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Des minutes qui font l’histoire : cinq siècles d’archives notariales à Paris

Le blog Dalloz - bley, 6/06/2012

Les Archives nationales s’étaient déjà remarquablement illustrées, il y a deux ans, avec cette belle exposition consacrée à la justice révolutionnaire : « La Révolution à la poursuite du crime ! ». Voilà que l’hôtel de Soubise récidive cette fois-ci avec une thématique plus proche de la vie civile : « Des minutes qui font l’histoire. Cinq siècles d’archives notariales ». Faire [...]

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Les Archives nationales s’étaient déjà remarquablement illustrées, il y a deux ans, avec cette belle exposition consacrée à la justice révolutionnaire : « La Révolution à la poursuite du crime ! ». Voilà que l’hôtel de Soubise récidive cette fois-ci avec une thématique plus proche de la vie civile : « Des minutes qui font l’histoire. Cinq siècles d’archives notariales ». Faire parler les archives, donner corps et vie à ce qu’elles renferment, souvent depuis des siècles et alors même que le matériau est très statique : voilà tout le défi auquel sont confrontés les archivistes. Un défi toutefois particulièrement stimulant tant l’on connaît aujourd’hui le goût de l’archive (A. Farges, Seuil, coll. « Points Histoire », 1989 : surtout à propos des archives judiciaires). Le résultat de l’exposition est assurément à la hauteur de la difficulté.

La tâche était pourtant délicate, car elle s’attaque à une source qui peut se révéler d’un premier abord particulièrement aride. Ici, dans ces magnifiques salles du premier étage, l’objectif est de faire parler le minutier central des notaires de Paris. Le minutier est une sorte de banque de données regroupant l’ensemble des actes versés par les notaires parisiens, tout au long de l’histoire, passé l’écoulement d’un certain délai. Évidemment, vient un temps où la confidentialité n’a plus la même vigueur et où la recherche et l’histoire prennent le dessus. Même si la conciliation entre ces deux impératifs peut se révéler très difficile (V. par ex. C. Vivant, L’historien saisi par le droit. Contribution à l’étude des droits de l’histoire, Dalloz, coll. « Nouvelle bibliothèque de thèses », vol. 68, 2007, no 14, p. 12), la centralisation des documents notariés est donc aujourd’hui assurée.

Cette exposition a été permise tout d’abord par la loi du 14 mars 1928 relative au dépôt facultatif dans les archives nationales et départementales des actes de plus de cent vingt-cinq ans, conservés dans les études de notaires (avant la loi de 1928, V. l’étude consacrée à cette question dans le catalogue, p. 204). Son article 2 disposait que « les minutes et documents de toute nature ayant plus de cent vingt-cinq ans, conservés dans les études et dans les dépôts communs organisés par les chambres de notaires peuvent être, en totalité ou en partie, déposés par les notaires ou par les chambres de notaires soit aux archives nationales […] soit aux archives départementales […] ». En 1932, le minutier central des notaires de Paris s’est ainsi constitué pour satisfaire à cette prévision d’un dépôt encore facultatif. Il centralisa alors les multiples versements dans les quelques registres existant déjà. Son rôle s’accrut quand le dépôt devint obligatoire avec la loi n° 79-18 du 3 janvier 1979 sur les archives, aujourd’hui dans le code du patrimoine. En effet, selon l’article L. 211-4, les minutes et répertoires des officiers publics ou ministériels sont des archives publiques. L’article R. 212-15 du code du patrimoine, modifié récemment par un décret no 2011-574 du 24 mai 2011, prévoit quant à lui que la conservation est assurée par les notaires pendant soixante-quinze ans avant le versement dans un dépôt d’archives.

Dès lors, on comprend que le minutier a bénéficié d’une source qui ne s’est jamais tarie. Au contraire, elle a considérablement augmenté. Plus de vingt millions d’actes y sont aujourd’hui conservés (Catalogue, p. 196). Les possibilités étaient donc exceptionnelles pour cette exposition qui s’est finalement attelée à tenter de répondre à la question de savoir ce que révèlent les archives notariales.

Renseigner l’histoire de l’institution notariale, tout d’abord. Remonter à ses origines les plus anciennes, souvent méditerranéennes. La profession n’est pas récente. Loin de là. En témoigne ce registre laissé par Giovanni Scriba, notaire génois, et qui constitue sans doute le plus ancien document notarié conservé : il remonte à 1154. L’acte parisien le plus ancien que contient le minutier serait un bail à rente pour un terrain à vigne, à Rueil. Détérioré, il daterait de 1471.

L’exposition des Archives nationales est aussi l’occasion d’un regard sur le notaire. L’homme, bien sûr, dont le théâtre, la littérature et l’opéra se sont toujours emparés. Mais aussi son étude, reconstituée pour l’occasion. Les mentions en marge des minutes, les inventaires après décès, la composition des bibliothèques sont autant d’éléments qui permettent de saisir une personnalité en particulier, un corps en général.

Mais le questionnement des minutes est surtout un formidable témoin de la vie civile, le reflet d’une époque. Le notaire intervient à tous les stades et accidents de la vie : mariage, décès, logement, difficultés financières ou encore réussite professionnelle. C’est surtout là qu’excelle cette exposition d’un genre particulier et qu’elle révèle toute l’utilité des archives. « Tous les aspects du parcours des Français en tant que contractant » (A. Magnien, Catalogue, p. 9) sont finement dévoilés. Avec un sentiment de « délicieuse effraction » (P. Robert-Diard, Une civilisation racontée par ses notaires, Le Monde, 22 avr. 2012), on découvre d’inestimables trésors ; des documents dont l’on ne peut soupçonner sans les avoir vus la charge émotionnelle qu’ils véhiculent, bien plus forte que leur valeur juridique. Ainsi, par exemple, ce contrat de mariage entre Molière et Armande Béjart (1662), dont les mauvaises langues disaient qu’elle était sa fille, ou encore entre Racine et Catherine de Romanet (1677), ou, événements plus malheureux, ces inventaires après décès de Rossini, Chopin ou Champollion. L’on trouve également des testaments – celui de Victor Hugo – ou des donations, à l’instar de celle d’Alexandrine Zola au profit de l’Assistance publique à propos de la propriété de Médan. L’occasion est également donnée de consulter des contrats et devis en tout genre, comme celui de l’orgue de Saint-Sulpice (1777), ou encore des statuts de sociétés, comme ceux de la Compagnie universelle du canal de Suez. Proudhon fréquenta également un office notarial pour son projet de Banque du Peuple.

Depuis l’heureuse association Jean Clair-Robert Badinter, il n’est plus besoin de démontrer que le droit s’expose. Mais également pour des raisons pédagogiques. C’est l’une des grandes réussites de l’exposition des Archives nationales qui démontre la qualité du notaire en tant que témoin cardinal des événements qui se sont déroulés depuis plusieurs siècles. Ses archives participent indéniablement de la mémoire collective. En somme, à l’hôtel de Soubise, des milliers de pages de la petite histoire contribuent à former la grande histoire.

Thibault de Ravel d’Esclapon
Chargé d’enseignement – Centre du droit de l’entreprise
Université de Strasbourg – Faculté de droit

 

Exposition du 13 avril au 16 juillet 2012 – Hôtel de Soubise – 1er étage
60, rue des Francs-Bourgeois, 75003 Paris

Horaires
Du lundi au vendredi de 10 h à 17 h 30
samedi et dimanche de 14 h à 17 h 30
fermée le mardi et les jours fériés


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