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Les filiations diaboliques (514)

Droits des enfants - jprosen, 1/02/2013

Le dossier "Mariage homosexuel et adoption par des couples homosexuels" - et non "Mariage pour tous et adoption" comme il est officiellement présenté - débouche inéluctablement sur une remise en cause de la filiation. C'est son intérêt en regrettant que le sujet n'ait pas … Continuer la lecture

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Le dossier "Mariage homosexuel et adoption par des couples homosexuels" - et non "Mariage pour tous et adoption" comme il est officiellement présenté - débouche inéluctablement sur une remise en cause de la filiation. C'est son intérêt en regrettant que le sujet n'ait pas été de longue date abordé de front. On y verra qu'en vérité il faudrait parler des filiations et non de la filiation (voir mes blogs précédents). Ces débats peuvent et vont heurter nos représentations et nos certitudes. Pour trouver des réponses il conviendra plus que jamais d'avoir des points de repère. Le statut fait à l'enfant me paraît constituer un point de repère majeur. On  verra rapidement si son intérêt est effectivement supérieur aux autres ( art. 3 de la CIDE). Reste que certaines réflexions peuvent décoiffer. Celle que propose Jean-Luc Rongé rédacteur en chef du Journal du droit des Jeunes y contribue. Je vous invite à le lire ...

L’actualité se focalise sur l’établissement de la filiation d’enfants par un couple de même sexe. Il en est d’autres qui sont également proscrites et les réflexions du Défenseur des droits relatives à la reconnaissance des droits des enfants de l’inceste[1] nous invite à élargir la discussion, d’autant qu’elle s’inspire d’une décision de la Cour constitutionnelle belge accordant des droits à des enfants dont la filiation est empêchée par une règle d’ordre public[2].

Pour sortir du débat sclérosant sur l’homoparentalité et l’adoption d’enfants par le couple «homo», le compagnon ou la compagne (éventuel futur conjoint si le projet de loi «mariage pour tous» est adopté), il convient de revenir sur les fondamentaux édictés par la Convention des droits de l’enfant (CIDE).

Ces principes enseignent qu’il n’y pas de «droit à l’enfant», mais bien le «droit de l’enfant»… dont l’intérêt supérieur «doit être une considération primordiale» dans toute décision qui le concerne (art. 3-1).

Qu’il s’agisse de «l’homoparentalité» dont la légitimité pourrait être bientôt inscrite dans les textes ou des autres filiations demeurant prohibées (inceste, recours à la PMA par des couples «homo» ou des femmes seules, mère porteuse…), l’intérêt de l’enfant doit-il céder devant l’interdiction des turpitudes du/des parent(s) qui ont pu mener à une conception dans des conditions que la société réprouve ?

Sachant que le simple schéma familial «un papa, une maman… on ne ment pas aux enfants» est en voie d’être dépassé dans nombre de situations – 56,6 % des enfants sont nés hors mariage, 1,76 million dans des familles monoparentales, 24 000 à 40 000 vivant avec un couple de même sexe -, la CIDE nous engage quand même à respecter «le droit [de l’enfant] de connaître ses parents et être élevé par eux» (art. 7-1), qu’il n’en soit pas séparés contre leur gré (art. 9-1) et «d'entretenir régulièrement des relations personnelles et des contacts directs avec ses deux parents».

Elle engage également les États parties «à assurer à l'enfant la protection et les soins nécessaires à son bien-être, compte tenu des droits et des devoirs de ses parents, de ses tuteurs ou des autres personnes légalement responsables de lui, et ils prennent à cette fin toutes les mesures législatives et administratives appropriées» (art. 3-2) et à respecter «la responsabilité, le droit et le devoir qu'ont les parents ou, le cas échéant, les membres de la famille élargie ou de la communauté, comme prévu par la coutume locale, les tuteurs ou autres personnes légalement responsables de l'enfant, de donner à celui-ci, d'une manière qui corresponde au développement de ses capacités, l'orientation et les conseils appropriés à l'exercice des droits que lui reconnaît la présente Convention» (art. 5).

Les relations sociales et mais aussi affectives et parentales ayant évolué depuis le Code Napoléon, le droit de la famille a chaque fois été adapté - avec retard - à ces évolutions. On reconnaîtra que le poids de l’Église (et des religions en général) n’a pas aidé à l’adoption des réformes nécessaires dans cette République «laïque».

