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Les pratiques commerciales déloyales

K.Pratique | Chroniques juridiques du cabinet KGA Avocats - Claire Bonfante, 31/01/2013

La transposition en droit français de la Directive 2005/29/CE du 11 mai 2005 relative aux pratiques commerciales déloyales a été initiée en 2008 et achevée par la loi n° 2011-525 du 17 mai 2011 de simplification et d’amélioration de la qualité du droit (« Warsmann 3 »). Il appartient désormais aux juges du fond de déterminer si une opération commerciale, telle que vente avec primes, vente liée ou loterie publicitaire, revêt ou non un caractère déloyal. La Cour de cassation s’est ainsi prononcée à plusieurs reprises sur la qualification de ventes d’ordinateurs pré-équipés de logiciels d’exploitation.
La directive 2005/29/CE du 11 mai 2005 relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs dans le marché intérieur (ci-après dénommée « la DIRECTIVE ») a posé comme principe, en son article 5, qu’une pratique commerciale est déloyale lorsqu’elle est :

 contraire aux exigences de la diligence professionnelle,

et lorsqu’elle altère ou est susceptible d’altérer de manière substantielle le comportement économique du consommateur moyen (article L. 120-1 du code de la consommation).

La DIRECTIVE a précisé que sont particulièrement déloyales :

les pratiques trompeuses : celles qui contiennent des informations fausses ou qui induisent, ou sont susceptibles d’induire en erreur le consommateur moyen et qui l’amènent ou sont susceptibles de l’amener à prendre une décision commerciale qu’il n’aurait pas prise autrement (article 6 de la DIRECTIVE et article L. 120-1L. 120-1 du code de la consommation) ;

les pratiques agressives : celles qui altèrent ou sont susceptibles d’altérer de manière significative, du fait du harcèlement, de la contrainte, y compris le recours à la force physique, ou d’une influence injustifiée, la liberté de choix ou de conduite du consommateur moyen à l’égard d’un produit, et, par conséquent, l’amènent, ou sont susceptibles de l’amener à prendre une décision commerciale qu’il n’aurait pas prise autrement (articles 8 de la DIRECTIVE et L. 122-11 du code de la consommation ).

L’annexe I de la DIRECTIVE a listé les pratiques commerciales réputées déloyales en toutes circonstances

En 2008, la France a transposé en partie la DIRECTIVE. Les pratiques commerciales jugées déloyales ont donc été incluses dans le code de la consommation français (article L.121-1-1 et L.122-11-1). Cependant, l’annexe I de la DIRECTIVE ne visant pas les ventes avec primes, les ventes subordonnées (ou liées, ou encore dites jumelées) et les loteries publicitaires, lesdites pratiques sont demeurées, en 2008, prohibées par principe en droit français.

Dans les arrêts du 23 avril 2009 (Arrêts C-261/07 et C-299/07 - « VTB-VAB NV c/ Total Belgium » et « Galatea c/ Sanoma Magazines Belgium » ), la Cour de justice des communautés européennes (ci-après désignée « CJCE ») a été saisie d’une question préjudicielle relative à la compatibilité de la législation belge au regard du droit communautaire laquelle, à l’instar du droit français, interdisait sauf exceptions, les ventes subordonnées et les ventes avec primes.

La CJCE a jugé que les dispositions de la DIRECTIVE s’opposaient « à une réglementation nationale qui, sauf certaines exceptions et sans tenir compte des circonstances spécifiques du cas d’espèce, interdit toute offre conjointe faite par un vendeur à un consommateur ». Selon la CJCE, l’annexe 1 de la DIRECTIVE, qui liste les pratiques commerciales réputées déloyales « en toutes circonstances » pouvant seules faire l’objet d’une interdiction par principe par les Etats membres, est exhaustive Par déduction, toutes les pratiques commerciales qui ne sont pas visées à l’annexe I ne peuvent pas être prohibées par la loi des Etats membres, et seuls les juges doivent apprécier le caractère loyal ou déloyal d’une opération commerciale.

En conséquence, selon l’analyse de la CJCE, les dispositions légales belges, en prohibant par principe ces deux pratiques commerciales, non visées à l’annexe I de la DIRECTIVE, étaient incompatibles avec la DIRECTIVE et donc avec le droit communautaire.

La CJCE a confirmé sa position dans deux décisions concernant respectivement la règlementation allemande afférente aux loteries commerciales avec obligation d’achat (Arrêt C-304-08 du 14 janvier 2010, « Zentrale zur Bekämpfung Unlauteren Wettbewerbs c/ Plus Warenhandelgesellschaft »), et la législation autrichienne en matière de ventes avec primes (Arrêt C-540-08 du 9 novembre 2010, « Mediaprint ».)

