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Reporting extra-financier des entreprises : de nouvelles exigences

Le blog Dalloz - bley, 29/05/2012

Le décret n° 2012-557 du 24 avril 2012 relatif aux obligations de transparence des entreprises en matière sociale et environnementale est venu compléter le dispositif réglementaire résultant de l’entrée en vigueur de la loi no 2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement. Parmi les modifications intervenues – dont certaines touchant le fameux investissement socialement responsable (ISR) ont été [...]

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Le décret n° 2012-557 du 24 avril 2012 relatif aux obligations de transparence des entreprises en matière sociale et environnementale est venu compléter le dispositif réglementaire résultant de l’entrée en vigueur de la loi no 2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement. Parmi les modifications intervenues – dont certaines touchant le fameux investissement socialement responsable (ISR) ont été exposées sur ce blog –, celle affectant l’article L. 225-102-1 du code de commerce est intéressante à détailler. Visant à étendre l’obligation pour les entreprises de présenter un bilan social et environnemental, le 5e alinéa de l’article L. 225-102-1 du code de commerce relève que le rapport annuel de gestion doit dorénavant comprendre « des informations sur la manière dont la société prend en compte les conséquences sociales et environnementales de son activité ainsi que sur ses engagements sociétaux en faveur du développement durable et en faveur de la lutte contre les discriminations et de la promotion des diversités ». Néanmoins, ce même alinéa indique qu’un décret en Conseil d’État doit établir la liste de ces informations. C’est chose faite à travers la publication du décret du 24 avril et les nouvelles dispositions insérées dans la partie réglementaire du code de commerce (art. R. 225-104, R. 225-105, R. 225-105-1 et R. 225-105-2).

Quels sont les éléments caractéristiques de ce dispositif ?

En premier lieu, l’article R. 225-105 énonce une série de principes que doit suivre le conseil d’administration ou le directoire dans sa formalisation du rapport de gestion. Tout d’abord, le rapport doit exposer les actions menées et les orientations prises par la société et, le cas échéant, par ses filiales ou par les sociétés qu’elle contrôle pour prendre en compte les conséquences sociales et environnementales de son activité et remplir ses engagements sociétaux en faveur du développement durable. Ensuite, la manière de présenter les informations extra-financières doit permettre une comparaison des données d’une année à l’autre. Par ailleurs, la publication de ces mêmes informations est soumise au principe comply or explain. Enfin, lorsqu’une société se conforme volontairement à un référentiel national ou international en matière sociale ou environnementale, le rapport peut alors le mentionner et apporter des précisions.

En deuxième lieu, l’article R. 225-105-1 fixe une nouvelle liste d’informations exigées de toutes les entreprises concernées et demande, en parallèle, des informations supplémentaires aux seules sociétés dont les titres sont admis aux négociations sur un marché réglementé (sociétés cotées). Sur le plan des informations sociales, six thèmes sont prévus : l’emploi, l’organisation du travail mais restreint réglementairement à l’aspect « temps de travail », les relations sociales, la santé et la sécurité, la formation, et l’égalité de traitement. Le décret réserve aux sociétés cotées l’obligation d’apporter des précisions sur l’absentéisme, la fréquence et la gravité des accidents du travail et des maladies professionnelles et le respect de certaines stipulations des conventions de l’Organisation internationale du travail (OIT). Sur le plan de l’information environnementale, cinq thèmes sont envisagés : la politique générale en matière environnementale, la pollution et la gestion des déchets, l’utilisation durable des ressources, le changement climatique, et la protection de la biodiversité. Pour les sociétés cotées, le montant des provisions et garanties pour risques en matière d’environnement, l’utilisation des sols et l’adaptation aux conséquences du changement climatique sont ajoutés. Sur le plan des engagements sociétaux, la prise en compte dans la politique d’achat des enjeux sociaux et environnementaux, les actions engagées pour prévenir la corruption, les mesures en faveur de la santé et de la sécurité des consommateurs et les actions engagées en faveur des droits de l’homme doivent être indiquées, alors que la rubrique sur la sous-traitance et la prise en compte dans les relations avec les fournisseurs et les sous-traitants de leur responsabilité sociale et environnementale est limitée aux sociétés cotées.

