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Enfant sans vie en droit français

- Wikipedia, 17/11/2011

Pour un article plus général, voir : Personne physique en droit français.

La notion d'enfant sans vie est présente de longue date dans le droit français : dans l'article V de la Déclaration du Roy du 9 avril 1736[1], puis plus explicitement dans le décret du 4 juillet 1806[2]. L'expression enfant né présentement sans vie (EPSV) est parfois employée[3]. Le droit actuel résulte de la loi du 8 janvier 1993 qui a institué l'article 79-1 du Code civil, distinguant deux cas pour l'inscription des enfants sans vie sur les registres de décès de l'état civil[4]. Cela vise à la fois à faciliter le travail du deuil et à ouvrir certains droits sociaux aux parents.

Sommaire

Les limites de la notion

Avant les trois arrêts de la Cour de cassation du 6 février 2008[5],[6],[7], les enfants nés sans avoir vécu pouvaient être déclarés au registre de l'état civil, la circulaire administrative du 30 juin 2006 prise pour l'application de l'ordonnance du 4 juillet 2005 se référait aux conseils de l'Organisation mondiale de la santé concernant l'établissement d'actes d'enfant sans vie, soit aux seuils de 500 grammes de poids ou de plus de 22 semaines d'aménorrhée [8],[9].

Le Médiateur de la République avait en effet demandé en 2005[10] que lorsque l'enfant est sans vie ou mort-né, le congé de paternité soit possible, au même titre que pour toute parentalité. Il souhaitait aussi que les enfants sans vie soient portés sur le livret de famille.

La Cour de cassation a cependant jugé « que l'article 79-1, alinéa 2, du code civil ne subordonne l'établissement d'un acte d'enfant sans vie ni au poids du fœtus, ni à la durée de la grossesse... » [11],[12].

Deux décrets ainsi que deux arrêtés ont donc été promulgués le 20 août 2008 [13]. Selon le modèle de certificat médical d'accouchement en vue d'une demande d'établissement d'acte d'enfant sans vie inclut dans l'arrêté du 20 août 2008, celui-ci ne peut être établi qu'en cas d'accouchement spontané ou provoqué pour une raison médicale (interruption médicale de grossesse), mais non en cas d'Interruption volontaire de grossesse ou d'une fausse couche précoce[8]. Aucun seuil n'est fixé pour l'établissement de ces actes, et le concept de « viabilité » n'est pas non plus défini[14],[8].

L'acte d'enfant sans vie

L'acte d'enfant sans vie est établi en France lorsqu'un enfant est décédé avant la déclaration de naissance, s'il n'a pas été établi de certificat médical indiquant que l'enfant est né vivant et viable (article 79-1 du Code civil).

Depuis le décret n°2008-798 [15], cet acte permet de délivrer aux parents qui en étaient dépourvus un livret de famille comportant l'inscription de l'acte d'enfant sans vie. Il sera inscrit en tant qu'enfant, selon son rang de naissance, mais seulement dans la partie "décès" de la page. Cette inscription peut se faire immédiatement, si les parents sont mariés ou s'ils ont déjà un enfant ensemble (livret de parents naturels) ou a posteriori, lors de l'établissement d'un livret de famille (mariage, naissance d'un enfant commun aux deux parents). Aucun lien de filiation n'est cependant établi[8]. Il n'est pas sûr que certaines dispositions soient conformes à la Convention européenne des droits de l'homme telle qu'interprétées par la Cour européenne des droits de l'homme, notamment dans l'arrêt Znamenskaya c. Russie de 2005, où la Russie a été condamnée pour avoir refusé de rendre à un enfant mort-né sa véritable filiation paternelle, violant ainsi l'8 (vie privée et familiale) [16].

L'acte d'enfant sans vie, inscrit au registre des décès, comporte les éléments suivants :

  • jour, heure et lieu de l'accouchement,
  • prénoms de l'enfant s'il y a lieu,
  • désignation des parents (prénoms, noms, dates et lieux de naissance, professions et domiciles),
  • désignation du déclarant s'il y a lieu.

Les "droits" des enfants sans vie

Outre l'inscription sur les registres de décès sous un prénom,

  • les enfants sans vie peuvent figurer dans le livret de famille
  • les parents peuvent réclamer le corps de l'enfant et organiser des obsèques, selon la jurisprudence de la Cour de cassation du 6 février 2008.


Toutefois une circulaire interministèrielle http://www.sante.gouv.fr/IMG/pdf/circulaire_182_190609.pdf indique que pour le cas des accouchements antérieurs aux décrets et arrêtés du 20 août 2008

"Les accouchements ayant eu lieu avant le 23 août 2008, date d’entrée en vigueur du décret précité, peuvent donner lieu à l’établissement d’un acte d’enfant sans vie sur le fondement de ce dispositif, dès lors que les deux conditions cumulatives suivantes sont réunies :

- le déclarant justifie de l’accouchement, en produisant à l’officier de l’état civil un certificat médical d’accouchement (formulaire Cerfa n°13773*01). Ce certificat délivré a posteriori, ne peut l’être que si les informations portées au dossier médical de la mère permettent d’établir que les conditions requises au 1.2.1.1 ci-dessus étaient réunies au moment des faits (compte rendu d’accouchement, éléments d’examen foetopathologique…).

- cet accouchement a eu lieu postérieurement à l’entrée en vigueur de l’article 79-1 du code civil1 du code civil, soit depuis le 11 janvier 1993. En effet, cet article a été inséré dans le code civil par la loi n°93-22 du 8 janvier 1993, qui, étant d’application immédiate, est entrée en vigueur le 11 janvier 1993.

