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Conseil d'État - 300467

- wikisource:fr, 19/08/2007


Conseil d’État
19 mars 2007


Section — 300467, 300500, 300680, 300681 ,300682, 300683, 300898 — Mme X et autres


Conclusions M. Luc Derepas, commissaire du gouvernement



Sommaire

Visas

  • Vu 1°), sous le n° 300467, la requête, enregistrée le 10 janvier 2007 au secrétariat du contentieux du Conseil d’État, présentée par Mme A X  ; Mme X demande au Conseil d’État :
    1. d’annuler pour excès de pouvoir l’article 1er du décret n° 2006‑1386 du 15 novembre 2006 fixant les conditions d’application de l’interdiction de fumer dans les lieux affectés à un usage collectif en tant qu’il modifie l’article R. 3511‑2 du code de la santé publique pour interdire l’aménagement d’emplacements réservés aux fumeurs dans les établissements d’enseignement ;
    2. de mettre à la charge de l’État le versement d’une somme de 1 500 euros en application des dispositions de l’article L. 761‑1 du code de justice administrative ;
    elle soutient qu’il n’est pas démontré que le décret publié serait conforme au texte soumis au Conseil d’État ou à celui retenu par ce dernier ; que la consultation du Conseil supérieur de l’éducation a été irrégulière, la consultation de la section permanente de cet organisme ne pouvant se substituer à celle de sa formation plénière ; qu’en prévoyant une interdiction générale et absolue d’aménager des emplacements expressément réservés aux fumeurs dans les établissements scolaires, le décret attaqué méconnaît les dispositions de l’article L. 3511‑7 du code de la santé publique ; qu’il crée une discrimination illégale entre les travailleurs selon qu’ils ont ou non la possibilité de fumer sur leur lieu de travail et méconnaît les stipulations de l’article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, combinées avec celles de l’article 1er du premier protocole annexé à cette convention ; qu’il viole les règles statutaires qui lui sont applicables ;
    • Vu le décret attaqué ;
    • Vu le mémoire en défense, enregistré le 6 février 2007, présenté par le ministre de la santé et des solidarités, qui conclut au rejet de la requête ; il soutient que Mme X n’est, en sa qualité de professeur certifié, recevable à contester le décret attaqué qu’en tant qu’il ne permet pas d’aménager, au bénéfice des personnels fumeurs, des emplacements réservés dans les établissements scolaires ; que le décret publié reprend par ensemble de dispositions cohérentes ayant un rapport entre elles, par article ou par subdivision d’article, soit le projet du Gouvernement, soit l’avis du Conseil d’État ; que seul l’article d’exécution diffère de celui de ces deux textes par adjonction de ministres chargés de l’exécution du décret, une telle adjonction étant sans incidence sur la légalité du décret ; que la consultation du Conseil supérieur de l’éducation, réuni en section permanente, ne répondait à aucune nécessité juridique ; qu’en tout état de cause, la section permanente, disposant de l’ensemble des attributions dévolues au Conseil supérieur, pouvait valablement délibérer sur le projet de décret ; que dans le régime mis en place par le législateur, l’interdiction de fumer est la règle et la possibilité de fumer l’exception ; qu’en habilitant le pouvoir réglementaire à déterminer les conditions d’application du premier alinéa de l’article L. 3511‑7 du code de la santé publique, le législateur a laissé au pouvoir réglementaire une marge d’appréciation pour la détermination des conditions dans lesquelles pourraient être aménagés des emplacements réservés aux fumeurs, sans que ceux‑ci puissent se prévaloir d’un droit de disposer de tels emplacements ; qu’en excluant les établissements d’enseignement des lieux dans lesquels peuvent être aménagés des emplacements réservés aux fumeurs, le pouvoir réglementaire n’a pas édicté une interdiction générale et absolue de fumer dans tous les lieux à usage collectif, mais une interdiction particulière justifiée par l’objectif de protection de la santé publique, en particulier des jeunes, poursuivi par la loi et qui s’applique, d’ailleurs, non seulement aux établissements scolaires mais aussi à l’ensemble des établissements accueillant des mineurs ; que, dans le strict cadre de l’établissement scolaire, l’enseignant constitue une figure de référence propre à influer sur le comportement des élèves et la restriction de la possibilité de