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Réviser la révision !

Justice au singulier - philippe.bilger, 22/02/2014

La leçon est celle-ci : la magistrature, partout où elle est en situation de proposer, d'infléchir, de contredire, d'opposer à l'humanisme abstrait un humanisme sans frontières ni corporatisme, doit se battre, résister. L'état de droit lui appartient aussi.

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Les consensus sont dangereux et cachent toujours quelque chose.

Même pour une mission d'information parlementaire chargée de réfléchir sur la révision des condamnations pénales et de proposer des modifications ou des aménagements par rapport au dispositif prévu par les articles 622 et suivants du Code de procédure pénale (CPP).

Conduite par Alain Tourret, avocat, et Georges Fenech, magistrat. Derrière ce parallélisme équitable, le premier n'a fait qu'une bouchée du second et le barreau a imposé sa loi à la magistrature. Tous deux députés certes, mais le rapport de force a opposé deux conceptions de la justice, de la vérité et de la société et l'une l'a emporté sur l'autre avec ce qui est le pire : un unanimisme qualifié de progrès démocratique alors qu'il valide pour demain, si l'Assemblée nationale, le 27 février, n'y met pas bon ordre, un risque infini pour la stabilité et l'autorité des arrêts criminels. Et l'équilibre, la cohérence de notre état de droit.

Deux exemples fondamentaux.

Etait-il d'abord nécessaire de vouloir à tout prix réformer la procédure de révision alors que depuis 1989, l'actuelle commission de révision des condamnations pénales a examiné 3358 requêtes et que seules huit affaires criminelles et quarante-trois correctionnelles ont abouti ?

Une approche positive pourrait se féliciter de cette rareté en la prenant pour preuve du faible nombre d'erreurs judiciaires stricto sensu alors que la mission, avec un préjugé négatif, y a vu le signe de dysfonctionnements qu'il convenait de réparer. Je ne vois pas pourquoi cette seconde branche de l'alternative serait forcément plus fiable que la première.

Plutôt, je le perçois trop bien quand je prends connaissance de la position d'Alain Tourret, qui me rappelle d'ailleurs un raisonnement de même nature adopté par Georges Fenech à propos des ordonnances de non-lieu.

Le député du PRG soutient que "seules huit révisions de décisions criminelles ont abouti depuis la Seconde Guerre mondiale alors que, durant les trois premières années qui ont suivi l'introduction des appels en cour d'assises, cinquante-quatre condamnés en première instance ont été innocentés en appel. A coup sûr, il reste encore des innocents en prison" (Le Monde).

Dans ces allégations, il y d'abord la tonalité catastrophique qu'affectionne la gauche avec une méconnaissance lourde de sens de la conviction criminelle.

Il est paradoxal, de la part du groupe de pression constitué par les avocats, surtout parisiens, d'avoir réussi à faire admettre la nécessité de l'appel en 2000 mais, en l'occurrence, d'en tirer des leçons inexactes. Sauf à prétendre que cette voie de recours devrait systématiquement infirmer les condamnations en premier ressort, affirmer que les acquittements édictés en appel démontrent l'innocence des accusés revient à confondre la réalité indiscutable de celle-ci, quand elle est démontrée, avec le doute et la part plus ou moins large qui lui a été laissée au cours des deux procès, même quand la reconnaissance de la culpabilité l'a réduite à presque rien. Le premier ressort et l'appel ne sont pas, dans le quotidien criminel, opposés comme le jour avec la nuit mais glissent dans une zone étroite et grise, imperceptiblement, de l'acquittement à la condamnation ou l'inverse.

Se fonder sur la contrariété entre des arrêts criminels pour soutenir la thèse de l'innocence sacrifiée - alors qu'au contraire, c'est le signe d'une bonne administration de la justice, sauf à exiger à nouveau l'aveu comme reine des preuves, ce qui serait inadmissible - et justifier le laxisme dans le processus de révision est loin d'être décisif.

De la même manière qu'hier, Georges Fenech, en abordant le problème des détentions provisoires suivies de non-lieux, opérait la même confusion en décrétant innocents tous les mis en examen en ayant bénéficié. On imputait donc à charge à la justice un authentique usage de la contradiction et sa capacité de ne pas être assujettie au préjugement que l'incarcération risquait parfois de constituer.

La loi de 1989 a établi que la révision d'une condamnation pouvait notamment être demandée quand "vient à se produire ou à se révéler un fait nouveau ou un élément inconnu de la juridiction au jour du procès, de nature à faire naître un doute sur la culpabilité du condamné", alors que dans sa rédaction antérieure l'article 622 du CPP exigeait qu'il soit "de nature à établir l'innocence du condamné".

La mission va plus loin. Elle va soumettre à l'Assemblée nationale le droit à la révision quand "un fait nouveau ou un élément inconnu sera de nature à établir l'innocence d'un condamné ou à faire naître le moindre doute sur sa culpabilité".

Ce dernier point est très préoccupant parce que pris à la lettre il va évidemment, absurdement, servir de fondement à une multitude d'actions et néglige un élément important que n'importe quel procès même le plus réussi suscite : le sentiment qu'il y a toujours de l'ombre au sein de la lumière judiciaire mais que celle-là est périphérique, pas fondamentale par rapport au coeur indiscuté de la vérité. Je pressens à quel point "le moindre doute" va être exploité comme exutoire par beaucoup de faux innocents qui trouveront là un moyen de redorer leur blason humain et d'attirer l'attention médiatique.

Cette facilité procédurale est clairement un cadeau fait à la cause de la défense, malheureusement validée par un député UMP ayant, pour sa part, un temps, oublié la contradiction, qui aurait été utile, du magistrat qu'il a été.

Il a dû boire le calice jusqu'à la lie puisque l'affaire Maire étant venue fort opportunément rappeler qu'il y a des acquittés coupables quand plus tard, trop tard des preuves de cette culpabilité surviennent, il s'est trouvé en minorité quand il s'est agi de discuter de l'ouverture des révisions en cas d'acquittement. Il est vrai que, contrairement au procureur général près la Cour de cassation qui y avait été favorable d'emblée, Georges Fenech ne l'avait approuvée qu'à cause précisément de cette erreur gravissime ayant déchiré le mythe d'une justice dont seuls seraient victimes les innocents ou prétendus tels. Il y a des coupables, aussi, qui passent au travers du filet et dont l'acquittement prouvé injuste endeuille encore davantage les parties civiles, les véritables traumatisés du crime.

Alain Tourret qui a réponse à tout déclare qu'il n'y a pas "d'équilibre entre un innocent en prison et un coupable en liberté". Pourquoi ? Qu'on s'attache comme il convient au premier, si la certitude de son innocence est acquise, évidemment. Mais le second libéré créera peut-être d'infinis désastres à l'encontre d'une société et on aura beau plaider les grandeurs étrangement unilatérales de l'état de droit, les citoyens n'en seront pas protégés pour autant.

Aucune raison donc de ne pas placer au même niveau et de ne pas considérer avec la même gravité l'accusé qui s'affirme innocent et le faux innocent révélé coupable. On en a assez du deux poids, deux mesures.

La leçon est celle-ci : la magistrature, partout où elle est en situation de proposer, d'infléchir, de contredire, d'opposer à l'humanisme abstrait un humanisme sans frontières ni corporatisme, doit se battre, résister. L'état de droit lui appartient aussi.


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