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Des enjeux des aires de services sur autoroutes

K.Pratique | Chroniques juridiques du cabinet KGA Avocats - Laurent-Xavier Simonel et Benjamin Touzanne, 4/06/2012

Les aires de services sur autoroutes sont au confluent d’intérêts différents mais non antagonistes : celui de l’Etat, d’abord, qui, sans cesse, lutte pour la diminution du nombre de morts sur les routes ; la société gestionnaire du réseau autoroutier, ensuite, susceptible de se voir engager sa responsabilité en cas de manquement à son obligation contractuelle d’exploitation de son réseau ; les opérateurs gestionnaires d’aires de services, enfin, qui se livrent à une concurrence acharnée pour obtenir la gestion de ces aires lucratives. Le jugement du tribunal administratif de Dijon du 15 mars 2012, Société des pétroles Shell (req. n° 1100402), présente une bonne illustration des enjeux de la lutte commerciale entre les opérateurs de distribution de carburants. A la suite de nombreuses offensives déjà menées par la même requérante, le juge avait à apprécier la régularité de la passation de 42 contrats de gestion d’aires de services, nouvellement conclus par la société Autoroutes Paris-Rhin-Rhône (APRR) avec plusieurs opérateurs sélectionnés à l’issue d’une consultation, longue de deux années.
Une procédure contentieuse longue et rythmée
Mécontente de n’avoir été retenue que pour un petit nombre d’aires et s’estimant lésée, la requérante avait déjà introduit quatre vagues de recours contre la procédure de passation et contre les contrats.

Une première fois par le biais du référé précontractuel, dans sa version antérieure à celle actuellement en vigueur issue de l’ordonnance n° 2009-515 du 7 mai 2009 relative aux procédures de recours applicables aux contrats de la commande publique (requête jugée irrecevable par l’ordonnance n° 1000641 rendu le 2 avril 2010, les contrats à conclure par APRR n’étant pas « au nombre des marchés qu’il appartient au juge du référé précontractuel de contrôler en application de l’article L. 551-1 (…) du code de justice administrative »).

Une deuxième fois par le biais du recours en contestation de validité des contrats et du référé suspension (désistement du référé suspension : TA Dijon, ord., 19 mai 2010, req. n° 1000983 ; irrecevabilité de la requête au fond au motif « qu’à la date d’enregistrement de la requête aucun contrat n’a été conclu sur le fondement de la procédure litigieuse » : TA Dijon, ord., 19 mai 2010, req. n° 1000915).

Une troisième fois par le biais du recours contre les actes détachables et du référé suspension, introduits contre les décisions implicites de rejet des offres de la requérante révélées par les observations en défense produites par APRR dans le cadre des précédentes affaires (requêtes jugées irrecevables au motif que « les observations en défense contenues dans un mémoire signé par un avocat et non par la personne responsable du marché ne sont pas de nature à faire naître quelque décision que ce soit » : TA Dijon, ord., 4 juin 2010, req. n° 1001303 ; TA Dijon, ord., 4 juin 2010, req. n° 1001304).

L’affaire jugée le 15 mars 2012 constituait la quatrième tentative de recours contre les procédures de passation, à travers, cette fois-ci, les contrats. Pour la première fois, le juge a accepté de juger, au fond, chacun des moyens invoqués.

Confirmation des obligations pesant sur les gestionnaires d’autoroutes lors de la conclusion de leurs contrats d’aires de services
La quasi-totalité des moyens invoqués par la requérante avaient un fondement commun : l’étendue des obligations pesant sur APRR lors de la passation des contrats relatifs à l’exploitation des aires de services.

Dans son jugement, le tribunal administratif de Dijon écarte explicitement l’application, aux contrats litigieux, du droit communautaire et des règles régissant les marchés publics et les concessions d’aménagement.

Il confirme, ainsi, implicitement, la teneur des obligations qui s’imposent aux sociétés gestionnaires d’autoroutes lors de la conclusion des contrats portant sur la gestion des aires de services.

Les sociétés d’autoroutes gèrent le domaine public de l’Etat dans le cadre de contrats de concession par lesquels l’exécution d’une mission de service public leur est déléguée. Partant, les contrats confiant la gestion des aires de services à des opérateurs privés, sont des sous-concessions de service public qui échappent aux règles de passation des délégations de service public prévues par la loi n° 93-122 du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques, dès lors que le critère organique de la définition de ces conventions n’est pas rempli pour les sociétés d’autoroutes, qui sont des entreprises privées. Ces sous-concessions échappent aussi aux règles et principes de droit communautaire, dès lors, également, que ces sociétés ne sont pas des pouvoirs adjudicateurs (CE, assemblée générale, avis, 16 mai 2002, avis n° 366.305).

La seule obligation particulière qui pèse sur APRR est contractuelle. Elle résulte de l’article 30 du cahier des charges, annexé à son contrat de concession du 4 juin 1986 (approuvé par le décret du 19 août 1986, publié au JORF du 3 septembre 1986), relatif aux « installations annexes », selon lequel APRR passe « librement » ces contrats, par « voie d’appel à la concurrence ».

En pratique, les sociétés d’autoroutes ont comme unique contrainte, de faire connaître leur intention de conclure un contrat ayant pour objet la gestion d’une ou de plusieurs aires de services. Il reste, évidemment, qu’une publicité qui conduit à la présentation d’offres concurrentes a pour conséquence l’organisation d’une mise en concurrence qui doit respecter les principes cardinaux de l’exercice, sans être encadrée pour autant par les règles d’une procédure formalisée.

Une position inverse du tribunal administratif aurait surpris. Par son arrêt de Section du 3 décembre 2010, le Conseil d’Etat a refusé d’étendre à des contrats qui y échappaient – les conventions d’occupation du domaine public -, l’application d’une quelconque procédure préalable à leur conclusion (CE, Sect., 3 décembre 2010, Ville de Paris, req. n° 338272).

L’intérêt porté aux aires de services ne saurait être contesté mais s’il faut encore s’en convaincre… En juin 2010, un automobiliste, cobaye d’une expérience, conjointement menée par le journal L’Argus et la clinique du sommeil, a pris la route pour rejoindre Nice équipé d’électrodes permettant d’enregistrer, en temps réel, son état d’éveil, de somnolence ou d’endormissement. Le résultat de l’expérience est édifiant. Lancé à 130 km/h sur l’autoroute, l’automobiliste a dormi, en tout, 11 minutes, durant 8 phases allant de 30 secondes à 2 minutes 30, correspondant à une distance de 24 km.

En France, l’association Prévention Routière révèle que le manque de sommeil est responsable d’un accident sur trois sur autoroute et encourage les automobilistes à effectuer des arrêts répétés durant leurs trajets.



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