Il fallut notamment vaincre les réticences des défenseurs d’un certain «ordre familial» puis que nos engagements internationaux nous rappellent d’assurer l’égalité des enfants pour que disparaissent petit à petit les discriminations entre enfants légitimes et naturels[3], entre légitimes et adultérins[4].

Concernant l’établissement des filiations, il y a lieu de s’inspirer de la réflexions de Jean Carbonnier : «Il est possible d'étudier le droit de la filiation sans participer aux émotions collectives qu'il suscite(…) la filiation est avant tout, à nos yeux, le moyen technique de désigner des titulaires pour le contrôle de la progéniture, de nommer ceux qui sont les plus aptes à assurer la socialisation de l'enfant, de le pousser en avant par l'autorité parentale et l'héritage»[5].

La question d’accorder des droits à l’enfant né de l’inceste (entre frère et sœur) a été posée en 2004 à la Cour de cassation. La Cour d’appel de Rennes avait autorisé le demi-frère de la mère à procéder à l’adoption simple l’enfant qu’ils avaient conçu[6]. La juridiction avait conclu qu'il était «de son intérêt actuel et à long terme, de voir son adoption prononcée, d'autant qu'il connaît son histoire et l'a bien intégrée», après avoir constaté «que l'expertise psychiatrique et psychologique de l'enfant établit, notamment, qu'il présente une intelligence supérieure à la moyenne et un développement normal pour son âge et qu'il ne présente aucun trouble psychoaffectif avéré» et que «[les] attestations familiales versées aux débats confirment cet intérêt et démontrent, notamment celle du fils de l'adoptant, que l'adoption n'est pas de nature à compromettre la vie familiale».

La loi n’interdisant pas l’adoption de son propre enfant, la Cour d’appel rappelait que l’adoption simple ne manifeste aucune filiation biologique et ne pouvait être assimilée à une reconnaissance par les père et mère connaissant un empêchement absolu à mariage.

La Cour de cassation ne l’entendit pas de cette oreille. L’avocat général gronda «L'interdiction de l'inceste est la base absolue et fondamentale du droit de la famille et l'un des piliers de notre société» et la Haute juridiction le suivit en affirmant que la Cour d’appel avait contrevenu «aux dispositions d'ordre public édictées par l'article 334-10 du Code civil interdisant l'établissement du double lien de filiation en cas d'inceste absolu»[7].

En 2003 déjà, la Cour de cassation avait refusé que soit donné quelque effet à la filiation maternelle d’un enfant né par mère porteuse (à partir de l’ovule de l’épouse et le sperme du mari). Si l’on conçoit bien cette prohibition – le corps humain n’est pas une «machine à louer» - la situation de cet enfant dans la famille comportant des frères et sœurs était tout à fait paradoxale, ne disposant de droits qu’à l’égard de son père. La Cour de cassation a également considéré que le recours par la «mère» à l’adoption «réalise un détournement de l'institution de l'adoption que les juges du fond ont donc, à bon droit, refusé de prononcer sans violer aucun des textes invoqués»[8].

Dans un rapport au Garde des sceaux, la commission présidée par Françoise Dekeuwer-Défossez[9] abordait la question des effets de l'inceste sur l'enfant de façon extrêmement prudente : «La prohibition de l'inceste reste une donnée essentielle permettant de structurer les liens familiaux et la psychologie de l'individu et la disposition légale relative à la filiation à une forte connotation symbolique qui relaie les interdictions à mariage (V. art. 161 et 162 C. civ.).(…)

De plus, il n'est pas certain que l'intérêt de l'enfant trouverait toujours son compte dans l'abandon de la disposition. La commission pense qu'il est préférable de conserver une solution plus feutrée pour l'enfant et de ne pas sacrifier son intérêt à l'énoncé de grands principes. Il n'est donc pas envisagé de supprimer l'interdiction d'établir la filiation dans les deux lignées parentales».

