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Syrie : portée des sanctions économiques

Le blog Dalloz - bley, 26/06/2012

Depuis mars 2011, les manifestations d’hostilité au régime syrien font l’objet d’une violente répression. Parmi les cris indignés et les appels à une sortie du conflit, l’Union européenne a voulu faire entendre sa voix : « Si quelqu’un réprime son propre peuple de cette façon, répond à des manifestations pacifiques par la force, l’Union européenne ne peut [...]

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Depuis mars 2011, les manifestations d’hostilité au régime syrien font l’objet d’une violente répression. Parmi les cris indignés et les appels à une sortie du conflit, l’Union européenne a voulu faire entendre sa voix : « Si quelqu’un réprime son propre peuple de cette façon, répond à des manifestations pacifiques par la force, l’Union européenne ne peut pas rester sans réponse. L’Union européenne est une communauté de valeurs et nous ne pouvons pas rester les bras croisés alors que les droits de l’homme sont violés de manière si brutale dans notre voisinage immédiat », affirmait un diplomate européen (Reuters, 23 mai 2011). Et, désormais, arrive le temps des sanctions…

Dès le mois de mai, l’Union a gelé le projet d’accord d’association qui avait été négocié avec la Syrie et a suspendu les programmes de coopération bilatérale prévus dans le cadre de l’Instrument européen de voisinage et de partenariat (IEVP). La Commission européenne a, quant à elle, interrompu la participation des autorités syriennes à ses programmes régionaux et la Banque européenne d’investissement a suspendu toutes ses opérations de prêt et son assistance technique.

Plus contraignantes seront aussi les diverses mesures restrictives mises en œuvre contre le régime de Damas. Ainsi, il est, entre autres, interdit aux États membres d’exporter des armes, du matériel connexe et des équipements susceptibles d’être utilisés à des fins de répression, d’importer du pétrole brut et des produits pétroliers en provenance de Syrie et, plus largement, d’investir dans l’industrie pétrolière et énergétique du pays. Les avoirs de la banque centrale syrienne seront en outre gelés et le commerce des métaux précieux et des diamants avec les organismes publics prohibé. Plus spécifiquement, ce seront encore les avoirs de quarante-trois entités et cent vingt-huit personnes, responsables ou associés des violences exercées à l’encontre des populations civiles, qui seront gelés.

Nonobstant une telle volonté, les services de répression du président Assad font preuve d’une continuité exemplaire et d’une terrifiante efficacité. Lui-même ne semble guère inquiété : le 15 mars, The Guardian publiait les informations échangées dans plus de 3 000 courriels entre le dictateur et son épouse Asma, révélant le goût immodéré de cette dernière pour les produits de luxe : colliers de diamants, chaussures griffées Christian Louboutin, chandeliers et tables importés de Paris, voire un service à fondue commandé par le biais du site internet Amazon, etc. De son côté, le mari confie passer du temps à consulter des vidéos sur son iPad et télécharge des chansons sur iTunes. Le 23 avril 2012, les ministres européens des affaires étrangères, réunis en conseil, ont annoncé que des sanctions limiteraient les exportations vers la Syrie de deux nouveaux types de biens : les produits de luxe et certains biens à double usage. Le 15 juin, un règlement n° 509/2012 du Conseil de l’Union européenne est venu modifier le règlement n° 36/2012 et préciser les modalités d’exécution de ces sanctions, en vigueur depuis le 17 juin 2012.

Les « biens et technologies à double usage » visent les produits ou services susceptibles d’avoir une utilisation tant civile que militaire, c’est-à-dire le plus fréquemment originairement destinés à un usage inoffensif, notamment industriel ou agricole, mais pouvant également servir à développer des armes ou du matériel militaire. En dehors de la situation syrienne, leur exportation n’est pas interdite a priori mais fait l’objet d’un contrôle, défini juridiquement par un règlement communautaire n° 428/2009 du 5 mai 2009. Celui-ci fixe les différents types de licence à l’exportation ainsi que la liste des biens concernés. Ces restrictions s’appliquent alors à toutes les exportations vers des territoires extérieurs à l’Union européenne. À l’exception de certains biens très sensibles, inscrits sur une liste spécifique, les transferts à l’intérieur du territoire communautaire ne sont pas soumis à ces contrôles.

S’agissant de la Syrie, le régime est bien évidemment nettement plus contraignant. Depuis le 17 juin 2012, ces biens à double usage doivent être distingués. À l’issue d’une énumération très précise annexée au règlement, certains ne peuvent plus être exportés. On y trouve notamment les équipements de protection et de détection (masques à gaz et vêtements de protection par exemple), les installations pour la production de substances chimiques (cuves de réaction et citernes), les substances chimiques pouvant servir de précurseurs à des agents chimiques et toxiques et enfin les agents pathogènes humains, animaux et des plantes (à savoir différents virus, bactéries et toxines). D’autres, tout en continuant à pouvoir faire l’objet d’une exportation, rejoignent le régime classique de l’autorisation préalable. Peuvent être signalés d’autres produits chimiques et toxines non pathogènes, divers équipements de laboratoire (vannes, soupapes, pompes à vide, etc.) ainsi que certaines technologies ou logiciels informatiques.

Au rang des produits de luxe frappés par une interdiction d’exportation, l’inventaire à la Prévert cède la place à une appréciation objective du prix d’achat : le caviar, truffes et cigares ne sauraient ainsi excéder 10 € ; les vins et eaux de vie, 50 € le litre ; la vaisselle de table et les montres, 500 € ; les vêtements et chaussures, 600 € ; et les véhicules, avions et bateaux, 25 000 €.

Voilà donc M. Al-Assad peut-être obligé de se contenter de cigarillos alors que son épouse devra jeter son dévolu sur des chaussures à (seulement) 599 €. Pas certain que le sort des Syriens en soit profondément amélioré et que les effusions de sang se tarissent, ce d’autant plus qu’en dehors du cadre européen, l’ONU peine à dépasser les vétos russes et chinois (V. sur ce point l’excellent blog Un peu de droit). La mesure est essentiellement symbolique confiait un diplomate à l’issue de la réunion du Conseil, admettant que ce type de mesures pouvait être facilement contourné (L’Express, 23 avr. 2012) : « Il s’agit de faire comprendre au couple Assad, mais aussi à son clan et aux membres du régime, que les événements en Syrie ont également des conséquences sur leur train de vie personnel ». Pourtant, la politique et, plus encore, une Révolution ont parfois besoin de symboles. Qu’importe que la Bastille ait été presque vide en 1789, sa prise marquera une étape fondatrice dans le changement de régime qui suivit. C’est sans doute tout le bien que l’on peut souhaiter au peuple syrien.

Nicolas Kilgus
Doctorant contractuel à la faculté de droit de Strasbourg


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