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Quelques explications sur ma colère...

Journal des greffiers en colère - Eolas, 23/04/2014

Par Greffierencol


Puisque ce blog nous est ouvert (merci pour l’invitation), puisqu’il n’est pas lu uniquement par d’éminents juristes et pour vous permettre à vous lecteurs de comprendre ce mouvement de colère si discret aux yeux du grand public, si fort et si puissant à nos yeux, ainsi que la grève prévue le 29 avril prochain, quelques explications s’imposent. Je ne reprendrai pas ici le portrait si juste dressé de nos fonctions par le maître de ces lieux, j’ajouterai simplement quelques précisions et quelques exemples qui, s’ils ne concernent pas tous les personnels de greffe, en concernent tout de même un certain nombre.

Plusieurs corps de métiers composent les greffes des tribunaux de l’ordre judiciaire : les secrétaires administratives, les adjoints techniques, les adjoints administratifs, les greffiers et les greffiers en chef. Et le mouvement actuel concerne tous ces personnels, qu’ils relèvent des catégories A, B ou C. Traditionnellement, à chaque catégorie correspond des fonctions différentes et des responsabilités différentes qui exigent un niveau de diplôme différent et une rémunération adaptée.

Toute la difficulté réside aujourd’hui dans ces deux derniers paramètres.

A la suite d’une politique de restriction budgétaire désastreuse menée par différents gouvernements successifs, les recrutements de magistrats, de greffiers en chef, de greffiers et d’adjoints ont été en totale inadéquation avec les nécessités induites par les évolutions de notre société. Ils ont ainsi été presque inexistants plusieurs années durant. Et, s’il faut reconnaître que tel n’est plus le cas depuis l’année 2012, cette situation a amené à la pénurie de magistrats, de greffiers en chefs et de greffiers que nous connaissons actuellement et qui ne va cesser de s’accentuer avec les très nombreux départs à la retraite que les années à venir nous promettent. Mais elle a également amené un grand nombre d’étudiants en droit, s’étant initialement destinés à des concours de catégorie A, à présenter des concours de catégorie B voire de catégorie C, comme par exemple les concours de greffier et d’adjoint administratif. Ainsi, un très grand nombre de jeunes adjoints et de jeunes greffiers sont beaucoup plus diplômés que ce qu’exigent les conditions légales de présentation aux concours. Or cette situation n’est plus tenable dès lors qu’aucun perspective d’évolution ne leur est offerte tandis qu’au quotidien, ils assurent de plus en plus souvent une grande partie des fonctions de greffier pour les adjoints et une partie (si petite soit elle) des fonctions de magistrats pour les greffiers. Elle l’est d’autant moins lorsque leur rémunération, correcte pendant la période de formation, atteint péniblement 1600 euros après quatre ans de titularisation et quelques 2300 euros maximum en fin de carrière pour les greffiers. La situation devient proprement inacceptable pour les adjoints qui commencent leur carrière à 1200 euros et la terminent à 1800 euros mensuels maximum bien qu’ils aient pu assurer des fonctions de greffier toute leur vie professionnelle durant, un « SMIC amélioré » en somme.

C’est ainsi que les personnels de greffe, qu’ils soient greffiers, adjoints administratifs ou adjoints faisant fonction de greffier, revendiquent des évolutions notables de leurs statuts et de leurs rémunérations.

Au quotidien, nous assurons indifféremment, par manque de personnel, des tâches de secrétariat pur, de greffier, parfois même de magistrat sans parler des tâches de concierge, d’électricien, de technicien informatique ou de bonne à tout faire que nous devons ponctuellement assurer lorsque certains de nos magistrats sont quelque peu assistés. Et je n’exagère rien : quid de ce magistrat nouvellement affecté dans une juridiction labyrinthe qui nous demande de venir le chercher parce qu’il n’a pas de temps à perdre à chercher la salle d’audience ? quid de celui-ci qui nous demande de venir chercher un dossier à l’autre bout du Palais, parce qu’après tout ce n’est pas son travail ? Je passe sur les nombreux fax et photocopies que nous seuls sommes habilités aptes à exécuter voire à réparer (parce que nous seuls nous sommes posés cette question essentielle : Comment fonctionne ce photocopieur ? Comment fonctionne ce fax? A quoi sert ce gros bouton vert ? Si j’ouvre cette petite trappe, vais-je pouvoir le réparer ?), la liste serait trop longue et déprimante.

