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On n'a que des frères humains !

Justice au Singulier - philippe.bilger, 28/06/2020

Il y a la politique, les grandeurs ou les malfaisances, les choix personnels, les détresses ou les dominations singulières, l'immense roulis des existences, les rapports de force ou de dépendance entre les hommes et les pays, qui viennent avec leurs contingences, leurs tragédies, leurs ignominies, apposer sur le constat nécessaire de l'égale dignité abstraite de tous, un impact dévastateur ou salubre.

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Il y a au moins un point commun entre Eric Zemmour et BHL : l'un comme l'autre - le second, certes plus rarement - n'ont pas peur des débats et ne fuient pas l'adversaire au point, pour certains, de prétendre l'interdire.

De sorte que, dans la deuxième confrontation qui les a opposés le 26 juin (Face à l'info sur C News), quoi qu'on pense d'eux, il y a forcément une vigueur, une incandescence stimulantes qui suscitera une adhésion totale aux propos de l'un des deux, ou une alternance.

N'ayant pu voir en direct le dialogue, j'ai été immédiatement saisi par la virulence de la discussion et de l'antagonisme frontal sur la notion de "frères humains".

Altercation passionnante avec un EZ du côté de l'humanisme et un BHL sous l'emprise de la politique. J'ai été d'autant plus intéressé par ce conflit qu'il m'a renvoyé à une conception judiciaire m'ayant toujours placé, à la cour d'assises, dans une interprétation de "frères humains" similaire à celle d'EZ.

Pour moi en effet, on n'a que des frères humains: créés ou non par Dieu selon la foi qui nous habite mais, quoi qu'il arrive, membres d'une famille humaine nous constituant, tous, par nature et en dignité originelle, comme des frères. Ensuite, l'existence, les actes, les comportements, les mille aléas des histoires personnelles ou des destins collectifs, pour le pire ou le meilleur, viendront bouleverser cette égalité de principe et cette fraternité éthique.

Pour pousser la provocation jusqu'au bout, pour EZ, Hitler était "un frère humain", certes dévoyé par l'horreur de ses actes, alors que BHL optait pour des "frères humains" à la carte, exilant dans une sorte d'enfer ceux qu'il ne considérait pas comme tels et donc, d'une certaine manière, prêt à légitimer toutes atteintes contre eux.

Il faisait preuve d'une indignation surjouée, cherchant à faire croire que qualifier tel ou tel de "frère humain" revenait à valider toutes les abjections. Il prenait alors les immigrés pour exemple, ses frères humains de prédilection, qu'il fallait s'obliger à traiter avec commisération, quelles que soient les données internationales et les droits des Etats à leur propre sauvegarde.

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Pour moi, l'humanisme authentique veut, en effet, que tout homme, où que ce soit, par une conviction d'évidence, soit un frère humain. C'est à cause de cette certitude chevillée au coeur et à l'esprit qu'on ne peut pas s'autoriser ostracisme, violence, rejet, mépris, ni accepter le racisme ou l'antisémitisme. Il y a ce terreau de base qui nous fait tous participer à l'universel - chacun, dans la nudité de son être, quelles que soient nos apparentes différences, étant frère de son voisin, de l'autre même aux antipodes de soi.

Puis il y a la politique, les grandeurs ou les malfaisances, les choix personnels, les détresses ou les dominations singulières, l'immense roulis des existences, les rapports de force ou de dépendance entre les hommes et les pays, qui viennent avec leurs contingences, leurs tragédies, leurs ignominies, apposer sur le constat nécessaire de l'égale dignité abstraite de tous, un impact dévastateur ou salubre.

Je n'aurais pas dit comme EZ que "je me fous des immigrés" mais j'aurais tenté de soutenir que notre fraternité originelle d'humain ne me conduit pas à les sanctifier ou à m'interdire de proposer à leur sujet d'autres orientations. Par exemple, celle de ne pas quitter leur pays, aussi misérable qu'il soit, pour de prétendus paradis, des régions de cocagne, dans des conditions épouvantables et trop souvent mortifères.

De la même manière, avocat général à la cour d'assises, je n'ai jamais oublié que le pire des criminels était un "frère humain". Cela ne suscitait chez moi aucune indulgence mais seulement l'honnêteté de ne pas faire sortir l'accusé de l'illimité territoire de l'humanité dans lequel il avait perpétré l'ignoble, quand d'autres l'avaient honoré.

C'est en ce sens qu'on peut soutenir que dans les positions des deux débatteurs, celle d'EZ, sans exclure le réalisme ultérieur, rappelait d'abord une règle de base de l'humanisme tandis que celle de BHL, semblant privilégier le coeur et la miséricorde, fragilisait son socle fondamental.

Parce que, amère ou non, cette vérité nous oblige : on n'a que des frères humains.


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