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Soyez le JAF (1) : le délibéré

Journal d'un avocat - Eolas, 20/03/2012

L’audience de la semaine passée avait commencé à 09h05. Eléa et Païkan ont attendu le délibéré avec la boule au ventre.

En s’arrêtant au commentaire #190, on relève que parmi les commentateurs :

- 6 personnes se sont prononcées en faveur d’une résidence habituelle chez la mère (avec un droit de visite et d’hébergement pour le père),

- 9 personnes se sont prononcées en faveur d’une résidence provisoire chez la mère, dans l’attente des résultats d’une mesure avant dire droit (enquête sociale et/ou expertise médico-psychologique),

- 8 personnes se sont prononcées en faveur d’une résidence alternée « définitive », c’est-à-dire sans mesure avant dire droit,

- 4 personnes se sont prononcées en faveur d’une résidence alternée provisoire, avec réexamen de la situation dans X mois, sans pour autant ordonner de mesure avant dire droit,

- 9 personnes se sont prononcées en faveur d’une résidence alternée provisoire avec mesure avant dire droit.

Soit 15 commentateurs (42%) en faveur de la fixation de la résidence des enfants au domicile de la mère (à titre habituel ou provisoire) et 21 commentateurs (58%) pour la résidence alternée (habituelle ou provisoire).

Par ailleurs, 23 mesures avant dire droit ont été ordonnées en tout, dont 16 enquêtes sociales familiales et 7 expertises médico-psychologique, parfois de façon cumulative.

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Au préalable, il convient de rappeler que les réflexions qui figurent dans ce billet sont personnelles et que le délibéré qui est proposé ne prétend pas être la seule solution qui puisse être donnée au litige opposant Eléa et Païkan. La justice est rendue par des êtres humains qui, en appliquant les mêmes textes de lois, peuvent parfois porter une appréciation différente sur les mêmes faits (Pour Paul Ricoeur, la finalité courte de l’acte de juger consiste à trancher le litige, « en vue de mettre un terme à l’incertitude », et la finalité longue est la contribution à la paix sociale (« L’acte de juger », Le juste, 1995). La part faite à la vérité et à la justice comme deux absolus est donc assez restreinte, et de ce point de vue le juge, même civiliste, est plus un régulateur social qu’un grand sage.). Les voies de recours sont d’ailleurs faites pour permettre à chacun de voir sa cause rejugée par un autre juge, et pour uniformiser les jurisprudences.

Mais avant tout, comment font Eléa et Païkan dans l’attente du délibéré ?

En moyenne, les délibérés du juge aux affaires familiales (hors divorce) interviennent entre quinze jours et un mois après l’audience. Dans un tribunal en crise, ce délai peut aisément être dépassé. Certains d’entre vous se sont donc interrogés : que font les parents pendant ce temps ? Qui est dans son bon droit ?

Lorsque les justiciables disposent d’une précédente décision judiciaire (comme par exemple leur divorce, ou un précédent jugement du JAF), celle-ci demeure en vigueur jusqu’à ce qu’elle soit éventuellement modifiée par une nouvelle décision. Ce n’était pas le cas d’Eléa et Païkan, qui viennent d’un monde idéal où les JAF n’existent pas.

Tous deux ont reconnu chaque enfant dans l’année de sa naissance et l’autorité parentale est donc exercée en commun. Or la résidence de l’enfant est l’une des questions relevant de l’autorité parentale. Dans l’attente du délibéré, Eléa et Païkan devraient donc prendre, d’un commun accord, une décision concernant la résidence de leurs enfants, et à défaut d’accord… saisir le JAF. Joli syllogisme. Eléa et Païkan sont donc condamnés à attendre.

