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Cour d'appel de Douai - 30 juin 2005 - Assonance

- wikisource:fr, 19/08/2007


Cour d’appel de Douai
30 juin 2005


Société Assonance — Chambre sociale


Dossiers n° 2216/05 RG 04/01309 HL/MB


Sommaire

Visas

  • Jugement du Conseil de Prud’hommes de Roubaix en date du 11 Mars 2004
  • Notification à parties le 30/06/05 ; Copies avocats le 30/06/05
  • Prud’Hommes - Appelante : SARL Assonance 92-94 avenue J-B Lebas BP 627 59061 ROUBAIX CEDEX 1 Représentant : Me Bernard Meurice (avocat au barreau de Lille)
  • Intimée : Mme Elizabeth X… épouse Y… (…) Représentant : Me Bernard Verdet (avocat au barreau de Lille) (bénéficie d’une aide juridictionnelle Totale numéro 5917800204008126 du 14/12/2004 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de Douai)
  • Débats : à l’audience publique du 19 Mai 2005, tenue par H. Liance, magistrat chargé d’instruire l’affaire qui a entendu les plaidoiries, les parties ou leurs représentants ne s’y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré, les parties ayant été avisées à l’issue des débats que l’arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe.
  • Greffier : N. Berly
  • Composition de la cour lors du délibéré
    • B. Mericq : Président de chambre
    • C. Mamelin : Conseiller
    • H. Liance : Conseiller
  • Arrêt : Contradictoire prononcé par sa mise à disposition au greffe le 30/06/05

Exposé du litige

Elizabeth Y… a été engagée comme télévendeuse avec le statut de travailleur à domicile par la société Assonance suivant contrat du 20 juin 2002.

Contestant les modalités de sa rémunération, Elizabeth Y… a d’abord saisi le Conseil de Prud’hommes de Roubaix puis a décidé de cesser tout travail à compter du 15 avril 2003.

Par jugement du 11 mars 2004 auquel il est entièrement fait référence pour l’exposé des données de base du procès et des prétentions et moyens respectifs des parties, le Conseil de Prud’hommes de Roubaix a, pour l’essentiel:

  • dit que le licenciement d’Elizabeth Y… était non fondé,
  • condamné la SARL Assonance à verser à Elizabeth Y… les sommes suivantes:
    • 3 050,46 euros à titre de rappels de salaires de juin 2002 à avril 2003,
    • 929,71 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis,
    • 92,97 euros à titre de congés payés sur préavis,
    • 3 718,84 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif
  • ordonné à la SARL Assonance de remettre à Elizabeth Y… l’attestation des heures travaillées du 20 juin 2002 au 31 octobre 2002 dans les huit jours de la notification de la présente décision sous astreinte de 100 euros par jour de retard.

La SARL Assonance a relevé appel de ce jugement.

Par ses conclusions et ses observations orales développées à l’audience devant la Cour, de laquelle elle attend la réformation du jugement déféré (sauf en ce qu’il a débouté la salariée de sa demande en dommages et intérêts pour non remise de l’attestation du nombre d’heures travaillées), la SARL Assonance reprend et complète l’argumentation présentée en première instance.

Elle rappelle les caractéristiques du contrat de travail à domicile des télévendeurs et précise que, malgré une mise en demeure de reprendre l’exécution de ses fonctions, Elizabeth Y… a cessé tout travail depuis le 15 avril, l’amenant à prononcer son licenciement pour faute grave par lettre du 30 juin 2003.

L’employeur critique la décision des premiers juges qui ont fait droit à la demande de rappel de salaires, considérant que le temps de connexion de la salariée correspondait à son temps de travail effectif.

Il expose que le contrat prévoyait à son annexe 1 une rémunération forfaitaire calculée en fonction des commandes enregistrées et payées et non en fonction du temps de connexion.

Il indique que la télévendeuse décide de se connecter librement, pour le temps qu’elle souhaite et que, même connectée, elle a la possibilité de ne pas prendre d’appel. Il en déduit, que, rémunérée à la tâche, Elizabeth Y… est mal fondée à solliciter un rappel de salaires en fonction de son temps de connexion.

Il considère qu’elle n’est pas non plus fondée à invoquer une inégalité de traitement avec les salariés travaillant au siège de l’entreprise, ces derniers n’étant pas dans une situation identique à la sienne.

Concernant la rupture du contrat de travail, l’employeur rappelle un arrêt de la Cour de Cassation selon lequel un salarié qui a engagé une action contre son employeur tendant à l’exécution du contrat de travail n’est pas en droit, pendant le cours de l’instance, de prendre acte de la rupture du contrat à raison des faits dont il a saisi la juridiction prud’homale, sauf à modifier ses prétentions antérieures en formant une demande additionnelle en résiliation du contrat, ce qu’Elizabeth Y… n’a pas fait.