Elle préconisait toutefois le maintien de l'action en subsides comme institution «réparatrice»[10] en n'excluant pas d'écarter les «grands principes» lorsque l'intérêt de l'enfant est en jeu. C'est la solution «au cas par cas», comme la cour d'appel de Rennes l'envisageait par le recours à l'adoption, qui a été écartée par la Cour de cassation.

En 2006, le rapport Bloche-Pécresse[11] étalait les divergences entre le président de la Commission, Patrick Bloche et la majorité, et demeurait dans les certitudes que la meilleure défense des droits de l’enfant est de maintenir l’inégalité entre les couples en ne reconnaissant les liens que dans la famille «hétéro» et en ne proposant aucune avancée en termes d’adoption ou du moindre effet aux filiations prohibées.

La démarche de la Cour constitutionnelle belge, comme celle du Défenseur des droits se veut pragmatique. Certes, dit la première, il ne convient pas de déclarer que la prohibition civile de l’inceste est contraire à la Constitution; elle peut l’être lorsqu’elle s’oppose à l’intérêt de l’enfant dans les cas particuliers, notamment s’agissant des droits que les enfants pouvaient faire valoir l’égard de la personne de leur père décédé.

En suggérant d’accorder une délégation de l’autorité parentale, le Défenseur des droits ne s’écarte pas de la prohibition de l’établissement de la filiation. Son constat part de la réalité de deux enfants vivant avec un couple composé de frère et sœur (adoptive en ce qui la concerne) dont le «père biologique» est très investi dans leur éducation et dans les décisions qui relèveraient d’un exercice «normal» de l’autorité parentale.

N’est-ce donc la même logique qui devrait présider aux discussions sur les effets du mariage «homo» et l’adoption par ces couples. L’intérêt de l’enfant, selon sa situation concrète dans la famille, doit être envisagé avec soin, sans que le respect de la loi et des prohibitions ne lui causent un dommage plus grand que l’intérêt de la société à protéger.

Et s’il faut légiférer pour lever les prohibitions, même par le recours au mariage des personnes de même sexe, qu’on le fasse, pour autant que l’on songe «au droit de» et non «au droit à» l’enfant et que sa double filiation «biologique» ne soit occultée, niée ou absente pour quelque raison que ce soit.

On aura à en reparler lors de la discussion annoncée au printemps de réforme du droit de la famille.

Jean-Luc Rongé – Journal du droit des jeunes, n° 321, janvier 2013, p. 43-44. Pour en savoir plus : www.droitdesjeunes.com

[1] Voy. Défenseur des droits, Décision n°MDE-2012-90, 24 août 2012, http://www.defenseurdesdroits.fr/sites/default/files/upload/mde-2012-90.pdf.

[2] Voy. Cour constitutionnelle de Belgique, 9 août 2012, arrêt n°103/2012, www.const-court.be/public/f/2012/2012-103f.pdf

[3] Loi du 3 janvier 1972 sur la filiation.

[4] Suite à la condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l'homme dans l'affaire Mazurek, la loi du 3 décembre 2001 a abrogé les dispositions discriminatoires à l'égard des enfants adultérins en droit des successions.

[5] CARBONNIER, Droit civil, T. 2, La famille, le couple, l'enfant, Thémis, Paris, 2002, p. 198.

[6] C.A. Rennes, 22 janvier 2001, n° JurisData : 2001-142407.

[7] Cass. civ. 1, 6 janvier 2004, n° 01-01600, Bull. 2004, I, n° 2 p. 2.

[8] Cass. 9 décembre 2003, n° 01-03927.

[9] Rénover le droit de la famille. Propositions pour un droit adapté aux réalités et aux aspirations de notre temps, La documentation française, septembre 1999, p. 32.

[10] L’action à fin de subsides prévue à l’article 342 du Code civil permet de réclamer une pension pour le besoins de l’enfant à celui qui a eu des relations avec sa mère pendant la période légale de la conception. Selon la Cour de cassation, cette action «à la différence de l'action en recherche de paternité, n'implique pas la preuve de la paternité du défendeur, mais seulement celle de l'existence pendant la période de conception de relations intimes rendant possible cette paternité» (cass. civ. 21 octobre 1980, n° 79-14618).

[11] Rapport fait au nom de la mission d’information (1) sur la famille et les droits des enfants, Assemblée nationale, XIIe législature, N° 2832

 



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