En troisième lieu, l’entrée en vigueur témoigne d’une complexité liée à la distinction des sociétés, complexité accrue par le fait non seulement que les seuils chiffrés s’avèrent être variables mais encore que la date d’entrée en vigueur des règles dans le domaine du reporting n’est pas identique à celle dans le domaine de la vérification. À s’en tenir à l’essentiel, les textes s’appliquent aux sociétés cotées aux exercices ouverts après le 31 décembre 2011, avec obligation de justifier, le cas échéant, les raisons pour lesquelles elles se sont trouvées dans l’impossibilité de fournir certaines des informations. Pour les sociétés non cotées, la date d’entrée en vigueur dépend de seuils tenant au total du bilan ou au montant net du chiffre d’affaires (1 milliard d’euros, 500 millions ou 400 millions) et au nombre moyen de salariés (5 000, 2 000 ou 500). Pour ces sociétés non cotées, l’application a lieu pour les exercices ouverts après le 31 décembre 2011, le 31 décembre 2012 ou le 31 décembre 2013.

En dernier lieu, les conditions de vérification des informations par l’organisme tiers indépendant envisagé à l’alinéa 7 de l’article R. 225-102-1 (s’appliquant à l’exercice ouvert après le 31 décembre 2011 pour les sociétés cotées et à partir de l’exercice clos au 31 décembre 2016 pour les autres sociétés) sont précisées. Cet organisme doit rendre un avis qui est transmis à l’assemblée des actionnaires ou des associés en même temps que le rapport du conseil d’administration ou du directoire et qui comporte notamment une attestation sur la présence de toutes les informations devant figurer au regard des obligations légales ou réglementaires. L’article R. 225-102-2 II note que le rapport de l’organisme tiers indépendant doit comporter : « […] a) une attestation relative à la présence dans le rapport de gestion de toutes les informations prévues par l’article R. 225-105-1 signalant, le cas échéant, les informations omises et non assorties des explications prévues au troisième alinéa de l’article R. 225-105 ; b) un avis motivé sur la sincérité des informations figurant dans le rapport de gestion et les explications relatives, le cas échéant, à l’absence de certaines informations en application du troisième alinéa de l’article R. 225-105 ; c) les diligences qu’il a mises en œuvre pour conduire sa mission de vérification ».

Que penser de ce dispositif ?

Bien que des aspects prêtent à discussion (double liste d’informations ou pertinence de certaines) et que nous doutions des effets attachés à ce seul dispositif juridique, il apparaît que la situation ne pouvait demeurer en l’état (V. les critiques de l’ancien dispositif dans L.-D. Muka-Tshibende, Y. Queinnec et I. Tchotourian, Articles 224 s. de la loi Grenelle II : vers un droit de la gouvernance d’entreprise [enfin ?] responsable, Rev. dr. int. dr. comp. 2012. 97) et que l’adoption de ce décret est pertinente. D’une part, ce texte règlementaire s’inscrit en droite ligne d’initiatives normatives nationales, européennes et internationales : indication de l’importance de l’extra-financier par la Commission européenne, publication par l’Allemagne d’un Code développement durable à destination des entreprises, réforme par l’Afrique du Sud de son King Code of Governance Principles, incitation par la bourse de Sao Paulo à plus de divulgation extra-financière. D’autre part, l’attitude française trouve une forte légitimité dans une étude publiée il y a peu par la Harvard Business School faisant apparaître qu’un dispositif contraignant de divulgation extra-financière est un fort incitatif à un comportement responsable des entreprises (I. Ioannou and G. Serafeim, The Consequences of Mandatory Corporate Sustainability Reporting, Working Paper 11-100, May 9, 2012).

 

Yvan Tchotourian
Professeur invité à l’Université de Laval, maître de conférences à l’université de Nantes, chercheur à l’IRDP (EA 1166, Université de Nantes)


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