Comment faire autrement ? Le juge doit avoir le temps de réfléchir à froid (la prise de décision à chaud est la plus mauvaise des solutions), prendre connaissance des pièces, parfois nombreuses, lire les conclusions des parties lorsqu’il y en a, prendre une décision, la rédiger sur son ordinateur, la relire, l’envoyer à son greffe pour qu’il la mette en forme et l’imprime, la relire à nouveau, la signer et l’adresser aux avocats ou directement aux justiciables lorsqu’ils n’ont pas d’avocat. Tout cela pour chaque dossier. Ce temps incompressible est celui du délibéré.

Nous sommes samedi et le juge a enfin le temps de rédiger ses décisions. Par précaution, il relit quand même l’article 373-2-11 du code civil, lequel dispose que, « lorsqu’il se prononce sur les modalités d’exercice de l’autorité parentale, le juge prend notamment en considération :

1° La pratique que les parents avaient précédemment suivie ou les accords qu’ils avaient pu antérieurement conclure ;

2° Les sentiments exprimés par l’enfant mineur dans les conditions prévues à l’article 388-11 ;

3° L’aptitude de chacun des parents à assumer ses devoirs et respecter les droits de l’autre ;

4° Le résultat des expertises éventuellement effectuées, tenant compte notamment de l’âge de l’enfant ;

5° Les renseignements qui ont été recueillis dans les éventuelles enquêtes et contre-enquêtes sociales prévues à l’article 373-2-122 ;

6° Les pressions ou violences, à caractère physique ou psychologique, exercées par l’un des parents sur la personne de l’autre. »

Suivons donc le raisonnement étape par étape.

1. La pratique antérieure des parents

Le plus souvent, la pratique antérieure des parents est facile à déterminer car elle ne souffre aucune discussion. Les parents indiquent que depuis leur séparation les enfants sont chez l’un ou chez l’autre ou en résidence alternée, ou encore que depuis le mois de septembre le petit frère est venu habiter chez son père, etc. Ce n’est pas le cas d’Eléa et Païkan, pour qui on en est réduits à deviner quelle était exactement leur pratique antérieure. Quels sont donc les faits constants, c’est-à-dire les faits non contestés par les parties ?

- il y a manifestement eu une période post-séparation de juin 2011 à mi-octobre 2011 où le père voyait beaucoup plus les enfants qu’il ne les a vus ensuite. Il est vraisemblable qu’il s’agissait d’une sorte de résidence alternée puisque la directrice de la crèche parle d’« une semaine sur deux » (sur une période d’un mois toutefois très courte, dont on peut se demander si elle est pertinente) et que le père a consulté le médecin pour ses enfants au moins une fois un mardi, c’est-à-dire en pleine semaine. Toutefois, aucun des proches de Païkan attestant pour lui ne fait état d’une quelconque résidence alternée en septembre-octobre. C’est donc assez louche et on n’en saura pas plus. Et s’il y a eu une résidence alternée, était-elle vraiment souhaitée par les deux parents ou bien Eléa la subissait-elle comme elle le prétend ? Ici encore, nous n’en saurons rien. Enfin, s’il y a eu une résidence alternée, était-elle de l’intérêt des enfants et le juge doit-il la faire sienne ?

- à compter de la mi-octobre, Païkan a beaucoup moins vu ses enfants, qui résidaient désormais totalement chez Eléa, suite à une décision unilatérale de la mère. Depuis, il ne les voit que certains week-ends, au bon vouloir d’Eléa.

Dans ce dossier, comme cela arrive parfois, ni les avocats, ni les parties elles mêmes, ni les pièces du dossier ne permettent de savoir avec précision la pratique qui a été celle des parents pendant quatre mois.

2. Les sentiments exprimés par l’enfant mineur

L’article 388-1 du code civil prévoit que, dans toutes les procédures qui le concernent, l’enfant peut demander à être entendu par le juge. Cette audition est de droit et ne peut être refusée que si l’enfant n’est pas discernant.

