Actions sur le document

Conseil d’État, 345052

- wikisource:fr, 25/01/2011


Conseil d’État
20 janvier 2011


10ème sous-section – Hubert A. – 345052


M. Julien Bouche, rapporteur public



Sommaire

Visas

Vu le pourvoi et le mémoire complémentaire, enregistrés le 16 décembre 2010 et le 12 janvier 2011, au secrétariat du contentieux du Conseil d’État, présentés pour M. Hubert A, … ; M. A demande au Conseil d’État :

1) d’annuler l’ordonnance n° 1003454 du 10 décembre 2010 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Rouen, statuant sur le fondement de l’article L. 522-3 du code de justice administrative, a rejeté sa requête tendant, en premier lieu, à mettre un terme à l’opposition du service pénitentiaire d’insertion et de probation consistant à le priver d’exercer un droit d’accès sur le volet SPIP de son dossier individuel pénitentiaire, en second lieu, à prendre toute mesure de contrôle utile à s’assurer que l’intégralité de la communication du volet SPIP de son dossier individuel pénitentiaire lui soit présentée notamment à l’aide d’une cotation successive et d’une datation ininterrompue des feuillets composant le volet SPIP, en troisième lieu, à suspendre, à titre subsidiaire, les effets de la lettre du 21 juillet 2010 par Mme B, conseiller d’insertion et de probation, et repris par le silence de son autorité hiérarchique, en dernier lieu, à enjoindre à l’administration pénitentiaire de lui communiquer l’intégralité du volet SPIP de son dossier individuel pénitentiaire ;

2) réglant l’affaire au fond, de faire droit à ses conclusions devant le juge des référés ;

3) de mettre à la charge de l’État le paiement de la somme de 2 750 euros au profit de son avocat, Maître Bouzidi, sous réserve que celui-ci renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l’État au titre de l’aide juridictionnelle, en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de procédure pénale ;

Vu la loi n° 78-753 du 17 juillet 1978 ;

Vu le code de justice administrative ;


Motifs

Considérant qu’il ressort des pièces soumises au juge des référés que M. A, incarcéré depuis le 24 juin 2004, a obtenu le 25 mai 2010 la communication de son dossier individuel pénitentiaire, qu’il avait sollicitée fin 2009 ; qu’il a de nouveau demandé le 31 octobre 2010 communication de ce dossier et plus particulièrement de sa troisième partie destinée aux membres du service pénitentiaire d’insertion et de probation, en vue de préparer l’audience initialement fixée au 13 décembre 2010 et reportée au 24 janvier 2011, au terme de laquelle la Chambre de l’application des peines de la Cour d’appel de Rouen doit statuer sur sa demande de remise de peine ; que, saisi sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, le juge des référés du tribunal administratif de Rouen, par ordonnance en date du 10 décembre 2010 prise en application de l’article L. 522-3 du même code, a rejeté la demande de M. A tendant à obtenir la communication intégrale de son dossier ;

Sur les conclusions à fin de non-lieu présentées par le ministre de la justice :

Considérant que le ministre soutient sans être contesté que M. A a eu le 11 janvier 2011 accès à son dossier individuel pénitentiaire et plus particulièrement aux cotes correspondance et suivi-entretiens du volet destiné aux membres du service pénitentiaire d’insertion et de probation ; qu’en revanche, il ne résulte pas de l’instruction que M. A ait pu avoir accès aux autres cotes de ce volet, exécution et aménagements de peines, justificatifs et parties civiles, pièces administratives et judiciaires et rapports-enquêtes, dont ressortent notamment les synthèses socio-éducatives que le ministre affirme n’avoir pas communiquées ; que, par suite, les conclusions de M. A tendant à ce qu’il soit mis à même de consulter son dossier individuel ont perdu leur objet en tant qu’elles concernent les autres éléments de son dossier, à l’exception des quatre cotes précitées du volet destiné aux membres du service pénitentiaire d’insertion et de probation ; qu’il n’y a, dès lors, plus lieu de statuer, dans cette mesure, sur les conclusions susvisées de M. A ;

Sur les conclusions tendant à l’annulation de l’ordonnance attaquée :