fumer sur son lieu de travail s’avère nécessaire à l’exigence de santé publique qu’est la protection des mineurs contre le tabagisme ; que la mesure est donc proportionnée à l’objectif de protection poursuivi ; que le moyen tiré de la méconnaissance des règles statutaires ne peut qu’être écarté, faute pour la requérante de préciser les règles en cause ; qu’on peut douter que la protection accordée par la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et son premier protocole additionnel s’étende à l’usage que chaque consommateur européen souhaite faire de son paquet de cigarettes et conduise à la reconnaissance d’un droit de fumer dans des lieux publics ; qu’en tout état de cause, le décret contesté ne prive pas la requérante de son bien mais apporte seulement des restrictions limitées à son droit d’usage ; que l’atteinte ainsi portée, qui repose sur des critères objectifs en rapport avec l’objet de la loi et revêt un caractère proportionné, n’est pas discriminatoire ; que la requérante n’est pas dans la même situation que celle d’autres salariés ne travaillant pas dans des lieux où se trouvent également des mineurs ;
  • Vu 2°), sous le n° 300500, la requête, enregistrée le 11 janvier 2007 au secrétariat du contentieux du Conseil d’État, présentée pour la Confédération des chambres syndicales départementales des débitants de tabac de France ; la Confédération des chambres syndicales éepartementales des débitants de tabac de France demande au Conseil d’État :
    1. d’annuler pour excès de pouvoir l’article 1er du décret du 15 novembre 2006, ainsi que son article 5 relatif aux dates d’entrée en vigueur ;
    2. de mettre à la charge de l’État le versement d’une somme de 10 000 euros en application des dispositions de l’article L. 761‑1 du code de justice administrative ;
    elle soutient qu’en définissant les emplacements réservés aux fumeurs uniquement comme des locaux isolés, fermés et couverts, l’article R. 3511‑3 du code de la santé publique, dans sa rédaction issue du décret attaqué, a dénaturé la portée de la loi et empiété sur la compétence du législateur ; qu’en fixant des normes impossibles à mettre en œuvre en pratique, cet article pose, de fait, une interdiction générale et absolue de fumer dans les lieux affectés à un usage collectif, alors qu’une telle interdiction supposait une intervention législative ; que, ce faisant, il méconnaît les dispositions de l’article L. 3511‑7 du code de la santé publique ainsi que le principe selon lequel une mesure de police administrative ne saurait instituer une interdiction générale et absolue ; qu’il porte une atteinte disproportionnée au principe de la liberté d’entreprendre et aux libertés individuelles ; que les conditions qu’il prévoit sont entachées d’une erreur manifeste d’appréciation ; que les dates d’entrée en vigueur énoncées à l’article 5 du décret attaqué n’offrent manifestement pas un délai suffisant aux personnes et établissements concernés pour mettre en place les dispositifs envisagés ;
    • Vu le décret attaqué ;
    • Vu le mémoire en défense, enregistré le 6 février 2007, présenté par le ministre de la santé et des solidarités, qui conclut au rejet de la requête ; il soutient que dans le régime mis en place par le législateur, l’interdiction de fumer est la règle et la possibilité de fumer l’exception ; qu’en habilitant le pouvoir réglementaire à déterminer les conditions d’application du premier alinéa de l’article L. 3511‑7 du code de la santé publique, le législateur a laissé au pouvoir réglementaire une marge d’appréciation pour la détermination des conditions dans lesquelles pourraient être aménagés des emplacements réservés aux fumeurs, sans que ceux‑ci puissent se prévaloir d’un droit de disposer de tels emplacements ; que le législateur n’ayant pas lui‑même défini avec précision la notion d’emplacement réservé à laquelle il se référait, figure au nombre des conditions d’application de l’article L. 3511‑7 la possibilité, pour le pouvoir réglementaire, d’imposer que ces emplacements réservés soient des locaux isolés et clos ; que les normes relatives à ces emplacements prévues à l’article R. 3511‑3 du code de la santé publique, dans sa rédaction issue du décret attaqué, ont été élaborées en vue de garantir efficacement la protection de la santé publique en prévenant les risques liés au tabagisme passif ; que ces normes ne rendent pas impossible la réalisation d’emplacements pour