Comme en matière pénale, le législateur n’a pas fixé dans la loi l’âge de discernement de l’enfant et il appartient à chaque juge d’estimer, au cas par cas, si un enfant est discernant et peut en conséquence être entendu. Dans le cas qui nous occupe, Léo et Léa sont trop jeunes pour être regardés comme discernants et nous devrons donc nous passer de leur avis.

3. L’aptitude des parents à assumer ses devoirs et à respecter les droits de l’autre


Sur les qualités éducatives de chacun des deux parents

Rien ne permet de remettre en cause les qualités éducatives et pédagogiques des deux parents. Celles de la mère ne sont pas du tout remises en cause par le père. Quant au père, les attestations versées aux débats et notamment celle du médecin suffisent à écarter tous les doutes formulés indirectement par la mère.

Sur le « coup de force » d’Eléa


Certains commentateurs ont relevé que laisser les enfants chez Eléa au motif qu’ils y sont depuis quatre mois et ne s’y trouvent pas malheureux serait entériner son coup de force de la mi-octobre. C’est déjà une interprétation des faits, car il n’est pas démontré qu’il existait une résidence alternée auparavant et, même si elle existait, il n’est pas certain qu’il ne s’agissait pas cette fois-ci d’un coup de force du père.

Mais même à supposer qu’Eléa ait accompli ce coup de force, que faudrait-il en conclure ? Qu’il faut faire vivre les enfants chez le père, pour punir la mère ? Imaginons par exemple une femme quittant le domicile familial avec les enfants et refusant de les confier à un père violent : le coup de force ne serait-il pas pour autant, en l’espèce, conforme à l’intérêt des enfants ? Si les enfants sont bien chez Eléa depuis quatre mois, il n’est pas totalement absurde de considérer que leur intérêt peut passer par la préservation de cette stabilité. Le JAF n’a pas à punir un parent ni à récompenser l’autre, il est là pour préserver l’intérêt des enfants.

Il ne s’agit pas d’encourager ou de légitimer un quelconque coup de force mais simplement de rappeler que le droit ne peut pas se soustraire à la réalité et doit bien composer avec elle.

4. Les mesures avant dire droit

Une enquête sociale et/ou une expertise médico-psychologique apporteront toujours une plus value au dossier et des éléments de motivation. Mais ces mesures sont coûteuses en argent et en temps. Une enquête sociale, c’est 650 €(À la charge de la partie ou des parties condamnée(s) aux dépens, ou du trésor public en cas d’aide juridictionnelle) et 3 à 6 mois de délai, outre l’organisation d’une seconde audience, avec une seconde décision à rendre. Comme indiqué dans le premier billet, le délai pour être convoqué devant le JAF varie de 3 à 10 mois environ, selon la situation du tribunal. À moyens constants, ordonner trop de mesures avant dire droit revient à prendre le risque de faire doubler ces délais.

Ces mesures doivent donc présenter un véritable intérêt. Il n’apparaît utile de les ordonner que si l’on croit qu’elles permettront de mieux trancher lorsqu’on reverra les parties à la deuxième audience. Dans le cas qui nous occupe aujourd’hui, il apparaît évident qu’Eléa et Païkan ont chacun leurs faiblesses, leur vécu, leurs difficultés, et qu’une mesure avant dire droit permettrait d’en savoir plus à ce sujet. Mais cela n’apparaît pas pour autant indispensable : il est intéressant de relever qu’aucun avocat n’a suggéré une telle mesure, que les qualités éducatives de chacun des parents ne sont pas valablement remises en cause, pas plus que l’attachement des enfants à leurs deux parents. Il n’y a aucun élément d’inquiétude particulier.

En tout état de cause, s’il l’on voulait vraiment ordonner une mesure avant dire droit dans ce dossier, il s’agirait plus probablement d’une enquête sociale, car ni l’épisode de violences du père ni la dépression de la mère ne suffisent à caractériser des profils psychologiques ou psychiatriques si complexes qu’une expertise médico-psychologique apparaisse indispensable. À l’inverse, l’enquête sociale permettrait, au passage, d’approfondir le vécu du couple parental, de détailler les conditions d’hébergement des enfants au domicile de chacun des deux parents (et surtout du père, puisqu’il dit lui-même que c’est petit) et la façon dont les enfants réagissent au contact de chacun de leurs parents.

