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Des crimes de paix ?

Justice au Singulier - philippe.bilger, 30/04/2015

J'entends encore les avocats. Mais, s'il y avait un miracle pour la vérité et la justice, je jetterais la pierre à ces soldats criminels et dévoyés. Sans excuse.

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Je délire, je cauchemarde.

J'entends déjà les avocats plaider le doute ou tenter de justifier l'indéfendable.

Pour défendre les 14 ou 16 soldats français accusés de viols sur des enfants à Bangui en Centrafrique, au mois de décembre 2013 et au mois de juin 2014 (Le Monde, Le Point.fr).

"Les dates des faits, à les supposer établis, demeurent incertaines.

Les reconnaissances par les si jeunes victimes sont tellement floues et imprécises qu'on ne peut rien fonder sur elles.

Et, de toutes façons, il faut comprendre.

Même s'il s'agit de forces pour le maintien de la paix, il y a, pour elles, au quotidien, du stress, de la tension, les fatales conséquences d'une mission douloureuse, sans cesse éprouvante, délicate, entre abstentions et actions, entre ce qu'on a le devoir d'accomplir et ce dont il faut se garder.

S'ils sont coupables, ils méritent des circonstances atténuantes. Il ne faut pas leur jeter la pierre. Dans un tel climat qui les constitue à la fois comme pacificateurs et cibles, qui peut dire qu'il aurait su résister à tout ?"

Cette plaidoirie résumée et caricaturale restera virtuelle.

Car, à mon avis, on n'entendra jamais ces avocats parce qu'on ne parviendra jamais à identifier les violeurs qui auraient abusé des enfants, plusieurs âgés de 9 ans, "en échange d'argent ou de nourriture".

Non pas qu'il y ait eu une volonté perverse d'étouffement ou alors tellement banale, classique que la révélation et la transparence immédiates seraient apparues, elles, comme une incongruité presque choquante, irresponsable.

Certes un rapport rédigé au cours de l'été 2014 par une équipe des Nations unies est demeuré longtemps sous le boisseau.

Mais le ministère de la Défense a reçu le 29 juillet le dossier transmis par l'ONU et le parquet de Paris, immédiatement saisi, a ordonné une enquête sur le fondement de l'article 40 du Code de procédure pénale.

Sur le plan interne, "une enquête de commandement" a abouti, comme on pouvait le présumer, à un résultat négatif, car "il ne s'agit pas de quelque chose de systémique mais de cas isolés".

Cela aurait été si simple si ces crimes fortuits avaient été commis sous l'égide indifférente d'une hiérarchie laissant scandaleusement commettre ce dont elle n'ignorait pas la gravité !

Il est évident que les investigations judiciaires, à cause du contexte, de la fragilité des témoignages et de la recherche plus que malaisée des enfants ayant pu être victimes, dureront mais probablement ne seront pas couronnées de succès.

Sans qu'il y ait forcément de la mauvaise volonté, une lenteur fabriquée, un découragement construit. Un enlisement programmé.

Je crains qu'on ne sache pas. J'ai peur que ces crimes odieux ne soient jamais reprochés à des soldats précis. Je suis sûr qu'aucun procès n'aura lieu.

Dans tous les cas, pour n'importe quelle institution, la militaire comme la judiciaire ou la médiatique, il est tellement plus confortable de se réfugier derrière les difficultés de la preuve que d'accepter un déshonneur publiquement affiché faisant retomber, à cause de l'indignité de quelques-uns, l'opprobre sur une digne multitude.

Entre "tout gober" - j'admets le risque évoqué par Michel Sapin - et fermer les yeux par négligence ou à cause d'un cynique sens de l'Etat - une menace dont le passé a démontré qu'elle était plausible -, il y a beaucoup de place et de marge.

J'entends encore les avocats. Une hallucination!

Mais, s'il y avait un miracle pour la vérité et la justice, je jetterais la pierre à ces soldats criminels et dévoyés. Sans excuse.


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