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La CJUE se prononce sur les conditions de la protection des calendriers de match

Le blog Dalloz - bley, 20/04/2012

La cour d’appel de Londres connaît un litige opposant la société britannique Football Dataco et les organisateurs des ligues anglaises et écossaises de football au moteur de recherche Yahoo UK, au bookmaker Gibraltarien Stan James et au fournisseur d’informations sportives Enetpulse. Ces derniers, défendeurs à l’action, prétendent pouvoir utiliser librement les calendriers de rencontres élaborés [...]

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La cour d’appel de Londres connaît un litige opposant la société britannique Football Dataco et les organisateurs des ligues anglaises et écossaises de football au moteur de recherche Yahoo UK, au bookmaker Gibraltarien Stan James et au fournisseur d’informations sportives Enetpulse. Ces derniers, défendeurs à l’action, prétendent pouvoir utiliser librement les calendriers de rencontres élaborés par les premiers sans devoir verser de redevances au titre du droit sui generis appliqué aux bases de données ou au titre du droit d’auteur.

En première instance, les magistrats ont considéré que  la procédure d’élaboration des calendriers de football « n’est pas purement mécanique ou déterministe » et ont ajouté que  leur préparation « exige une part substantielle de travail créatif » ce qui les rend éligibles à la protection par le droit d’auteur conformément à l’article 3 de la directive européenne 96/9/CE du 11 mars 1996. Le Tribunal a, en revanche, écarté l’application d’une protection sui generis.

En appel, la cour a confirmé l’inéligibilité des calendriers à la protection par le droit « sui generis » cependant, elle a sursis à statuer sur la question de la protection par le droit d’auteur du fait d’une question préjudicielle posée à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE).

En effet, le juge national n’a pas approfondi la question de la protection sui generis des calendriers de football car le juge européen avait dénié cette protection dans trois arrêts similaires, dont un émanant de la grande chambre (Fixtures Marketing c. Oy Veikkaus, aff. C-46/02 ; Fixtures Marketing c. Organismos Prognostikon etc., aff. C-444/02 et Fixtures Marketing c. Svenska, aff. C-338/02). La position de la CJUE dans ces arrêts est justifiée en ce que la directive circonscrit la notion d’investissement lié à l’obtention du contenu d’une base de données « aux moyens consacrés à la recherche d’éléments existants et à leur rassemblement dans ladite base ». Cela exclut les moyens mis en œuvre pour la création de ces éléments. Or les investissements liés à l’établissement d’un calendrier de football aux fins de l’organisation de championnats portent sur la détermination des dates, horaires et équipes relatifs aux différentes rencontres, en d’autres termes à la création de données. En cela, les calendriers de football ne répondent pas aux critères fixés par l’article 7 de la directive.

Par conséquent, la décision rendue par la CJUE du 1er mars 2012 opère une distinction entre les critères efficients (I) ou indifférents (II) dans la détermination de la protégeabilité d’une base de données au titre du droit d’auteur.

La protection des bases de données au titre du droit d’auteur

Après avoir établi que les calendriers de rencontres de championnats de football entraient dans la définition d’une base de données au sens de la directive 96/9, la CJUE répond à la question du juge national en rappelant le critère permettant à cette base de données d’accéder à la protection par le droit d’auteur.

La qualification des calendriers de football comme base de données au sens de l’article 1.1 de la directive 96/9

Il convient de rappeler au préalable que, selon la définition envisagée par l’article 1.1 de la directive 96/9, on entend par base de données : « un recueil d’œuvres, de données ou d’autres éléments indépendants, disposés de manière systématique ou méthodique et individuellement accessibles par des moyens électroniques ou d’une autre manière ».

Or, dans l’arrêt Fixtures Marketing du 9 novembre 2004 précité (aff. C-444/02), la CJUE a déjà eu l’occasion de juger qu’un calendrier de rencontres d’un championnat de football constitue une base de données au sens de l’article précité. En effet, elle avait considéré à l’époque que, si « l’intérêt d’un championnat de football réside dans la prise en compte globale des différentes rencontres de ce championnat, il n’en demeure pas moins que les données relatives à la date, à l’horaire et à l’identité des équipes ayant trait à une rencontre déterminée revêtent une valeur autonome en ce qu’elles fournissent aux tiers intéressés les informations pertinentes ». Elle en a conclu que « la disposition, sous forme de calendrier, des dates, des horaires et des noms d’équipes relatifs à ces différentes rencontres de football satisfait aux conditions de disposition systématique ou méthodique et d’accessibilité individuelle des éléments constitutifs de ce recueil » (pts 33 à 36).

L’originalité de la base de données comme unique critère de la protection par le droit d’auteur

Les calendriers étant définis comme des bases de données, il convient pour la CJUE de déterminer s’ils sont éligibles à la protection du droit d’auteur. À ce titre, l’article 3 de la directive dispose que « […] les bases de données qui, par le choix ou la disposition des matières, constituent une création intellectuelle propre à leur auteur sont protégées comme telles par le droit d’auteur. Aucun autre critère ne s’applique pour déterminer si elles peuvent bénéficier de cette protection ». L’analyse de l’originalité s’effectue donc au regard de la sélection des informations, résultant d’une série de choix originaux, ainsi que de l’organisation des informations, de leur structuration afin de faciliter leur exploitation et enfin de la présentation finale du fonds documentaire.