Enfin, certains ont proposé une résidence alternée provisoire avec une nouvelle étude de la situation dans quelques mois. C’est tout à fait envisageable, mais le risque est de n’avoir aucun élément nouveau lors de la prochaine audience si chacun des parents maintient sa demande et tire de la résidence alternée provisoire le bilan qui l’arrange. Dans ce cas, il apparaît intéressant de doubler cette décision d’une mesure d’enquête sociale afin de disposer d’éléments d’appréciation complémentaires.

5. Sur les violences du père

Les violences sont reconnues par Païkan, quoique visiblement minimisées. Le seul épisode dont on a la preuve s’est produit plus d’un an avant la séparation du couple et les attestations versées aux débats ne reviennent pas sur le caractère éventuellement violent du père. La réponse pénale est restée modérée, puisque le ministère public a ordonné une médiation pénale, mesure alternative aux poursuites qui suppose la reconnaissance des faits par l’auteur et l’acceptation de cette mesure par la plaignante. Il n’a jamais été allégué la moindre violence en la présence ou sur les enfants, de sorte que le contexte dans lequel elles se sont produites n’existe plus et que le risque pour les enfants apparaît nul. Dans notre dossier, les faits de violences n’apparaissent donc pas réellement pertinents pour la prise de décision, même si un rappel dans la motivation sera utile comme l’a judicieusement rappelé le maître des lieux, afin de ne pas faire comme si ces violences n’avaient jamais existé.

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Voici quelques éléments de débat et de réflexion sur les questions posées par ce cas pratique.

Sur la résidence alternée

Il n’est pas question ici d’émettre un avis de principe en faveur ou contre la résidence alternée (Les lecteurs qui souhaiteraient se faire un avis à ce sujet pourront par exemple lire avec profit le numéro de l’AJ Famille du mois de décembre 2011, dont le dossier spécial traite de la résidence alternée), ce débat dépassant de loin le cadre de ce billet. Voici simplement quelques éléments de réflexion :

- le législateur de 2002 a prévu la résidence alternée à l’article 373-2-9 du code civil. Ce faisant, il n’a fixé aucune condition d’âge, et notamment aucun âge minimal. Cela signifie que tout raisonnement qui consiste à poser comme principe qu’un enfant de tel âge est trop jeune pour une résidence alternée est un raisonnement contraire à la loi. Encore faudra-t-il le démontrer et le dire autrement : pour rejeter une demande de résidence alternée, il faudra pour le juge expliquer en quoi, dans cette situation donnée, la résidence chez un des deux parents préserve mieux les intérêts de l’enfant que la résidence alternée.

- certains ont relevé une mésentente entre les parents, qui pourrait empêcher la résidence alternée. Néanmoins, on ne peut pas poser en condition sine qua non d’une résidence alternée la bonne entente des parents, sauf à prendre le risque de laisser le parent défavorable à cette mesure entretenir le conflit.

- le législateur n’a pas prévu que la résidence alternée serait le fonctionnement de principe(La proposition de loi en ce sens semble d’ailleurs n’avoir reçu aucune suite). Pour Léo et Léa, l’incidence n’est pas des moindres : il ne suffit pas de constater que la résidence alternée est réalisable (ce qui reste d’ailleurs à démontrer, notamment avec 25 minutes de trajet en voiture matin et soir) et qu’aucun des deux parents ne présente de danger pour les enfants, car ce raisonnement viserait, par la négative, à ne pas exclure l’application du principe de la résidence alternée. Mais, comme en droit positif la résidence alternée n’est pas de principe, il faut démontrer, positivement cette fois-ci, qu’elle répond bien à l’intérêt des enfants.

