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Eolas contre Institut pour la Justice : Episode 1. Le Compteur Fantôme.

Journal d'un avocat - Eolas, 14/01/2019

L’affaire judiciaire m’ayant opposé à l’association ” Institut pour la Justice “, les guillemets sont importants car cette association n’est ni un institut ni pour la justice, cette affaire donc a donc connu un dénouement heureux après sept ans de procédure. Je suis au fil de ces sept années resté aussi coi qu’un de mes clients en garde à vue, laissant mes adversaires s’exprimer sur le sujet. À présent, pour citer le grand philosophe Jules Winnfield : « Allow me to retort. »

Ce récit des faits se veut, comme à l’accoutumée ici, factuel. Je citerai les décisions de justice qui ont été rendues, sinon in extenso du moins l’intégralité des passages pertinents. J’y ajouterai mon commentaire, car je suis ici chez moi, vous en ferez ce que vous voudrez (si vous manquez d’idées, vous trouverez au fil de ces billets quelques suggestions sur quoi en faire), l’essentiel étant qu’à la fin, vous saurez tout.


Cette saga aura lieu en cinq chapitres, qui couvriront l’affaire en ordre chronologique. Le premier, que vous tenez sur vos écrans en ce moment, rappellera le corpus delicti : pourquoi ai-je attiré l’ire de l’IPJ ? Ce rappel des faits est utile, vous verrez, car l’évolution de notre société en sept ans leur donne un aspect parfois prophétique. Le deuxième parlera de la phase à l’époque secrète : la plainte, l’enquête, l’instruction, et le premier faux départ avec une première audience avortée. Le troisième portera sur le jugement de Nanterre de 2015. Le quatrième, sur l’arrêt d’appel en 2017, et enfin le cinquième vous ramènera en douceur aujourd’hui avec les pourvois en cassation (car il y en a eu trois, vous verrez), et les conclusions qu’à titre personnel je tire de cette affaire. Ah ! vous vous plaigniez que mon blog végétait ? Vous allez avoir de la lecture, à satiété.

J’espère d’ailleurs que ce sera l’occasion de relancer l’activité régulière de ce blog, les réseaux sociaux commençant à me fatiguer. Je sais, je le dis depuis longtemps, mais la motivation et l’inspiration sont là, mes enfants ont grandi et leur Switch me laisse à présent du temps libre, en somme, les étoiles sont alignées favorablement hormis un petit problème d’hébergement que je vais résoudre promptement. Et si je devais faillir, n’hésitez pas à venir me chercher par la peau des fesses sur Twitter.

A propos de fesses, il est temps de commencer ce récit. Installez-vous confortablement, faites-vous une bonne tasse de thé (un Darkeeling First Flush sera parfait), et remontons le temps de conserve. En selles !

The year is 2011

Les plus perspicaces d’entre vous se souviendront que 2011 était l’année précédant 2012. Année d’élection présidentielle, le président en place, Nicolas Sarkozy, étant candidat à sa succession, et alors qu’il avait été élu sur une plate-forme politique modérée voire centriste (discours ouvert sur l’immigration, rappelant qu’il était Français de sang-mêlé, apaisé sur la laïcité, il avait même recruté quelques personnalités de gauche dans son premier gouvernement, sans compter un goût certain dans le choix de ses convives à déjeuner), il avait opéré un virage sécuritaire pour compenser des résultats économiques décevants. C’est d’ailleurs assez fascinant de voir comment à chaque fois que la droite prend un tel virage elle se prend une déculottée électorale et comment, malgré tout, elle commet régulièrement cette erreur avec la régularité d’un coucou suisse. Je pose ça là.