fumeurs dans les lieux à usage collectif ; que les moyens tirés de l’incompétence du pouvoir réglementaire et de la méconnaissance des dispositions de l’article L. 3511‑7 du code de la santé publique doivent donc être écartés ; que le principe de l’interdiction de fumer dans les lieux à usage collectif étant posé par la loi et les dérogations à cette interdiction étant possibles et effectives, le moyen tiré de la violation du principe selon lequel une mesure de police administrative ne saurait instituer une interdiction générale et absolue ne peut être accueilli ; que le pouvoir réglementaire, ayant agi dans les limites fixées par l’habilitation législative et pris des mesures justifiées par l’impératif de protection de santé publique, n’a pas porté une atteinte excessive à la liberté d’entreprendre et aux libertés individuelles ; que le décret attaqué n’est pas entaché d’une erreur manifeste d’appréciation dès lors que les mesures prises sont nécessaires, adaptées à l’objectif de santé publique de protection des non fumeurs et réalisables ; que le délai laissé aux professionnels pour mettre en application les nouvelles dispositions est suffisant ;
  • Vu 3°), sous le n° 300680, la requête, enregistrée le 16 janvier 2007 au secrétariat du contentieux du Conseil d’État, présentée pour l’Association « Collectif des amoureux de l’art de vivre » ; l’Association « Collectif des amoureux de l’art de vivre » demande au Conseil d’État :
    1. d’annuler pour excès de pouvoir le même décret du 15 novembre 2006 ;
    2. de mettre à la charge de l’État le versement d’une somme de 2 000 euros en application des dispositions de l’article L. 761‑1 du code de justice administrative ;
    elle soutient que l’absence des contreseings des ministres de l’intérieur et de la défense entache d’irrégularité le décret attaqué ; qu’en étendant les lieux dans lesquels il est interdit de fumer au‑delà des cas prévus par la loi et en fixant des normes drastiques, le pouvoir réglementaire a dénaturé l’intention du législateur ; qu’il ne pouvait, à lui seul, sans altérer la portée de la loi, ni généraliser le principe de prohibition, ni rendre la dérogation de l’interdiction de fumer dans les lieux publics si restrictive ; que le régime nouveau institué par le décret attaqué, qui n’a prévu aucune dérogation, porte atteinte à l’exercice des libertés fondamentales d’association et de réunion garanties notamment par la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; que le dispositif ainsi instauré, en stigmatisant les personnes souhaitant fumer, porte atteinte à leur dignité ; qu’il méconnaît le principe d’égalité ; qu’en ne prévoyant pas des mesures transitoires suffisantes pour l’application de l’interdiction de fumer dans les bars‑tabacs, restaurants et cafés de campagne, le décret attaqué a méconnu le principe de sécurité juridique ; qu’en instaurant de nouvelles sanctions pénales, sans y être habilité par la loi, le pouvoir réglementaire a méconnu l’article 8 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen et les règles constitutionnelles de répartition des compétences entre la loi et le règlement ; que les contraventions qu’il a fixées ne sont pas définies avec suffisamment de précision ;
    • Vu le décret attaqué ;
    • Vu 4°) à 6°), sous les n°s 300681, 300682 et 300683, les requêtes, enregistrées le 16 janvier 2007 au secrétariat du contentieux du Conseil d’État, présentées pour l’Association « Touche pas à mon clope », pour l’Association « Confrérie Jean Nicot », et pour l’Association « Confrérie des maitres pipiers de Saint‑Claude », qui tendent aux mêmes fins que la requête n° 300680 et invoquent les mêmes moyens ;
  • Vu, sous les n°s 300680 à 300683, le mémoire en défense, enregistré le 6 février 2007, présenté par le ministre de la santé et des solidarités, qui conclut au rejet des requêtes ; il soutient que le défaut de contreseing des ministres de l’intérieur et de la défense, qui ne sont en l’espèce appelés à prendre aucune mesure d’application du décret attaqué, n’est pas de nature à entacher d’irrégularité ce décret ; que dans le régime mis en place par le législateur, l’interdiction de fumer est la règle et la possibilité de fumer l’exception ; qu’en habilitant le pouvoir réglementaire à déterminer les conditions d’application du premier alinéa de l’article L. 3511‑7 du code de la santé publique, le législateur a laissé au pouvoir réglementaire une marge