L’employeur affirme qu’aucune faute ne peut lui être reprochée alors que la télévendeuse a cessé l’exécution de ses obligations contractuelles à compter du 15 avril 2003, ce qui constitue une faute grave.

Subsidiairement, il conclut au débouté des demandes d’indemnité au motif qu’Elizabeth Y… ne justifie pas de son préjudice et précise que l’indemnité de préavis calculée par rapport aux salaires moyens des 6 derniers mois s’élève à 9,44 euros.


Elizabeth Y… conclut par demande additionnelle à la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l’employeur et à la confirmation du jugement du 11 mars 2004, appel incident étant relevé pour une meilleure indemnisation de son préjudice.

Elizabeth Y… affirme qu’elle n’était pas seule à maîtriser son temps de connexion et que l’article L 721-9 du code du travail exclut le principe d’une rémunération soumise à l’aléa de circonstances extérieures, notamment l’enregistrement et le paiement de commandes par le client.

Elle relève qu’en l’absence de fixation par accord collectif ou arrêté préfectoral ou ministériel du temps relatif à chaque tâche, elle doit être rémunérée au SMIC horaire suivant son temps de connexion que l’employeur connaissait. Elle conteste ne pas avoir répondu à des appels reçus lorsqu’elle était connectée.

Elle demande la confirmation du jugement qui a déclaré la rupture imputable à l’employeur et précise que l’arrêt auquel il se réfère ne lui est pas applicable car elle n’a pas demandé l’exécution du contrat mais, au contraire, en a contesté certaines stipulations.

Elle considère cependant que les premiers juges ont sous-estimé son préjudice et réclame 5 578,26 euros de dommages et intérêts.

De plus, elle demande 700 euros représentant les indemnités journalières qu’elle n’a pu recevoir faute de remise par l’employeur d’une attestation des heures travaillées.

Exposé des motifs

Le rappel de salaires

Les parties conviennent de ce que le contrat de travail conclu entre la société Assonance et Elisabeth Y… est régi par la réglementation des travailleurs à domicile.

L’article L.721-1 du Code du travail précise qu’une rémunération forfaitaire constitue la contrepartie de l’exécution du travail à domicile. Les articles L.721-9 et suivants du Code du travail renvoient aux conventions et accords collectifs de travail, à défaut aux arrêtés du préfet ou du ministre, le soin de dresser le tableau des temps d’exécution, notamment par référence « au salaire des ouvriers d’habileté moyenne exécutant en atelier des travaux analogues ».

Il se déduit de cette référence que la rémunération d’une employée normalement consciencieuse doit être voisine du SMIC.

Or la société Assonance ne justifie pas de son affirmation selon laquelle de nombreux travailleurs à domicile en situation de télétravail - telle Elisabeth Y… - perçoivent des salaires mensuels supérieurs au SMIC.

D’autre part, le contrat du 20 juin 2002 fait référence au temps partiel : or il résulte de l’article L. 212-4-3 du Code du travail qu’un tel contrat doit mentionner sa durée hebdomadaire ou mensuelle. En faisant référence dans le contrat de travail à la fois au critère du temps passé et également aux commandes enregistrées, la société Assonance met en échec les règles protectrices du droit du travail puisque la réglementation du travail à domicile exclut toute recherche sur le nombre d’heures effectuées (article L.721-1 du Code du travail) et que la réglementation des contrats à temps partiel exige une référence à la durée.

Enfin, le mode de rémunération imposé par la société Assonance, qui fait dépendre le salaire de circonstances postérieures au travail de la salariée (la réception d’appels et la prise de commandes, prise sur laquelle la salariée avait peu d’influence), ne caractérise pas une rémunération forfaitaire et méconnaît en conséquence les prescriptions de l’article L.721-1.

La sanction de telles irrégularités doit être soit la prise en compte d’un autre critère de calcul de la rémunération (par exemple au temps de connexion ainsi que le sollicite Elisabeth Y… et que l’ont décidé les premiers juges) soit la requalification du contrat en contrat de droit commun à temps plein.

Dans les deux cas, la somme réclamée par Elisabeth Y… est justifiée (en cas de requalification à temps complet, les droits de l’intéressée seraient même supérieurs).

La rupture du contrat

Elisabeth Y… a saisi le conseil de prud’hommes d’un action en rappel de salaires - c’est à dire en exécution du contrat - le 29 janvier 2003.