Bref, Nicolas Sarkozy était vulnérable, et cette position l’a poussé à une fuite en avant, sur les conseils peu avisés, pardon du pléonasme, de Patrick Buisson. C’est dans ce cadre que l’IPJ, association que je connaissais déjà bien avant, et qui sous un fard pesudo-scientifique promeut des thèses sécuritaires réactionnaires que rien, jamais, n’a étayé, a lancé une offensive médiatique à l’adresse des candidats, en les invitant à adhérer à leur “pacte 2012 pour la justice”, en faisant miroiter que le ou les candidats qui s’engagerait à l’intégrer dans leur programme auraient leur soutien.

Quand on est une association sans aucune reconnaissance scientifique dans le milieu universitaire, comment attirer l’attention ? Là, il faut reconnaître à l’IPJ d’avoir été en avance sur son temps : en diffusant sur Facebook un message appelant à l’émotion et à l’indignation, ne fournissant aucun fait mais se contentant d’une interprétation créative de la réalité, et se concluant par un appel à signer la pétition en faveur de leur pacte, à faire circuler ce message, et à faire un don (mais curieusement pas à en vérifier la véracité, mais bon on l’a dit : ce ne sont pas des universitaires).
Et comme de nombreuses personnes de bonne foi ont été touchées par ce message, qui reconnaissons-le était émouvant, mais malgré tout ressentait à la fin comme un malaise face à cette absence d’explications concrètes, ces personnes se sont tournées vers votre serviteur, sachant que chez moi, on trouvait des réponses claires et étayées sur des faits, fût-ce au prix d’interminables billets et de phrases trop longues.

Le Pacte et la torche

C’est ainsi que fin octobre 2011, j’ai reçu de nombreuses demandes me demandant ce que je pensais de cette pétition. Dans un premier temps, dès que j’ai vu qui en était à l’origine, je me contentais d’une réponse lapidaire (ça me jouera des tours, comme vous allez le voir ; après ça on me reprochera de faire des phrases trop longues…) sur le peu de crédit à y accorder. Mais au fil des jours, les demandes devenaient de plus en plus nombreuses, et émanaient de gens vraiment désemparés qui voyaient leurs proches et amis relayer ce message sur un ton révolté, et se sentaient fort dépourvus pour pouvoir leur répondre en quoi cet appel était factuellement erroné. Ça vous rappelle quelque chose, n’est-ce pas ? Je vous l’avais dit : ce dossier, pour ancien qu’il soit, est furieusement moderne.
Et donc, à mon corps défendant, je suis allé voir de quoi il retournait exactement.
La pétition en faveur du Pacte 2012 pour la Justice reposait sur un témoignage, celui de Joël Censier. Il reposait sur une affaire dont je n’avais pas entendu parler, mais, ai-je découvert par la suite, était un fait divers d’une grande importance dans le sud-ouest, autour du Gers, où les faits avaient eu lieu. Joël Censier, policier à la retraite, était le père de Jérémy Censier, 19 ans, tué d’un coup de couteau lors d’une rixe nocturne où il était intervenu pour séparer les belligérants. Le père était inconsolable, et je le comprends, et avait découvert que parmi les belligérants, il y avait des gens du Voyage qu’il avait eu l’occasion d’interpeller par le passé. Pour lui, sa conviction était faite : ce n’était pas un accident mais une vengeance. Voilà pourquoi cette affaire avait intéressé la presse locale.

En août 2011, S. est mis en accusation devant les assises pour meurtre, les autres intervenants étant renvoyés pour des violences volontaires, la thèse de la vengeance ayant fait long feu au fil de l’instruction. Et en septembre 2011 un incident procédural se produisit : les aveux du du principal suspect, S., mineur au moment des faits, ont été annulés du fait de l’absence d’avocats en garde à vue, et l’intéressé, détenu depuis deux ans, a été remis en liberté par la Cour de cassation à la suite d’une nullité de procédure. Pour être exhaustif : l’avocat de S. avait demandé au président de la chambre de l’instruction de faire examiner l’affaire par la chambre de l’instruction conformément à l’article 221-3 du code de procédure pénale : il avait décidé de faire droit à cette demande, mais l’affaire n’avait pas été audiencée à temps devant la chambre de l’instruction. Il est à noter que l’arrêt est intervenu plus de deux ans après l’incarcération, et que de ce fait, le mineur a fait plus de deux ans de détention provisoire ce que théoriquement la loi interdit. Il aurait dû être libéré quoi qu’il arrive, mais du fait de cette nullité de procédure viciant sa détention, il a fait plus de détention qu’il n’aurait dû. Les mystères du droit.


