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Frédéric Beigbeder: provocateur mondain ou repenti sincère ?

Justice au Singulier - philippe.bilger, 6/01/2020

Beigbeder repenti sincère ? Jusqu'à la prochaine fois sans doute. Il ne reviendra pas dans cette radio publique mais, où qu'il aille, quoi qu'il écrive, il ne sera jamais dépaysé dans un monde qui lui ressemble tellement que s'en moquer représente encore le comble du plaisir.

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On ne peut pas dire que Frédéric Beigbeder (FB) soit abandonné par les médias, ses obligés et ses amis. Son dernier livre avec une émoticône pour titre - précisé par la suite "L'homme qui pleure de rire" - a déjà fait l'objet de critiques élogieuses et il a eu droit à des entretiens qui ne l'ont pas bousculé.

Je ne sais pourquoi mais je l'aurais parié. Il y a une connivence, une collusion, une complicité d'un certain milieu artistico-médiatico-littéraire qui, dans tous les cas, ne font jamais défaut à l'un de ses membres.

Le Figaro Magazine a été le premier, puis Paris Match. Et je ne doute pas d'une suite peut-être moins hyperbolique mais évidemment laudatrice.

La comparaison peut apparaître choquante mais cet encens systématique a été déversé pour le pire et avec une absolue complaisance, durant tant d'années, au bénéfice de Gabriel Matzneff et des horreurs criminelles dont il se vantait (petits garçons de 8 ans !!). Et il est délicieusement répandu, par une solidarité qui ne s'embarrasse pas de la qualité des oeuvres, mais d'une fraternité automatique parce qu'il est exclu de laisser tomber l'un des siens.

Mais l'un des siens, cela signifie quoi exactement ?

N'étant plus à une polémique près, quand j'avais appris que FB avait craché sur France Inter, le 27 décembre j'avais tweeté sur lui en le qualifiant de "faux provocateur, d'iconoclaste mondain et médiatique, d'audacieux de pacotille", lui reprochant "de vitupérer une radio qui l'avait adoubé hier, de moquer la dérision qu'il a cultivée et de recevoir ravi les hyperboles de connivence dont il a abusé".

Ce n'était pas faux, me semble-t-il, mais c'était traiter trop légèrement quelqu'un qui a tout de même permis un débat sur le culte hypertrophié du rire, l'usage d'une dérision inadaptée, France Inter et sa matinale toujours en tête et plus généralement une société qui fête les histrions, démolit les lucides et va vers son désastre qu'elle baptise progrès.

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Il y a quelque chose chez FB qui laisse apparaître une colonne vertébrale fluctuante, de sorte qu'il a été et demeure naturellement un chouchou des médias: ils sont assurés de n'avoir que la réplique qu'ils désirent avoir. Il se sent toujours "morveux" trop tard (Le Parisien). Avec d'autres il commet une mauvaise action en octroyant le prix Renaudot à son ami Gabriel Matzneff et il n'est pas fier d'avoir été engagé par France Inter pour une chronique hebdomadaire.

Dont il est légitimement privé. Parce qu'un matin, il n'a strictement rien préparé et qu'il est à peine sorti de l'ivresse.

Même si j'avoue avoir éprouvé un plaisir malin à voir dénigrer une radio qui n'est pas vraiment mon genre, pour être franc l'attitude de FB a manqué d'allure. France Inter ne l'avait pas sollicité par hasard, elle avait senti chez lui un compagnonnage et de fait ses chroniques bénéficiaient de cette même gaîté collective forcée qui règne là où il est obligatoire de donner l'illusion d'une bonne entente. Je ne crois pas qu'il était applaudi parce qu'il aurait jeté "une pincée de poivre de droite dans l'avoine bobo de la chaîne d'Etat" (Gilles Martin-Chauffier-GMC- dans Paris Match) mais tout simplement parce qu'il n'était pas désaccordé avec un climat général qui mêlait à une bienséance sûre de son fait, jamais questionnée, une dérision sur tout. Des journalistes prêcheurs et des amuseurs donneurs de leçons. Un salmigondis apparemment efficace.

Que FB ait découvert au bout de quelque temps, parce qu'il avait été renvoyé, que cette radio avait des ricaneurs, que ces ricaneurs étaient tout sauf drôles et que le ricanement constant n'était que le paravent d'une inaptitude à la profondeur, à la gravité et à l'équité ne pouvait que réjouir ceux qui le savaient depuis des lustres.

Il était tout de même absurde de fondre, dans un même opprobre, Nicolas Demorand et Charline Vanhoenacker, la seconde pitoyable à force de recherche désespérée d'un véritable esprit et le premier dilapidant sa belle intelligence dans des interrogations trop univoques pour elle.

Surtout FB n'aurait pas dû oublier qu'il avait été adoubé par ce qu'aujourd'hui il dénigrait et que la moindre des choses aurait dû le conduire à ne pas enfoncer des portes ouvertes en ciblant des conformismes et des arrogances de mauvais aloi... "porte-drapeaux bien sages de leur bonne conscience...le journal du matin apothéose du lieu commun bien-pensant..." (selon GMC), oui mais FB pouvait-il l'ignorer ? N'a-t-il pas plutôt eu envie de goûter à cette respectabilité convenue, à cette aura confortable d'être choisi, écouté, vanté par une cour qui le faisait se rengorger ?

Avec son livre, qui raconte la nuit terminée par sa chronique avortée, FB ne me semble pas sortir de la dérision. Son ricanement a sans doute une autre portée mais je ne peux m'empêcher de penser à une sorte de dérision supérieure, sophistiquée, vaguement éthique qui viendrait, au nom d'une prise de conscience toute fraîche, se poser en juge d'une médiocre et basique dérision médiatique qui gangrène - il faut l'admettre - bien au-delà de France Inter.

Père de famille, ne vivant plus à Paris, se campant en sage revenu de tout, adoptant une posture qui est l'une de ses métamorphoses avant la suivante, j'ai scrupule à profiter - je m'y résous: elles sont trop belles - des fulgurances dénonciatrices, du réveil percutant d'un personnage qui crache superficiellement dans une soupe qu'on continue, par ailleurs, à lui servir royalement. Il y a des personnalités qui profitent autant de leur contrition affichée que de la revendication de leur légèreté.

FB provocateur mondain certes puisque la gravité, pour lui, serait une faute de goût et qu'il vaut mieux s'attirer les suffrages de ceux qui comptent et se comptent. Les Gilets jaunes l'ont apitoyé le temps d'une nuit d'errance. Et, le matin, il a eu son chemin de France Inter !

Repenti sincère ? Jusqu'à la prochaine fois sans doute. Il ne reviendra pas dans cette radio publique mais, où qu'il aille, quoi qu'il écrive, il ne sera jamais dépaysé dans un monde qui lui ressemble tellement que s'en moquer représente encore le comble du plaisir.

Et si FB était celui que j'ai décrit dans mon tweet mais en ne cessant pas de mal le vivre, de vouloir être un autre ?


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