Elle a ultérieurement, par lettre du 11 avril 2003, pris acte de la rupture du contrat aux torts de l’employeur - essentiellement pour les mêmes motifs (refus par l’employeur d’assurer une rémunération au moins égale au SMIC).

Mais, dès lors qu’un salarié a engagé une action contre son employeur tendant à une application correcte du contrat de travail, il n’est plus en droit de prendre acte de la rupture de la relation de travail à raison des faits dont il a saisi à l’origine la juridiction prud’homale.

Il lui appartient éventuellement de modifier ses prétentions initiales et de solliciter la résiliation judiciaire du contrat … ce qu’Elisabeth Y… a fait (demande additionnelle formée par conclusions déposées le 13 novembre 2003) mais alors qu’entre-temps l’employeur avait lui-même procédé au licenciement, selon lettre du 30 juin 2003.

Dans cette situation, c’est la mesure de licenciement prise par l’employeur qui doit être examinée.

La lettre de licenciement est rédigée comme suit :

« Nous avons eu à déplorer de votre part un agissement constitutif d’une faute grave.

« Par courrier daté du 11 avril 2003, réceptionné le 16 avril 2003, vous nous avez informés que vous cesserez toute prestation à compter du Mardi 15 avril 2003.

« Vous précisez que vous demanderiez au Conseil de Prud’hommes de dire et juger que nous serions l’auteur de la rupture de votre contrat de travail, lequel équivaudrait selon vous à un licenciement sans cause réelle ni sérieuse.

« Par courrier recommandé en date du 26 mai 2003, nous vous avons répondu que nous contestions la réalité de la rupture.

« Nous vous précisions que la durée effective de votre travail était liée au volume des travaux qui vous sont confiés par Assonance et que dans le respect des dispositions légales et contractuelles, votre rémunération est calculée en fonction du nombre de travaux réalisés. Nous vous avons mis en demeure de reprendre vos fonctions à réception de ce courrier, ce que vous n’avez pas cru devoir faire.

« En effet, il apparaît que vous n’avez effectué aucun travail depuis le mardi 15 avril 2003.

« Cette absence d’activité doit s’analyser comme un refus délibéré d’exécuter vos obligations contractuelles, ainsi que nos directives, que vous avez d’ailleurs très explicitement annoncé dans votre courrier daté du 11 avril 2003.

« Ces agissements ne sont pas admissibles et mettent directement en cause la bonne marche de l’entreprise. « Les explications recueillies auprès de vous au cours de notre entretien du 18 juin 2003 ne nous ont pas permis de modifier notre appréciation à ce sujet.

« Nous vous informons que nous avons en conséquence, décidé de vous licencier pour faute grave. (…) »

Ainsi Elisabeth Y… a-t-elle été licenciée pour avoir cessé toute activité et refusé d’exécuter ses obligations contractuelles, malgré mise en demeure.

Cela étant, son absence au travail, dans le contexte sus-décrit d’une rémunération totalement insuffisante que l’employeur, pourtant mis en garde par sa salariée, refusait de réviser, ne peut être considérée comme relevant d’une faute (pour être plus précis, Elisabeth Y… produit des fiches de paie qui révèlent qu’elle obtenait en moyenne une rémunération de l’ordre de 200 à 350 € par mois pour environ 100 heures de connexion c’est à dire pour environ 100 heures de travail… ce qui correspondait à une rémunération presque ridicule).

Il sera ainsi décidé, à l’instar des premiers juges, que le licenciement d’Elisabeth Y… n’a reposé sur aucun motif réel ou sérieux.

Les conséquences pécuniaires qu’ont tirées les premiers juges de leur décision, fondées sur des bases précises non utilement critiquées, doivent être approuvées.

Compte tenu des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération qui aurait dû être versée à la salariée, de son âge, de sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle, de son ancienneté dans l’entreprise et de l’effectif de celle-ci, la cour estime que le préjudice subi a été équitablement fixé par les premiers juges.

La remise de l’attestation du nombre d’heures travaillées

Comme devant les premiers juges, Elisabeth Y… n’apporte pas la preuve qu’elle a demandé cette attestation dont l’absence serait à l’origine d’une perte d’indemnités journalières de la sécurité sociale.

PAR CES MOTIFS

Confirme en toutes ses dispositions le jugement déféré ;

Précise que les intérêts au taux légal courent sur les créances de nature salariale à compter du 4 février 2003 (date de la réception par l’employeur de la convocation en conciliation) et sur les créances de nature indemnitaire à compter du 11 mars 2004 (date du jugement déféré) ;

Rejette toutes autres prétentions plus amples ou contraires ;

Condamne la Société Assonance aux dépens de l’instance d’appel.


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