L’officier de l’état civil ne peut donc opposer un refus tiré du seul motif que le seuil de 22 semaines d’aménorrhée ou d’un poids du fœtus de 500 grammes n’est pas atteint." extrait de la page 4 et 5 de cette circulaire.


Cependant, ils n'acquièrent pas pour autant une personnalité juridique, et n'ont ni droits, ni filiation, ni nom de famille[17].

Motivations de la création des actes d'enfants sans vie

Selon la professeur Frédérique Granet, la création du statut d'enfant sans vie aide les famille à faire le travail de deuil et permet d'entretenir la mémoire familiale[9]. Elle comporte aussi des droits sociaux : indemnités journalières de repos pour la femme accouchée au titre de l'assurance maternité (art. L331-3 et R. 331-5 du Code de la sécurité sociale), protection contre le licenciement durant la période du congé de maternité, incidences en matière de retraite, indemnités journalières de congé de paternité pour les accouchements survenus après le 12 janvier 2008[18],[8].

Conséquences sur la question de l'avortement

La notion d'enfant sans vie et la question des seuils (en gramme ou semaine) à partir duquel un enfant sans vie peut être déclaré constitue un élément important dans le cadre du débat sur l'avortement. C'est sans doute l'idée de certains. Mais l'acte d'enfant sans vie ne confère pas la personnalité juridique au fœtus et donc n'a aucune incidence sur la notion d'avortement. Toutefois, cette personnalité juridique reste une potentialité tant que le fœtus est en vie, selon l'adage juridique: infans conceptus pro nato habitur quoties de commodis ejus agitur (L'enfant conçu sera considéré comme né chaque fois qu'il pourra en tirer avantage)[19]. Autrement dit, le Juriste crée temporairement et fictivement la personnalité juridique de l'enfant, ce qui permet dans l'avenir de lui conférer des droits a posteriori, dès sa conception[20].

Notes

  1. Déclaration du Roy, Concernant la forme de tenir les registres de Batêmes, Mariages, Sepultures, Vestures, Noviciats & Professions ; Et des Extraits qui en doivent être delivrez. Donnée à Versailles le 9 Avril 1736. Registrée en Parlement..
  2. Décret du 4 juillet 1806 contenant le mode de rédaction de l'acte par lequel l'officier de l'état civil constate qu'il lui a été présenté un enfant sans vie.
  3. Le dernier acte de l'étrange affaire Viguier «Savez-vous ce que signifie “EPSV” ?, demande-t-il. Enfant présentement sans vie.
  4. En donnant un état civil aux "enfants sans vie", la Cour de cassation incite à revoir les lois bioéthiques, in Le Monde, 12 février 2008, page 11
  5. Communiqué de la Cour de Cassation et les 3 arrêts correspondants (Gazette du Palais, 14 février 2008, n° 45, p. 3; Les Petites affiches, 1 avril 2008, n° 66, p. 8, note Mathias Latina): L'[[avocat général (France)|]] (Alain Legoux) a conclu à la cassation sur la première branche du moyen (le code civil ne pose pas de condition relative au poids de l'enfant ou à la durée de l'aménorrhée), en demandant que soit écartée la circulaire du 30 novembre 2001, ce qui donnerait une liberté totale aux familles et inciterait le législateur à modifier le droit actuel, jugé insatisfaisant.
  6. Gabriel Roujou de Boubée, Daniel Vigneau, « Les conditions de l'inscription à l'état civil d'un enfant mort-né », Recueil Dalloz 2008, p. 1862
  7. Valérie Avena-Robardet, « La reconnaissance de l'enfant mort-né », RTD Civ. 2008, p. 95
  8. a, b, c, d et e Frédérique Granet-Lambrechts, « Droit de la filiation février 2008-décembre 2008 », Recueil Dalloz 2009, p.773
  9. a et b Le Monde, 12 février 2008, idem.
  10. Humaniser le régime juridique des enfants nés sans vie, Médiateur Actualités, juillet-août 2005 Note du Médiateur de la République
  11. Civ. 1ere, 6 février 2008, D. 2008. Pan. 1371, obs. F. Granet-Lambrechts
  12. Le Monde, 12 février 2008, art. cit.
  13. Décret n° 2008-798 du 20 août 2008 modifiant le décret n° 74-449 du 15 mai 1974 relatif au livret de famille et 79-1code civil et Arrêté du 20 août 2008 relatif au modèle de certificat médical d'accouchement en vue d'une demande d'établissement d'un acte d'enfant sans vie (Version PDF comprenant le modèle de certificat médical) (JO 22 août, p.13144 sq.)
  14. Catherine Philippe, « La viabilité de l'enfant nouveau-né. », Recueil Dalloz 1996, p. 29
  15. Décret n° 2008-798 du 20 août 2008 modifiant le décret n° 74-449 du 15 mai 1974 relatif au livret de famille
  16. Convention européenne des droits de l'homme 2 juin 2005, Znamenskaya c. Russie, req. n°77785/01, RTD civ. 2005. 737, obs. J.-P. Marguénaud, cité par Frédérique Granet-Lambrechts, art. cit.
  17. Le Monde, mardi 12 février 2008
  18. Décret n°2008-32 et arrêté du 9 janvier 2008, JO 11 Janvier, art. D.331-4 et D. 613-10 du Code de sécurité sociale
  19. Définition de Infans conceptus Cette règle est implicitement évoquée dans les article 311 et 725 du Code civil, dans le premier cas, pour la fixation de la date de la conception de l'enfant et, dans le second pour déterminer ses droits à succéder
  20. Infans conceptus Cet adage est considéré comme une fiction juridique, une personnalité juridique sous condition résolutoire.

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