La jurisprudence est constante sur ce point. À titre d’exemple, un arrêt de la CJUE du 1er décembre 2011 (aff. Painer, C-145/10, non encore publié au Recueil) précise que, « s’agissant de la constitution d’une base de données, ce critère de l’originalité est rempli lorsque, à travers le choix ou la disposition des données qu’elle contient, son auteur exprime sa capacité créative de manière originale en effectuant des choix libres et créatifs et imprime ainsi sa “touche personnelle” ». Ces conditions excluent donc les bases de données réalisées de façon purement automatique, consistant en une simple juxtaposition, sans que puisse être relevée, dans la sélection et le contenu du fonds documentaire, une quelconque originalité.

De même, la base de données se distingue du logiciel, lequel échappe à la protection par le droit d’auteur, faute de mise en évidence d’un effort intellectuel de la part du concepteur. Cependant, la complexité de la démonstration de l’apport original de l’auteur en matière de bases de données est telle que leurs propriétaires s’efforcent de démontrer que l’intérêt et la complexité de la base de données lui confèrent un caractère original.

Les critères indifférents à la protection par le droit d’auteur

Devant les arguments superfétatoires avancés par les demandeurs, la CJUE rappelle les éléments indifférents à la démonstration de l’originalité de la base de données et ceux qui sont insuffisants à l’attribution du régime du droit d’auteur.

L’absence de prise en compte des données contenues ou ajoutées à la base de données

La CJUE écarte plusieurs éléments qui ne sont d’aucune pertinence pour apprécier l’éligibilité des calendriers de rencontres de football et plus généralement des bases de données, à la protection par le droit d’auteur envisagée par la directive 96/9. D’une part, la CJUE rappelle que l’originalité s’analyse au regard de la structure de la base de données et non de son contenu. En effet, il importe peu que les données contenues dans la base soient en elles-mêmes originales ou dépourvues d’originalité pour apprécier l’éligibilité de la base à la protection du droit d’auteur. Seule doit être considérée la constitution de la base de données.

Il résulte de ce qui précède que les moyens qui se sont avérés nécessaires à l’élaboration des données contenues dans les calendriers ne sont pas non plus un moyen d’appréciation de l’originalité des bases de données. Par conséquent, dans l’arrêt d’espèce, il est indifférent que l’organisation des championnats concernés ait nécessité un travail intellectuel conséquent.

D’autre part, au regard de l’analyse de la structure de la base de données, la CJUE précise que le choix ou la disposition des données – à savoir celles correspondant à la date, à l’horaire et à l’identité des équipes relatifs aux différentes rencontres du championnat concerné – doit être une expression originale de l’esprit créateur de l’auteur de la base de données, et qu’il importe peu, que ce choix ou cette disposition comporte, ou non, un « ajout significatif » à ces données. En l’occurrence, les ligues de football prétendaient que le fait d’ajouter à la base de données constituée selon une certaine méthode une ou plusieurs dates de rencontre arbitrairement déterminées suffisait à établir l’originalité du calendrier. La CJUE n’abonde pas dans leur sens sur ce point.

L’insuffisance du travail investi comme critère de protection

En l’espèce, les ligues de football ont entendu souligner le travail et le savoir-faire qui ont été employés pour la réalisation des calendriers afin de justifier la protection par le droit d’auteur. Il est établi en effet que la constitution des calendriers implique la prise en compte d’un certain nombre de règles, dites « règles d’or » comme, par exemple, le fait de s’assurer qu’aucun club ne joue trois rencontres consécutives à domicile ou à l’extérieur. Afin de prendre en compte ces règles, la procédure d’élaboration d’un calendrier comprend plusieurs étapes incompressibles. Au cours de la première étape, les employés des fédérations professionnelles établissent une liste de dates possibles pour les rencontres en fonction de paramètres tels que les dates de début et de fin de la saison et le nombre de rencontres à disputer. Les clubs sont consultés pour la fixation du calendrier lors de la deuxième étape puis ces informations sont compulsées grâce à un logiciel sous forme de calendrier. Enfin, les problèmes subsistants sont résolus manuellement lors de l’étape finale.

L’élaboration des calendriers de football n’est donc pas purement mécanique ou déterministe, mais requiert, au contraire, un travail et un savoir-faire très significatifs. Cet argument avait convaincu le Tribunal, néanmoins la CJUE considère que cela est insuffisant pour que ces calendriers soient protégés au titre du droit d’auteur si la preuve de l’existence « d’éléments traduisant une originalité dans le choix ou la disposition des données renfermées dans ces calendriers » n’est pas rapportée.

Par cette décision, la CJUE fait une application classique du droit de la propriété intellectuelle en rappelant que le droit d’auteur nait uniquement d’une œuvre originale, quel que soit son genre. Il convient également de souligner que la CJUE adopte une interprétation latine de la conception de droit d’auteur, qui s’attache à l’expression de la personnalité de l’auteur et non au travail et ou au talent (labour and skill), notions chères à la tradition anglo-saxonne (connu comme the « sweat of the brow » doctrine). Ainsi, au travers cette décision, il convient de noter la volonté de la Cour d’harmoniser les jurisprudences européennes en matière de base de données.

Antoine Cheron
Avocat au Barreau de Paris et de Bruxelles, ACBM avocats


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