Mais tout cela n’avait que peu d’importance pour Joël Censier, qui ne voyait qu’une chose, celui qui avait tué son fils était libre et ses aveux étant annulés, il pouvait craindre qu’il s’en tirât. Notons que par la suite, S. s’est présenté librement aux assises pour y être jugé, et a été condamné en février 2013 a 15 ans de réclusion criminelle (la cour a écarté l’excuse de minorité), deux autres des belligérants ont été condamnés pour violences (l’un a quatre ans, l’autre à trois ans dont un avec sursis), les trois autres mis en cause étant acquittés conformément aux réquisitions du parquet. Comme quoi la justice ne semble pas si dysfonctionner que cela, mais l’IPJ a moins fait de publicité sur cet aspect du dossier.

Toujours est-il que l’IPJ en a fait son porte-étendard, et avec quel succès. Car qui, franchement, oserait objecter quoi que ce soit à la douleur d’un père ayant perdu son enfant ? Eh bien devinez qui…
J’ai donc rédigé un long billet, intitulé Attention manip : le “pacte 2012” de “l’Institut pour la Justice”, où je démontais point par point le procédé sur la forme, et le message sur le fond. Je n’y reviendrai pas, il n’est que de le lire.
Comme d’habitude, un mensonge aura fait deux fois le tour du monde quand la vérité aura à peine mis son pantalon : je ne vais pas prétendre que mon billet a eu un succès similaire au Pacte. Mais il a quand même eu son petit effet, et l’IPJ a commencé à recevoir beaucoup de messages demandant à ce que la signature de leur auteur soit retirée de cette pétition, ayant le sentiment d’avoir été bernés. Ce nombre exact restera à jamais un mystère, l’IPJ laissant au fil de ses argumentaires entendre qu’il y en eût très peu pour dire que je n’étais rien ni personne, et en même temps qu’il y en eût beaucoup pour justifier leur demande de dommages-intérêts qui vous le verrez n’avait rien de symbolique. Bref, des signataires de Schrödinger.

Et cet aspect éthéré des signataires était au cœur du problème : ce qui démontrait le succès de ce pacte, et était sans cesse mis en avant par l’IPJ, était le nombre de signataires, qui a atteint le million en quelques jours. Si je ne doute pas, pour les raisons que je vous ai données plus haut, de la réalité de ce succès, sa quantification m’a posé un problème de méthodologie : ce compteur de signatures était, à l’instar de la pétition, hébergé sur un site dédié appartenant à l’IPJ, et non sur une plate-forme participative comme beaucoup sont apparues depuis. Bref, l’IPJ affichait sur son site un compteur comme garantie de leur succès, compteur dont seul eux avaient la maitrise. Le conflit d’intérêt était patent.
Je veux croire que mon billet eut malgré tout son petit effet car l’IPJ a vu rouge, ce qui est une couleur plutôt rare chez ses partisans. Problème : il ne pouvait rien reprocher à mon billet, qui était factuellement exact, et pour le reste, n’était qu’un jugement de valeur qui ne peut tomber sous le coup de la loi.
Le débat continuant dans les mois qui ont suivi, sur mon blog, sur divers médias et sur Twitter, l’IPJ s’est mis en embuscade et a soudain porté à mes écrits plus d’attention qu’il n’en a jamais porté au code de procédure pénale, ce qui spoiler alert lui jouera des tours par la suite.

Mais ceci est une autre histoire, qui fera l’objet du deuxième chapitre de notre saga.


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