Sur la résidence chez le père ou chez la mère

Dans le cas qui nous occupe, Païkan ne demandait pas la fixation de la résidence habituelle des enfants à son domicile. Cette hypothèse n’était donc pas envisageable pour le juge, qui reste lié par les demandes des parties.

Les statistiques réalisées par le ministère de la justice (à propos des divorces), sont très éclairantes. Il en ressort (Rapport du Secrétariat général du ministère de la justice, 2009) que, tous types de divorces confondus, en 2007, la résidence des enfants était fixée chez le père dans 7,9 % des cas, chez la mère dans 76,8 % des cas et en alternance dans 14,8 % des cas.

Une lecture hâtive de ces chiffres pourrait conforter la théorie selon laquelle il existe une réelle injustice des juges envers les pères. Toutefois, ces statistiques concernent les décisions rendues et sont donc à corréler avec des statistiques concernant les demandes des parents (Je n’ai pas trouvé de telles statistiques sur Internet, avis aux commentateurs…). Le juge étant lié par les demandes des parties, il ne sera pas étonnant que peu de pères obtiennent la résidence de leurs enfants si peu d’entre eux en font la demande. C’est une hypothèse de réflexion dont nous reparlerons un peu plus bas.

Ces données sont donc insuffisantes pour tirer des conclusions définitives. Elles permettent cependant de constater trois choses :

- dans le divorce par consentement mutuel, où les deux époux se mettent d’accord entre eux sans l’intervention d’aucun juge (Le juge aux affaires familiales n’intervient que pour homologuer la convention des parties en vérifiant qu’elle respecte, notamment, l’intérêt des enfants), le taux de résidences alternées est certes le plus élevé (21,5 %) mais demeure relativement limité (moins d’une famille sur quatre), et le taux de résidences chez le père est le plus faible (6,5 %) ;

- dans un divorce accepté, qui est un divorce contentieux (Il existe en France quatre types de divorces. Tout d’abord, le divorce par consentement mutuel, qui est un divorce gracieux : le JAF homologue la convention de divorce préparée par les parties et prononce leur divorce. Les trois autres divorces sont contentieux (le juge tranche alors un litige) : il s’agit du divorce dit « accepté », où les parties sont d’accord sur le principe de la rupture du mariage mais pas sur toutes les conséquences (argent, enfants etc), le divorce pour faute et le divorce pour altération définitive du lien conjugal, qui peut être prononcé à la demande d’une partie seulement, lorsqu’elle justifie que les époux ont cessé de vivre ensemble depuis au moins deux ans), c’est-à-dire où le juge tranche, le taux de résidence chez le père (9,1 %) est supérieur à celui des divorces par consentement mutuel (6,5 %) et même à la moyenne tous divorces confondus (7,9 %) ; à l’inverse, le taux de résidences alternées chute à 10,7 % ;

- la part des résidences fixées chez le père n’est jamais aussi importante (11,1 %) que lorsque le divorce est très conflictuel, comme les divorces pour faute (Ce chiffre s’explique toutefois bien plus par la chute vertigineuse de la résidence alternée – 4,4 % – probablement en raison du caractère souvent trop conflictuel de la situation, que par une désaffection des mères, pour qui le taux de fixation de la résidence culmine à 83,9% dans ce type de procédures).

