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Justice ubuesque à Bordeaux

Justice au Singulier - philippe.bilger, 3/05/2015

La confusion induite par cette distinction procédurale sur laquelle cette justice ubuesque de Bordeaux s’est fondée et qu'elle a exploitée avec probablement une sorte de double volupté est très préjudiciable. Le plaisir du désaveu anti-policier et le contentement de l'argutie juridique, assuré de faire sensation. Quel citoyen, aussi épris de justice qu’il soit, peut comprendre et accepter cette incohérence qui n'est pas que bordelaise ?

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Je n’ai rien contre la Justice, contre Bordeaux, une ville magnifique administrée par un grand maire ni contre Ubu, le personnage d'une pièce de théâtre sarcastique qui a compté. Même si l’actualité judiciaire me fait réunir les trois de manière déplaisante (Infos Bordeaux, Sud Ouest).

Ahmed A., un individu d’une trentaine d’années se disant Egyptien, a été contrôlé près de la gare de Bordeaux le 28 avril par des fonctionnaires de police agissant sur réquisitions du Parquet conformément à l’article 78-2 du Code de procédure pénale, "aux fins de recherche et de poursuite dans les lieux et pour une période de temps déterminés par un magistrat".

Ces policiers étaient spécialement mobilisés en l’occurrence contre le trafic de stupéfiants et la préparation d’actes terroristes.

L'homme contrôlé, n’étant pas reconnu par l’Egypte comme l’un de ses ressortissants, avait déjà fait l’objet d’une procédure administrative puis d’un jugement pour séjour irrégulier en France. Il était sous le coup d’une ordonnance de quitter le territoire depuis 2009.

Forts de ces éléments, les policiers, se fondant non plus sur le Code de procédure pénale mais sur la législation relative à l’entrée et au séjour des étrangers, ont établi un procès-verbal visant le délit de maintien irrégulier en France.

L’avocate d'Ahmed A. a contesté la validité de la démarche policière, arguant d’un contrôle au faciès – "contrôlons un individu de type NA..."- et concluant à l’annulation de la procédure.

Le tribunal correctionnel, présidé par Alain Reynal, vice-président au tribunal de grande instance de Bordeaux, a fait droit à cette requête, au motif que les fonctionnaires, lors de leur contrôle, ignoraient tout ce qui allait le justifier. Il a permis, par conséquent, la remise en liberté de cet homme, dans une situation toujours aussi illégitime mais confirmée.

Cette juridiction a pris cette décision en pleine conscience de son absurdité sociale et de son risque personnel – car le danger est grand, dans le dénuement et la solitude, que cette personne commette des transgressions légères ou graves – malgré des réquisitions lui ayant rappelé le fait qu'"un contrôle d’identité révélant des infractions autres que celles visées dans les réquisitions du procureur ne constitue pas une cause de nullité des procédures incidentes".

Le parquet a évidemment interjeté appel.

Sur un plan judiciaire, on ne peut manquer de s’interroger sur la personnalité de ce président naturellement influent par son statut et dont la collégialité sans doute n'altère pas les orientations qu'il a conçues.

Il n’est même pas nécessaire de présumer chez lui une inspiration syndicale – les tristes sires du Mur des cons et donc le Syndicat de la magistrature – puisque lui-même nous avait déjà donné les clefs de sa pratique.

Il s’était déjà fait remarquer au mois d’avril 2008 en ayant refusé d’expulser un Kurde sans papiers vers la Turquie où il aurait été mis en danger. Une « première », paraît-il.

Alain Reynal s’est qualifié lui-même « d’audacieux », ce qui laisse tout entendre, et a expliqué, il y a quelques années, qu’il avait été « sensibilisé très tôt au service des étrangers, son grand-père ayant recueilli en 1936 des Espagnols hostiles à Franco et en 1938 des Allemands adversaires d’Hitler ».

Rien que de très honorable dans ces préoccupations mais aussi la crainte que, pour ce magistrat, l’audace, la provocation (une première !) et son histoire familiale aient tissé un univers intime d’où l’objectivité et l’utilité sociale étaient exclues. Prisonnier de lui-même plus que libre. Ses convictions plus que le pragmatisme dont le droit pénal n'est pas l'ennemi, bien au contraire.

Cet "Egyptien" aujourd’hui fondu dans la multitude bordelaise, introuvable jusqu’au prochain contrôle, nous confronte, par cette mansuétude erratique, à l’absurdité bureaucratique et pointilliste d’un état de droit qui, si elle ne décourage pas la police, rend souvent vaine son action.

En effet, quand un état de droit se retrouve si profondément contraire au bon sens et qu’il semble autoriser de la part de magistrats, pour certains politisés ou émus, de telles aberrations confortant les délits au lieu de les empêcher, force est de considérer qu’il est infiniment critiquable. En l’occurrence, au sujet de cette distinction tellement sophistiquée et, pour tout dire, inutile à une police républicaine entre contrôles d'identité et motifs d'interpellation.

Un jour, parviendra-t-on à valider cette règle toute simple que dans une démocratie, comme la loi sur le Renseignement l'a enfin compris, tout ce qui est nécessaire à une lutte efficace contre l'insécurité mériterait d'être légalisé ?

La confusion induite par cette distinction procédurale sur laquelle cette justice ubuesque de Bordeaux s’est fondée et qu'elle a exploitée avec probablement une sorte de double volupté est très préjudiciable.

Le plaisir du désaveu anti-policier et le contentement de l'argutie juridique, assuré de faire sensation.

Quel citoyen, aussi épris de justice soit-il, peut comprendre et accepter cette incohérence qui n'est pas que bordelaise ?


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