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Youtube est un hébergeur, à la responsabilité limitée

Le blog Dalloz - anthony astaix, 15/06/2012

Dans l’affaire jugée par le Tribunal de grande instance de Paris le 29 mai 2012, la chaîne de télévision TF1 fait grief à la plateforme internet participative YouTube, de diffuser sans autorisation des séries, films et émissions dont elle détient les droits de diffusion, et argue de la contrefaçon de ses droits d’auteur. Dans un [...]

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Dans l’affaire jugée par le Tribunal de grande instance de Paris le 29 mai 2012, la chaîne de télévision TF1 fait grief à la plateforme internet participative YouTube, de diffuser sans autorisation des séries, films et émissions dont elle détient les droits de diffusion, et argue de la contrefaçon de ses droits d’auteur. Dans un premier temps, le tribunal a étudié la recevabilité des demandes de TF1 sur le fondement de l’article L. 216-1 du code de la propriété intellectuelle qui énonce que « sont soumises à l’autorisation de l’entreprise de communication audiovisuelle la reproduction de ses programmes, ainsi que leur mise à la disposition du public par vente, louage ou échange, leur télédiffusion et leur communication au public dans un lieu accessible à celui-ci moyennant paiement d’un droit d’entrée ».

À cet égard, le tribunal a précisé qu’il est nécessaire que les émissions visées par TF1 aient déjà fait l’objet d’une première diffusion, car c’est la « reprise » sans autorisation des émissions qui est visée par la loi. Or, à défaut d’avoir fourni une liste précise des épisodes de chaque séries ou journaux télévisés ainsi que leurs dates de diffusion, TF1 n’est déclarée recevable à agir que pour un nombre restreint d’œuvres.

Dans un deuxième temps, le tribunal a déclaré le demandeur irrecevable sur le fondement de l’article L. 331-1 alinéa 3 du code de la propriété intellectuelle, qui dispose que seul le licencié exclusif peut agir en justice, à défaut d’avoir démontré le caractère exclusif de ses droits d’exploitation. Enfin, le tribunal a statué sur la question du statut juridique applicable au site internet YouTube. Pour mémoire, la loi pour la confiance dans l’économie numérique (L. n° 2004-575 du 21 juin 2004 dite LCEN) prévoit deux régimes de responsabilité pour les acteurs du commerce en ligne.

Le régime de droit commun d’une part, s’applique aux éditeurs, à savoir, les personnes qui déterminent les contenus qui doivent être mis à disposition du public sur le service qu’elles ont créé ou dont elles ont la charge. Ces derniers engagent leur responsabilité civile en cas de diffusion de contenus illicites et notamment dans l’hypothèse de la reproduction de contenus protégés par le droit d’auteur sans l’accord du titulaire.

Par exception, la loi prévoit un régime de responsabilité limitée dont bénéficient les hébergeurs, c’est-à-dire ceux qui n’exercent qu’une activité de stockage et de mise à disposition au public sans avoir de contrôle éditorial sur les contenus.  Dans cette hypothèse, à défaut de notification de contenus contrefaisants par le titulaire des droits,  l’hébergeur ne pourra pas être sanctionné.

En l’espèce, TF1 soutient que YouTube doit se voir appliquer le statut d’éditeur car son rôle ne se limiterait pas à celui d’un prestataire purement technique.

En effet, la chaine de télévision soutient que : YouTube procède à une modération a priori, en surveillant les contenus mis en ligne, afin de ne pas diffuser ceux qu’il estime non conformes à la ligne éditoriale du site internet ;  YouTube fait la promotion des contenus qu’il juge les plus attractifs, en les sélectionnant puis en les mettant en avant ; YouTube exploite commercialement son site et en retire des bénéfices au titre des recettes publicitaires.

Néanmoins, le tribunal de grande instance a considéré que ces critères étaient insuffisants pour justifier la requalification de YouTube en éditeur car ce dernier n’exerce aucun contrôle, ni a priori, ni a posteriori sur les contenus vidéos qui sont mis en ligne par les internautes.

Il n’en reste pas moins qu’en tant qu’hébergeur, le tribunal considère que YouTube a retiré les contenus litigieux trop tardivement à la suite de la notification du demandeur. Cependant, le site étant gratuit, les critères de l’article L. 216-1 du code de la propriété intellectuelle soulevés par le demandeur, ne sont pas remplis. En conséquence, aucune faute ne peut être imputée à YouTube. La décision du tribunal est ainsi particulièrement favorable à la plateforme YouTube, et elle va même jusqu’à saluer la mise en place par ce dernier d’un programme intitulé « Content ID » permettant au titulaires d’obtenir le retrait définitif d’une vidéo après notification.

En marge, le tribunal note tout de même que les conditions générales d’utilisation de YouTube contiennent des clauses qui pourraient être considérées comme étant contraires au droit d’auteur. À cet effet, l’article 10 qui stipule que les contributeurs cèdent à titre gratuit le droit d’exploitation sur les vidéos qu’ils mettent en ligne est « contestable faute de préciser les limites temporelles et spatiales de la cession et de répondre aux critères de la cession à titre gratuit ».

En statuant ainsi, le tribunal s’est conformé à la jurisprudence récente de la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE, 23 mars 2010, aff. C-236/08, Dalloz actualité, 30 mars 2010, obs. Cédric Manara) et des juridictions nationales (Civ. 1re, 17 févr. 2011, n° 09-13.202, n° 09-67.896 et n° 09-15.857, ibid., 25 févr. 2011, obs. Cédric Manara ; V. égal., à propos de Dailymotion, Paris, 6 mai 2009, n° 07-14097, ibid. 14 mai 2009, obs. Anthony Astaix). De ce fait, la décision est en harmonie avec l’esprit de la loi LCEN qui consiste à trouver un équilibre entre la défense des titulaires de droits et le développement du commerce électronique.

Antoine Cheron
Avocat au Barreau de Paris et de Bruxelles, ACBM avocats


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