Si l’on pose l’hypothèse selon laquelle, lors d’un divorce par consentement mutuel, aucun des époux n’est manipulé par l’autre ni contraint, on constate que 71,8 % des familles, et donc 71,8 % des mères et 71,8 % des pères, souhaitent que la résidence des enfants soit fixée chez la mère (Certains commentateurs du billet précédent ont soutenu que les pères se voyaient déconseiller par leur avocat de demander la résidence de leur enfant. C’est méconnaître la réalité du système judiciaire : tout d’abord, pourquoi un avocat déconseillerait-il cette demande à son client ? Le seul risque d’une telle demande est qu’elle soit rejetée, ce qui revient exactement au même que de ne pas la formuler… Mais surtout, en procédure hors-divorce, comme c’est le cas d’Eléa et Païkan, l’avocat n’est pas obligatoire et plus de la moitié des dossiers sont des dossiers sans avocats : qui, cette fois, aurait alors manipulé le père ? Ces théories ne convaincront que ceux qui veulent absolument se croire victimes d’un complot des juges et des avocats contre les pères du monde entier…). Dès lors, l’hypothèse évoquée plus haut et selon laquelle le faible taux de résidences alternées et de résidences chez le père résulterait, pour une large part, du faible taux de ces demandes chez les pères, apparaît relativement valable, même si elle demande à être confortée par des statistiques.

Et l’idée que les juges trancheraient en défaveur des pères n’apparaît donc pas évidente.

Sur la contribution alimentaire

Une bonne méthode de raisonnement consiste ici à déterminer le coût mensuel que représente un enfant pour ses parents, notamment en fonction de son âge et du nombre d’enfants du couple, puis de le répartir entre les deux parents au prorata de leurs ressources respectives, en estimant que le parent qui héberge habituellement l’enfant contribue en nature tandis que l’autre parent contribue sous la forme d’une pension alimentaire (Par exemple, si un enfant coûte 500 € par mois, qu’il vit chez sa mère, que celle-ci a un salaire de 1.200 € et le père de 3.000 €, le rapport des revenus des parents est de 29 % pour la mère et de 71 % pour le père, donc la pension alimentaire de ce dernier devrait, en théorie, être de (500 € x 0,71) 355 € par mois).

Il est toutefois difficile d’estimer précisément le coût réel d’un enfant. Il y a les frais faciles à quantifier : couches, vêtements, soins… et les frais plus ou moins masqués parce que dilués dans les dépenses des parents : alimentation, logement, voiture… Et même à supposer que l’on puisse établir de façon incontestable le coût d’un enfant, il reste ensuite à adapter la pension alimentaire aux facultés contributives du parent qui en est débiteur.

Diverses tentatives de rationalisation ont été réalisées mais ne revêtent pour les juges qu’un caractère purement indicatif. Il s’agit par exemple, en Allemagne, du barème de Dusseldorf ou, chez nous, du barème établi par la Direction des affaires civiles et du Sceau (DACS) (La DACS est l’une des quatre directions du ministère de la justice avec la Direction des affaires criminelles et des grâces (DACG), la Direction de protection judiciaire de la jeunesse (DPJJ) et la Direction de l’administration pénitentiaire, DAP). Ces grilles peuvent servir à fixer des ordres de grandeurs, la pension variant ensuite nécessairement en fonction de la situation financière et personnelle de chaque créancier, de chaque débiteur et des besoins de chaque enfant.

En théorie, les revenus du nouveau compagnon ou de la nouvelle compagne du débiteur ne sont pas pris en compte. Ils le sont cependant indirectement puisqu’ils viennent amoindrir les charges du débiteur. Payer seul un loyer de 800 € ou le partager par moitiés avec son nouveau compagnon, ce n’est évidemment pas la même chose.

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Voici une proposition de délibéré.

Sur l’exercice de l’autorité parentale

Attendu que Léo et Léa ont été reconnus par leurs deux parents dans l’année de leur naissance ; que l’autorité parentale est par conséquent exercée en commun par les deux parents, comme il sera rappelé au dispositif du présent jugement ;

Sur la résidence des enfants

Attendu qu’au soutien de sa demande tendant à voir instaurer une résidence alternée pour ses deux enfants, Païkan expose que (rappel des moyens et arguments de Païkan) ;

