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Riss a raison et tort !

Justice au Singulier - philippe.bilger, 8/01/2020

Il n'est pas inutile qu'un Riss, avec son intelligence, son talent et son passé, vienne nous mettre en garde. Il a raison et tort. Donc, dans tous les cas, il a bien fait d'écrire et de nous alerter à sa manière.

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Le directeur de la rédaction de Charlie Hebdo, Riss, a dans un éditorial récent, écrit que "hier on disait merde à Dieu, à l'armée, à l'Eglise, à l'Etat. Aujourd'hui il faut apprendre à dire merde aux associations tyranniques, aux minorités nombrilistes, aux blogueurs et blogueuses qui nous tapent sur les doigts comme des petits maîtres d'école".

A l'évidence Riss n'en peut plus. Au point de sembler dénier à d'autres une liberté d'expression dont use heureusement Charlie Hebdo, qui l'a payée au prix le plus tragique.

Je peux pourtant tout à fait comprendre qu'à la longue certaines associations, quelques minorités et une catégorie de blogueurs lui fassent perdre sa maîtrise. Probablement celles dont la vocation est de donner des leçons et imposer leur conception de la vertu, de la société et de l'humour. Celles qui tapent sur les doigts et ne nourrissent ni les esprits ni la contradiction.

Riss, au fond de lui, j'en suis persuadé, est prêt à admettre qu'il s'agit de l'inévitable rançon de ce qui permet à tout un chacun, avec les réseaux sociaux, de magnifier sa subjectivité et d'hypertrophier son ego en leur donnant toute licence de s'ébattre dans le champ de la communication au sens large. Cette dérive n'en deviendrait véritablement une qu'à partir du moment où elle serait seule au pouvoir. Mais la plupart du temps - et Charlie Hebdo en est l'exemple acide et percutant - des ripostes, des dérisions et des provocations viennent occuper le terrain. Qui n'ont pour ambition que de porter le fer ou le rire dans la plaie ou dans le sérieux compassé, la gravité ennuyeuse.

Riss et Charlie Hebdo ne doivent pas oublier, par exemple, le rôle irremplaçable des blogs pour compléter voire enrichir les médias classiques, exercer un droit de suite ou même de les contredire quand leur analyse univoque les aveugle.

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Ce qui signifie qu'on a évidemment le devoir de pourfendre les dispensateurs d'éthique confortablement installés dans le vent social mais en même temps de saluer tous ceux qui apportent leur pierre même modeste à l'édifice démocratique, si on veut bien considérer que la liberté d'expression en est l'un des piliers.

Pour proposer un exemple, même si je connais la veine de Charlie Hebdo et l'obligation de maltraiter tout ce qui est officiel et respectable, je suis enclin à croire que cette volonté de "dire merde" même à des cibles pour lesquelles on n'a jamais eu la moindre indulgence, est négative. Cette obsession de systématiquement stigmatiser les institutions et les pouvoirs qui n'ont que le tort d'exister et de susciter une adhésion forte des conservateurs et des partisans d'une société sûre et tranquille, est elle-même la traduction de préjugés qui peuvent certes faire rire en ridiculisant les adversaires, mais surtout ouvrir une brèche qui clive et décrète, à son tour, le Bien et le Mal.

Moquer la tradition et tout ce qui structure et rassemble depuis longtemps la France autour de valeurs (j'ose le terme !) qui n'ont rien de honteux, comble d'allégresse beaucoup de citoyens et en blesse d'autres. D'où la bienfaisante présence, autour de cette dérision institutionnalisée, de sauvegardes. On n'est pas contraint de cracher sur la religion chrétienne parce que Charlie Hebdo nous y invite de manière un peu répétitive.

Derrière la colère de Riss, il y a cependant un authentique problème dont depuis des mois l'actualité politique et universitaire nous présente le triste tableau. L'avocat de Charlie Hebdo, Me Richard Malka, l'a lumineusement expliqué sur France Inter, mettant en évidence le paradoxe entre, d'un côté, une justice qui appréhende plus lucidement ce qui relève des écrits et des paroles poursuivies, et de l'autre, une société qui, notamment avec une jeunesse sectaire, censure, entrave, interdit et judiciarise à tout-va. C'est un hiatus très préoccupant qui confronte des citoyens insupportables à force de bienséance inadaptée, à des magistrats dont la conscience juridique et républicaine, dans ce domaine si sensible, s'amplifie et s'affine.

Il n'est pas inutile qu'un Riss, avec son intelligence, son talent et son passé, vienne nous mettre en garde. Il a raison et tort. Donc, dans tous les cas, il a bien fait de nous alerter à sa manière.


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