Il me paraît nécessaire d’insister à ce stade sur une mission essentielle que nous devons assurer au quotidien et qui explique, entre autre, pourquoi notre mouvement ne s’est pas encore radicalisé. Il s’agit de l’accueil qui, téléphonique comme physique et pour paraître la moins technique de nos tâches, n’en est pas la moins difficile. Difficile et sensible lorsqu’il s’agit d’accueillir un public de justiciables angoissés et exaspérés après avoir déambulé des heures durant avant d’avoir pu trouver le service adéquat, lorsqu’il s’agit d’accueillir des « collaborateurs de justice » tels que les interprètes et experts qui, après n’avoir pas été payés des années durant, rechignent un peu à accepter de nouvelles missions ou bien encore lorsqu’il s’agit d’avocats désespérant d’obtenir une réponse à leur demande, un entretien avec un magistrat malgré deux courriers, trois fax et cinq appels en ce sens. Et pour l’exécution de cette fonction, nous sommes là encore seuls, greffiers comme adjoints. Nous sommes seuls et protégeons régulièrement nos juges qui, d’un tour de main, peuvent se réfugier dans leur bureau quand nous ne pouvons pas nous dérober à nos interlocuteurs.

Puisque le temps m’est ici donné, j’en profite et je continue, à titre personnel, en me désolant par exemple d’avoir dû rappeler, à plusieurs reprises, les termes de la loi à certains de mes magistrats, d’avoir du attirer leur attention sur certaines de leurs propres décisions pour éviter des requêtes en omission de statuer, de m’être surprise à vérifier que, passé minuit, la date de notification d’une ordonnance change. Tous ne sont pas assistés bien sur, certains sont de véritables encyclopédies juridiques sur lesquelles il fait bon de pouvoir compter mais pour les autres, il est d’autant plus facile de se reposer sur un greffier lorsque celui-ci est parfois plus diplômé que lui et pour lequel les bancs de l’université sont un souvenir beaucoup plus vivace.

Alors nombreuses sont les frustrations, les colères quotidiennes que nous ne pouvons plus garder pour nous. Trop d’injustices, trop peu d’équité, trop peu de réflexion, de concertation au sein de notre ministère. Nous avons trop accepté sans broncher, tenté en vain de digérer des réformes indigestes, d’accepter des conditions de travail inacceptables, de cautionner des situations iniques. Encore quelques petits exemples qui n’engagent que moi mais auxquels je sais que quelques uns de mes collègues seront sensibles : lorsque mon juge et moi nous déplacions pour cause de permanence et de grands méchants en liberté, nous étions indemnisés tous deux 40 euros pour la journée. Il va maintenant être indemnisé à hauteur de 110 euros tandis que je continuerai à réclamer 40 euros, bien qu’arrivée avant lui et repartie bien après… Tiens d’ailleurs, une grosse enveloppe budgétaire vient d’être débloquée pour pouvoir payer tout ça….

D’autres indemnités me sont inaccessibles telles que la prime de risque liée au contentieux antiterroriste, parce que sans doute, lorsqu’ils viennent dans mon service, les mis en examen terroristes ne doivent plus l’être le temps de l’audience. Audience qui, sans doute, doit être fictive et à tout le moins terminer avant 17h30 puisque je n’ai pas non plus droit à la NBI. Voilà ce que je me répète à chaque fois qu’à 2h30 du matin (les joies du JLD pénal à Paris), je cherche en vain un taxi aux abords du Palais pour pouvoir rentrer chez moi. Alors, certes, ces primes ou indemnités, si elles m’étaient accordées, ne changeraient pas radicalement mon quotidien mais elles démontreraient un certain souci de justice et de réflexion lors de l’élaboration des statuts et des rémunérations, ce qui nous fait aujourd’hui cruellement défaut.

Mais que je me rassure, le SAR (service qui établit les fiches de paye et ordonne les virements de nos salaires) n’a pas oublié que j’avais droit à la prime liée à la vie chère. Parce que oui, grâce à ces 50 euros mensuels, mes 800 euros de loyers me semblent plus légers. Ah mais ai-je oublié de vous parler des logements publics inexistants pour les seuls fonctionnaires du ministère de la Justice ?

Ici encore, la liste des raisons de notre colère, de ma colère n’est pas exhaustive et un dernier exemple s’impose. Jeune greffier que je suis, naïve et pleine de bonne volonté, je me suis portée volontaire pour participer à certains des grands projets mis en place dans ma juridiction. S’il s’agissait de concertation, celle-ci a systématiquement trouvée ses limites lorsque j’émettais un avis contraire aux informations propositions qui m’étaient formulées, osant expliquer (petite impertinente que je suis) qu’elles étaient simplement incompatibles avec la réalité de mon service.

Alors un nouveau grand débat, sur la Justice du XXIème siècle, ce sera sans moi si cette fois encore on ne commence pas parler de la situation actuelle, si dans le même temps tel service doit se battre pour avoir un standard téléphonique qui fonctionne, tel autre un logiciel dont le contrat de maintenance soit renouvelé, si le budget de fonctionnement de la quasi totalité des juridictions continue à être épuisé au mois de mai, quand ce n’est pas avant et si, au préalable, les conditions de travail et le statut des différents personnels de greffe ne sont pas réexaminés sérieusement.

Et comme un mouvement quotidien respectueux des justiciables, des magistrats, des avocats et de tous les intervenants de Justice, n’est pas écouté, alors oui, le 29 avril prochain je ferai grève.


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