Considérant en premier lieu qu’aux termes de l’article 724-1 du code de procédure pénale : « Les services pénitentiaires constituent et tiennent à jour pour chaque personne incarcérée un dossier individuel comprenant des informations de nature pénale et pénitentiaire. » ; qu’aux termes de l’article D. 155 du même code : « Pour tout détenu, il est constitué au greffe de l’établissement pénitentiaire un dossier individuel qui suit l’intéressé dans les différents établissements où il serait éventuellement transféré. Ce dossier contient, dans une cote spéciale, tous les renseignements tenus à jour, utiles à déterminer l’existence d’un éventuel risque suicidaire. Indépendamment de ce dossier, des dossiers particuliers doivent être établis en outre à l’égard de certains détenus, notamment pour les condamnés proposables à la libération conditionnelle, pour les interdits de séjour, pour les étrangers passibles d’une mesure d’éloignement du territoire français et pour les libérables qui ont à satisfaire à des obligations militaires. » ; que l’article D. 156 du même code dispose : « Un dossier spécial est ouvert pour tout condamné ayant fait l’objet d’une procédure d’orientation suivant les prescriptions des articles D. 75 et suivants. / Ce dossier comprend les quatre parties visées aux articles D. 157, D. 159, D. 162 et D. 163. ; qu’aux termes de l’article D. 162 du même code : La troisième partie du dossier visé à l’article D. 156 correspond au dossier destiné aux membres du service pénitentiaire d’insertion et de probation compétent auprès de l’établissement. / Contenant des éléments ou documents recueillis par les personnels d’insertion et de probation ou qui leur ont été fournis, ce dossier leur permet de suivre l’évolution de la personne détenue et, ainsi, de mieux individualiser sa situation pénale et la préparation de sa libération. Il a aussi pour objet de leur permettre de renseigner l’autorité judiciaire qui en fait la demande, en application de l’article D. 461. / Les documents couverts par le secret professionnel ne peuvent être consultés que par un membre d’un service pénitentiaire d’insertion et de probation. En cas de transfèrement, le service pénitentiaire d’insertion et de probation transmet ces documents sous pli fermé au service compétent auprès de l’établissement de destination ou, en cas de libération et s’il y a lieu, au service pénitentiaire d’insertion et de probation du lieu de résidence de l’intéressé. » ; qu’il résulte de ces dispositions que l’accès des détenus à leur dossier individuel établi auprès du greffe de l’établissement pénitentiaire où ils sont incarcérés relève de la compétence de l’administration pénitentiaire ; que par suite, contrairement à ce que soutient le ministre, la juridiction administrative est bien compétente pour connaître des litiges relatifs aux décisions par lesquelles l’administration pénitentiaire refuse à un détenu l’accès à son dossier ;

Considérant toutefois que les documents, quelle que soit leur nature, qui sont établis sur demande d’une juridiction et qui se rattachent à la fonction de juger dont elle est investie, n’ont pas le caractère de document administratif pour l’application de la loi du 17 juillet 1978 ; que, par suite, le ministre est fondé à soutenir que les synthèses socio-éducatives élaborées, en application des dispositions précitées de l’article D. 162 du code de procédure pénale, pour permettre de renseigner l’autorité judiciaire qui en a fait la demande en application de l’article D. 461 du même code, n’étaient pas communicables à M. A ; que ce motif, dont l’examen n’implique l’appréciation d’aucune circonstance de fait, doit être substitué au motif retenu par l’ordonnance attaquée, dont elle justifie en partie le dispositif ;

Considérant en second lieu qu’aux termes de l’article L. 521-2 du code de justice administrative : « Saisi d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures » ; que la possibilité d’assurer de manière effective sa défense devant le juge a le caractère d’une liberté fondamentale au sens des dispositions précitées de l’article L. 521-2 du code de justice administrative ; que cette possibilité implique que l’intéressé puisse obtenir la communication de l’intégralité des pièces figurant dans son dossier individuel et au vu desquelles le juge va statuer, dans les limites prévues par la loi, et ce dans un délai lui permettant de préparer utilement sa défense ; qu’il résulte de ce qui précède qu’en jugeant, par l’ordonnance attaquée, que le refus de communiquer à M. A la réactualisation de son dossier individuel pénitentiaire depuis sa dernière communication plus de six mois auparavant ne constituait pas une atteinte grave et manifestement illégale au respect des droits de la défense, le juge des référés a commis une erreur de droit ; que M. A est, par suite et sans qu’il soit besoin d’examiner l’autre moyen du pourvoi, fondé à demander l’annulation de cette ordonnance en tant qu’elle a rejeté ses conclusions tendant à la communication des cotes exécution et aménagements de peines, justificatifs et parties civiles, pièces administratives et judiciaires et rapports-enquêtes, à l’exclusion des synthèses socio-éducatives ;

Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de statuer, dans la mesure de la cassation prononcée, sur la demande en référé en application des dispositions de l’article L. 821-2 du code de justice administrative ;

Considérant qu’aux termes de l’article D. 49-29 du code de procédure pénale : « Il est tenu au greffe du juge de l’application des peines un dossier individuel concernant chaque condamné suivi par ce magistrat. / Ce dossier comprend des copies des documents issus de la procédure ayant abouti à sa condamnation et qui sont nécessaires à l’exécution de celle-ci. / Il comprend également les rapports établis et les décisions prises au cours de l’exécution de la condamnation. / L’avis du représentant de l’administration pénitentiaire prévu aux articles 712-66 et 712-7 est versé au dossier sous forme d’un rapport de synthèse des avis des différents services pénitentiaires compétents. / Ce dossier peut être consulté par l’avocat du condamné, sous réserve des exigences du bon fonctionnement du cabinet du juge de l’application des peines. L’avocat du condamné peut se faire délivrer copie de tout ou partie des pièces du dossier conformément aux dispositions de l’article R. 165 prévoyant la gratuité de la première copie délivrée. Les copies ultérieures lui sont délivrées à ses frais, sauf si le condamné a obtenu le bénéfice de l’aide juridictionnelle. (…) ; qu’aux termes de l’article D. 49-41 du même code : En cas d’appel, une copie du dossier individuel du condamné et de la décision du juge ou du tribunal de l’application des peines est transmise à la chambre de l’application des peines de la cour d’appel ou à son président. / (…) Pendant l’instance d’appel, les dispositions de l’article D. 49-29 relatives à la communication du dossier individuel du condamné sont applicables. » ; qu’il ne résulte pas de l’instruction que les pièces du dossier individuel pénitentiaire qui n’ont pas été communiquées à M. A lui seraient nécessaires pour assurer sa défense devant le juge d’application des peines, dès lors qu’en application du principe du caractère contradictoire de la procédure devant cette juridiction, M. A aura nécessairement accès à l’ensemble des pièces sur le fondement desquelles statuera la chambre de l’application des peines ; que, par suite, il n’est pas fondé à soutenir qu’en refusant de lui communiquer le contenu des cotes exécution et aménagements de peines, justificatifs et parties civiles, pièces administratives et judiciaires et rapports-enquêtes du volet destiné au service pénitentiaire d’insertion et de probation, l’administration pénitentiaire aurait porté une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté fondamentale que constitue le respect des droits de la défense ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède que les demandes de M. A tendant à ce qu’il soit enjoint à l’administration pénitentiaire de le mettre à même d’avoir communication de ces éléments de son dossier ne peuvent qu’être rejetées ainsi, par voie de conséquence, que ses conclusions tendant à l’application des dispositions des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative ;

DÉCIDE

Article 1er : Il n’y a pas lieu de statuer sur les conclusions de M. A tendant à ce qu’il soit mis à même de prendre connaissance des éléments de son dossier individuel pénitentiaire auxquels il a eu accès le 11 janvier 2011.

Article 2 : L’ordonnance du 10 décembre 2010 du juge des référés du tribunal administratif de Rouen est annulée en tant qu’elle rejette la demande de M. A tendant à avoir communication des cotes exécution et aménagements de peines, justificatifs et parties civiles, pièces administratives et judiciaires et rapports-enquêtes, à l’exclusion des synthèses socio-éducatives demandées par le juge judiciaire, du volet destiné au service pénitentiaire d’insertion et de probation.

Article 3 : La demande de M. A présentée au juge des référés est rejetée en tant qu’elle concerne les documents visés à l’article 2 ainsi que le surplus des conclusions de son pourvoi.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à Monsieur Hubert A et au garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés.


Retrouvez l'article original ici...

Vous pouvez aussi voir...