Périgord (une section) et en Franche-Comté (une section). La légion est dissoute en juillet 1944 quand la troupe se disperse. Certains des anciens membres suivent Mohamed el-Maadi en Allemagne et d'autres rejoignent la SS Freies Indien Legion.


"La guerre des Gestapos"

Le problème de Lafont est qu'il doit partager et composer avec d'autres gestapistes parisiens. Les frictions et les règlements de comptes parfois mortels, sont constants. Il y a "la bande des Corses" dont l'indiscipline agace Lafont. Beaucoup d'incidents l'oppose à "la Gestapo de Neuilly" dirigé par Frédéric Martin alias Rudy de Mérode connu pour être l'un des plus dangereux gestapistes, un temps associé avec Gédéon van Houten. La bande à Lafont finit par arrêter des hommes de Mérode et les envoyer en déportation pour se débarrasser d'eux.

La fin de la guerre

En août 1944, les gens compromis dans la collaboration fuient Paris vers l'Allemagne, Sigmaringen, Baden-Baden, Steinhorst. Mais Lafont reste en France car il est confiant, peut-être trop car il finira par être dénoncé.

Il s'installera dans sa ferme des Baslins à Bazoches-sur-le-Betz laissant derrière lui les locaux de la rue Lauriston abandonnés, en demandant toutefois à Pierre Bonny de détruire les fichiers. Il était accompagné de sa maîtresse, de ses deux enfants ainsi que de Bonny et sa famille. Ils comptaient tous attendre que la situation redevienne normale pour ensuite fuir en Espagne et récupérer une partie du magot accumulé. Toutefois, à ce moment-là, les routes n'étaient plus du tout sûres et un rançonnement était possible. Les FFI réquisitionnèrent leurs voitures, une Bentley et une Jaguar.

Cet imprévu obligea Lafont à envoyer le fils de Pierre Bonny à Paris à bicyclette pour obtenir des voitures de Joseph Joanovici.

Joanovici, dit « le chiffonier milliardaire », fut agent du Komintern, de la Gestapo et soutien du mouvement de résistance « Honneur de la police ». Il livre Lafont et sa bande à l'inspecteur Morin en lui indiquant la ferme.

Le 30 août 1944 au matin, la ferme est encerclée et Lafont et ses acolytes sont arrêtés sans résistance. Cinq millions de francs en liquide, des bijoux, des armes et des papiers sont saisis

Procès et sentence

Pierre Bonny et Henri Chamberlin dit Lafont sont interrogés à la Conciergerie.

Devant le magistrat instructeur, Pierre Bonny avoue tout et citera plus de mille noms impliqués dans « l'affaire de la rue Lauriston ». Un vent de panique se répand à Paris surtout après la révélation d'un marché noir de faux certificats de résistant.

Le procès commence le 1er décembre 1944 pour finir le 11 décembre. Des personnes témoignent en faveur de Lafont pour service rendu, y compris des résistants pour lesquels il aurait eu une indulgence ou dont il aurait sauvé un membre de la famille. La police retrouve à la ferme, dans un bac à linge sale 2,5 millions de francs en petites coupures.

Lors du verdict (ils sont tous les deux condamnés à mort), Pierre Bonny est soutenu par les gendarmes alors que Lafont l'accueille avec le sourire aux lèvres, très détendu.

Le 26 décembre, au moment d’être fusillé au fort de Montrouge, Lafont adresse quelques mots à son avocate Me Drieu : « Je ne regrette rien, Madame, quatre années au milieu des orchidées, des dahlias et des Bentleys, ça se paie ! J'ai vécu dix fois plus vite, voilà tout. Dites à mon fils qu'il ne faut jamais fréquenter les caves. Qu'il soit un homme comme son père ! ». Il est 9 h. 50, Henri Chamberlin dit Lafont est attaché au poteau, la tête découverte et la cigarette aux lèvres.

Dans la Comtesse de Palmyre, livre de Marie-Cécile de Taillac publié aux éditions Belfond en 1995, Henri Lafont qui aurait été un temps l'amant de l'héroïne, aurait lancé à son défenseur avant d'être fusillé : « Cela m'est égal de mourir. J'ai vécu dix vies, je peux bien en perdre une… » précédemment, marchant vers le peloton d'exécution, il aura fait remarquer : « on devrait moderniser tout cela — envoyer une belle nana, par exemple, à la place d'un curé. »

La French Connection aurait été financée par l'argent de la Carlingue par l'intermédiaire d'Auguste Ricord, agent de Lafont, arrêté en septembre 1972, jugé et condamné aux États-Unis.

Notes et références

  1. Pascal Ory, les collaborateurs, Points/Histoire, Seuil p.258

Bibliographie

  • Penaud Guy,L'inspecteur Pierre Bonny - Le policier déchu de la "gestapo française" du 93, rue Lauriston Editions L'Harmattan, 2011
  • Magazine Historia Hors Série no 26 1972 par Fabrice Laroche
  • Grégory Auda, Les belles années du « milieu » 1940-1944 - Le grand banditisme dans la machine répressive allemande en France, éditions Michalon, 2002, 254 pages.
  • Serge Jacquemard, La Bande Bonny-Lafont éditions Fleuve noir, 1992. (ISBN 978-2-265-04673-3)
  • Cyril Eder, Les comtesses de la Gestapo éditions Grasset, 2007. (ISBN 978-2-246-67401-6)
  • Roger Maudhuy, Les Grands procès de la Collaboration, éditions Lucien Souny, 2009.

Liens externes


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