Attendu toutefois que, si durant les mois de juillet à octobre 2011 Païkan a manifestement vu ses enfants de façon fréquente et régulière, les pièces versées aux débats ne permettent pas pour autant d’établir qu’une réelle résidence alternée a été mise en place entre les parties postérieurement à leur séparation ; qu’il est cependant constant que Léo et Léa résident habituellement au domicile de leur mère depuis mi-octobre 2011 ;

Attendu par ailleurs que la mise en place d’une résidence alternée supposerait pour les deux enfants de changer de cadre de vie chaque semaine alors qu’ils ne sont âgés que de 4 ans et demi et de 2 ans et 8 mois ; que par ailleurs un tel mode de résidence impliquerait de leur faire supporter des trajets d’au moins 50 minutes chaque jour afin de se rendre à l’école ; que si les conditions d’accueil des enfants au domicile de leur père apparaissent satisfaisantes pour l’exercice d’un droit de visite et d’hébergement, elles demeurent moins bonnes que celles offertes par la mère, restée au domicile familial où les enfants ont vécu depuis leur naissance et ont leurs habitudes ; que dès lors, l’intérêt des enfants commande, en l’état, de fixer leur résidence habituelle au domicile de leur mère ;

Sur les droits du père

Attendu qu’au soutien de sa demande subsidiaire tendant à se voir octroyer un droit de visite et d’hébergement élargi s’exerçant toutes les fins de semaine, du vendredi soir au lundi matin, Païkan expose que (rappel des moyens et arguments de Païkan) ;

Attendu qu’il ressort des pièces versées aux débats que les qualités éducatives des deux parents sont très satisfaisantes ; que contrairement aux allégations de la défenderesse, le père démontre qu’il se préoccupe de la santé de ses enfants en les ayant conduits chez le médecin à deux reprises en l’espace de deux mois ; que par ailleurs les faits de violences conjugales, bien que minimisés par Païkan, ne concernaient pas les enfants et qu’il n’est pas non plus allégué que ces violences auraient eu lieu en leur présence ; que dès lors rien ne justifie de faire obstacle aux relations que les enfants doivent entretenir avec leur père et qu’il sera ainsi fait droit à la demande de ce dernier de bénéficier d’un large droit de visite et d’hébergement ;

Attendu cependant qu’un droit élargi à toutes les fins de semaines reviendrait à priver les enfants de profiter de périodes de temps libre avec leur mère ; qu’une telle solution, contraire à leurs intérêts, ne saurait être retenue ; qu’il convient dès lors de prévoir que les droits du père prendront la forme d’un droit de visite et d’hébergement s’exerçant une fin de semaine sur deux, outre une journée en semaine, du mardi soir au mercredi soir ;

Sur la contribution du père à l’entretien et à l’éducation des enfants

Attendu qu’il ressort des déclarations des parties à l’audience et des pièces versées aux débats que leurs situations personnelles peuvent être résumées comme suit :

- Païkan est ingénieur en informatique et dispose d’une situation professionnelle stable ; il perçoit un revenu mensuel de 3.200 €, règle un loyer de 900 € qu’il partage avec sa compagne, ainsi que des mensualités de crédit à hauteur de 640 € par mois, soit un reste à vivre mensuel de 2.110 €, avant déduction des impositions et charges courantes ; qu’il exerce un droit de visite et d’hébergement élargi sur ses deux enfants ;

- Eléa est assistante infographiste depuis le mois d’octobre 2011 ; elle perçoit à ce titre un revenu mensuel de 1.150 €, outre 125 € d’allocations familiales, elle règle 114 € de mensualités de crédit à la consommation et expose un loyer résiduel de 350 € (400 € d’APL), soit un reste à vivre mensuel de 811 € avant déduction des impositions et charges de toutes natures ; qu’elle assume au quotidien les frais liés aux deux enfants ;

Attendu qu’il convient en conséquence de fixer à la somme de 290 € par enfant et par mois la part contributive de Païkan pour l’entretien et l’éducation de ses enfants, soit 580 € par mois en tout…


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