Ce raisonnement a été appliqué, en France, par :

la cour d’appel de Paris dans un arrêt du 14 mai 2009 en ce qui concerne la pratique des ventes subordonnées (offre couplée à propos de la Coupe du Monde de Football). En cassation, les juges ont rejeté le pourvoi et ont également validé la pratique commerciale litigieuse dans une décision du 13 juillet 2010

par la cour de cassation dans un arrêt "Lenovo" du 15 novembre 2010 concernant la vente d’ordinateurs incluant des logiciels préinstallés).

Le 2 mai 2009, la France a été mise en demeure par la Commission Européenne de se mettre en conformité totale avec la DIRECTIVE, et notamment de modifier les dispositions légales afférentes aux ventes avec primes, loteries publicitaires et ventes subordonnées. Le 7 août 2009, une proposition de loi a été communiquée en ce sens, mais ce n’est que le 18 mai 2011 que la loi n° 2011-525 du 17 mai 2011 de simplification et d’amélioration de la qualité du droit, dite loi « Warsmann 3 » a été promulguée (ci-après dénommée la « Loi »).

En conséquence, en vertu de la Loi, les dispositions du code de la consommation français relatives aux ventes avec primes, ventes subordonnées et loteries publicitaires, ont été modifiées.
Désormais, toutes pratiques commerciales pouvant être qualifiées de ventes avec prime ou de ventes liées sont licites, sauf à pouvoir démontrer (ce qui suppose d’initier une action judiciaire) qu’elles revêtent un caractère déloyal en fonction des critères établis par la DIRECTIVE.

En ce qui concerne les loteries publicitaires, la Loi a ajouté un alinéa à l’article L. 121-36 du code de la consommation relatif aux loteries publicitaires avec obligation d’achat. Les loteries publicitaires faisant intervenir la voie du sort sont donc (en principe) toujours licites sous réserve d’assurer une totale gratuité aux participants ; toutefois, les loteries nécessitant un achat préalable de la part des participants sont également jugées licites, dès lors qu’il n’est pas démontré qu’elles sont déloyales (on peut donc s’interroger sur l’utilité d’avoir préservé le premier alinéa de cet article).

En conséquence, le consommateur qui estimerait avoir été lésé par une opération qualifiée de vente subordonnée, vente avec prime ou loterie publicitaire avec obligation d’achat devrait engager une procédure judiciaire afin de pouvoir tenter de démontrer le caractère déloyal de ladite opération.

A la suite de la promulgation de la Loi, la Cour de cassation s’est prononcée à deux reprises sur la caractérisation d’une pratique commerciale déloyale :

 la Cour de cassation a jugé en 2011 (Cass. 1ère civ. 6 oct. 2011, n°10-10.800), que le fait de vendre un ordinateur contenant des logiciels préinstallés, notamment sans indiquer les conditions d’utilisation desdits logiciels, constituait une pratique commerciale trompeuse ;

 dans un arrêt du 12 juillet 2012 (Cass. 1ère civ., 12 juillet 2012, n°11-18.807), elle a opéré un revirement dans son analyse, dans le cadre d’une affaire pourtant similaire. La cour d’appel de Versailles avait jugé que la vente d’ordinateurs préinstallés constituait une pratique commerciale déloyale prohibée au sens de la DIRECTIVE, dès lors que les prix des logiciels préinstallés n’étaient pas mentionnés, et que le consommateur n’avait pas la possibilité de renoncer à l’achat desdits logiciels moyennant une réduction de prix.

Selon la Cour de cassation, la cour d’appel n’a pas déterminé si l’opération présentait un caractère déloyal, en se fondant sur les critères de la DIRECTIVE (l’opération était-elle contraire aux exigences de la diligence professionnelle ?/altérait-t-elle, ou était-elle susceptible d’altérer, de manière substantielle le comportement économique, par rapport au produit, du consommateur moyen ?).

La Cour de cassation a, par ailleurs, rappelé que, dans le cadre de leur analyse, les juges du fond devaient prendre en considération :

- le degré de diligence du professionnel, laquelle est définie par la DIRECTIVE comme « le niveau de compétence et de soin dont le professionnel est raisonnablement censé faire preuve vis-à-vis du consommateur, conformément aux pratiques de marché honnêtes et/ou au principe général de bonne foi dans son domaine d’activité ».

- et l’intérêt du consommateur.



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