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L’accès au juge du référé précontractuel est restreint pour le requérant dont l’offre est non conforme ou dont la candidature est irrecevable

K.Pratique | Chroniques juridiques du cabinet KGA Avocats - Laurent-Xavier Simonel, Benjamin Touzanne, 31/10/2013

Deux affaires récentes, l’une jugée par le tribunal administratif de Versailles (TA Versailles, ord., 11 septembre 2013, Société Saint-Frère Confection, req. n° 1304923), l’autre par le Conseil d’Etat (CE, 2 octobre 2013, Département de Lot-et-Garonne, req. n° 368900), assoient davantage une jurisprudence sévère pour certains requérants en référé précontractuel.
C’est l’une des conséquences de la décision de Section du Conseil d’Etat du 3 octobre 2008, SMIRGEOMES (CE Sect., 3 octobre 2008, SMIRGEOMES, req. n° 305420), dont la solution a été codifiée à l’article L. 551-10 du code de justice administrative selon lequel seuls sont habilitées à engager un référé précontractuel les personnes qui « sont susceptibles d'être lésées par le manquement invoqué ».

Désormais, le juge administratif refuse d’examiner les moyens présentés par un requérant dont l’offre ou la candidature se révèle, en cours d’instruction, irrégulière, inacceptable ou inappropriée, alors même que le pouvoir adjudicateur n’avait pas décelé cette faille lors de la procédure de passation ou, en tout état de cause, n’en avait pas tiré les conséquences qui s’imposaient alors en éliminant cette offre ou en écartant cette candidature.

Par une ordonnance du 11 septembre 2013, le juge des référés du tribunal administratif de Versailles à rejeté la requête introduite par un candidat évincé en fin de procédure de passation d’un marché public de défense dont l’offre était arrivée au bout de la consultation puisqu’elle avait été jugée et classée (TA Versailles, ord., 11 septembre 2013, Société Saint-Frère Confection, req. n° 1304923).

Au cours de la procédure négociée, les candidats avaient dû présenter plusieurs offres successives. Toutefois, à la remise de la deuxième offre, la requérante n’avait pas présenté d’acte d’engagement signé, en dépit de l’article 226 du code des marchés publics selon lequel « Les offres sont présentées sous la forme de l’acte d’engagement défini à l’article 11 » (équivalent de l’article 48 du même code pour les marchés publics généraux). Le juge en a conclu que l’offre de la requérante aurait dû être éliminée et en tire comme conséquence, du point de vue de la procédure contentieuse, que les manquements invoqués par elles sont insusceptibles de l’avoir lésés.

Plusieurs observations peuvent être formulées sur cette solution contentieuse.

En premier lieu, la solution s’applique quand bien même l’offre du requérant a été jugée et classée, c'est-à-dire que sa candidature a également été acceptée par le pouvoir adjudicateur. Cet élément a récemment été rappelé très explicitement par le Conseil d’Etat dans un arrêt du 2 octobre 2013 (CE, Département de Lot-et-Garonne, req. n° 368900 « qu’en écartant ce moyen au motif que l’offre de la société Camineo avait été examinée et classée, alors qu’une telle circonstance ne peut faire obstacle à ce que le pouvoir adjudicateur se prévale de l’irrégularité de cette offre devant le juge du référé précontractuel, le juge des référés a commis une erreur de droit ; »)

En deuxième lieu, il faut relever que toutes les parties à l’instance peuvent démontrer la non-conformité de l’offre du requérant ou de sa candidature. Il n’est donc pas interdit à la personne publique elle-même de se prévaloir, devant le juge, de ses propres manquements pour pouvoir sauver la procédure de passation (CE, 2 octobre 2013, arrêt précité). Le requérant ne saurait donc invoquer un quelconque principe de loyauté, qui semble ne devoir se révéler qu’une fois le contrat conclu.

En troisième lieu, l’on observera que désormais le juge opère, au titre l’intérêt lésé, un contrôle de la régularité de la candidature et/ou de l’offre présentée par le requérant.

En quatrième et dernier lieu, l’on relèvera que la solution jurisprudentielle n’est pas nouvelle puisqu’elle est appliquée, au moins, depuis un arrêt du Conseil d’Etat, 27 octobre 2011, Département des Bouches-du-Rhône (req. n° 350935 , voir, pour d’autres exemples appliquant le nouvel article L. 551-10 du code de justice administrative, CE, 11 avril 2012, Syndicat ODY 1218 Newline du Lloyd’s de Londres, n°354652 « que le choix de l'offre d'un candidat irrégulièrement retenu est susceptible d'avoir lésé le candidat qui invoque ce manquement, à moins qu'il ne résulte de l'instruction que sa candidature devait elle-même être écartée, ou que l'offre qu'il présentait ne pouvait qu'être éliminée comme inappropriée, irrégulière ou inacceptable »).

Une situation devrait, selon nous, faire exception. Celle où le requérant invoquerait un manquement fondé sur la non-conformité de l’offre ou de la candidature retenue alors que seuls deux candidats (requérant et intervenant) restaient en lice à la fin de la procédure (le cas n’est pas d’école). En effet, quand bien même l’offre du requérant (ou sa candidature) serait elle-même irrégulière, l’on ne saurait couvrir l’attributaire dès lors que faute d’offre ou de candidature conforme, la procédure de passation aurait dû être classée sans suite et être relancée : preuve que le candidat est lésé par le manquement.

Cette déclinaison de la jurisprudence SMIRGEOMES, clé de la subjectivisation du référé précontractuel, ajoute, encore, à la difficile qualité de requérant. Depuis la création du référé précontractuel, celui-ci a d’abord pu se contenter de démontrer que le pouvoir adjudicateur avait commis un manquement – qui ne pouvait être qu’objectif -, pour faire annuler une procédure. Puis, il a dû démontrer que les manquements qu’il invoquait étaient « susceptibles de le léser ». Enfin, désormais, il doit s’attacher à faire face aux éventuelles charges menées par le pouvoir adjudicateur ou par l’intervenant contre la régularité de son offre ou de sa candidature.



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