d’appréciation pour la détermination des conditions dans lesquelles pourraient être aménagés des emplacements réservés aux fumeurs, sans que ceux‑ci puissent se prévaloir d’un droit de disposer de tels emplacements ; que les normes relatives à ces emplacements prévues à l’article R. 3511‑3 du code de la santé publique, dans sa rédaction issue du décret attaqué, ont été élaborées en vue de garantir efficacement la protection de la santé publique en prévenant les risques liés au tabagisme passif ; que ces normes ne rendent pas impossible la réalisation d’emplacements pour fumeurs dans les lieux à usage collectif ; que le moyen tiré du défaut d’habilitation législative doit donc être écarté ; que le décret attaqué ne saurait être regardé comme portant atteinte à la liberté de réunion et d’association dès lors qu’il n’entend nullement régir le statut des associations ou affecter la liberté d’association et n’interdit pas la tenue de réunions ; que le principe du respect de la dignité de la personne humaine apparaît sans rapport avec les dispositions adoptées par le pouvoir réglementaire ; que les règles édictées par le décret attaqué étant les mêmes pour tous les établissements susceptibles de recevoir du public, le moyen tiré de la rupture d’égalité entre ces établissements doit être écarté ; que le report de l’entrée en vigueur apparaît d’une durée suffisante pour permettre l’adaptation des établissements recevant de la clientèle aux nouvelles règles instituées par le décret attaqué, dans le respect du principe de sécurité juridique ; que les contraventions relèvent du domaine réglementaire ; que le terme « favoriser » et ses notions voisines, qui permettent de sanctionner des comportements d’incitation à commettre d’autres infractions, de façon positive et intentionnelle, sont couramment employées en droit pénal et renvoient à des comportements précis ; que la notion de « responsable des lieux » est déjà utilisée dans le décret actuel pour désigner la personne qui doit décider de la création d’un emplacement réservé aux fumeurs et renvoie à une personne clairement identifiée au regard des responsabilités en matière d’hygiène et de sécurité ;
  • Vu, sous les n°s 300680 à 300683, les mémoires en réplique, enregistrés le 26 février 2007, présentés pour les associations requérantes qui reprennent les conclusions de leurs requêtes et les mêmes moyens ; elles soutiennent en outre que, selon un rapport officiel qu’elles produisent, le risque résultant du tabagisme passif n’est significatif ni sur les lieux de travail, ni dans les établissements de restauration et assimilés ;
  • Vu 7°), sous le n° 300898, la requête, enregistrée le 23 janvier 2007 au secrétariat du contentieux du Conseil d’État, présentée par M. F Y ; M. Y demande au Conseil d’État d’annuler pour excès de pouvoir le même décret du 15 novembre 2006, ensemble les circulaires ministérielles qui s’appuient sur ce décret ;
    il soutient qu’en supprimant de fait un vaste ensemble d’emplacements mis à la disposition des fumeurs, le décret attaqué porte atteinte à la liberté des fumeurs et des non-fumeurs n’ayant pas d’objection au tabagisme passif et méconnaît ainsi l’article 4 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen ; qu’il décourage le recrutement de salariés fumeurs ; qu’en n’imposant pas à la personne ou à l’organisme responsable des lieux de s’équiper de salles réservés aux fumeurs, il crée une discrimination incompatible avec les stipulations de l’article 21 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ; qu’en subordonnant la mise en place d’emplacements réservés aux fumeurs à des normes restrictives nécessitant des investissements importants et en ne mentionnant pas le caractère obligatoire de l’installation de tels emplacements, le pouvoir réglementaire a excédé le champ de l’habilitation ouverte par l’article L. 3511-7 du code de la santé publique ;
    • Vu le décret attaqué ;
    • Vu le mémoire en défense, enregistré le 6 février 2007, présenté par le ministre de la santé et des solidarités, qui conclut au rejet de la requête ; il soutient que la requête de M. Y est irrecevable pour cause de forclusion et qu’au demeurant, celui‑ci n’indique pas la qualité en laquelle il agit ; que le décret ne crée pas les conditions favorisant le recrutement de personnes qui ne fument pas ; que le décret attaqué se bornant à organiser les conditions de mise en œuvre de l’interdiction posée par l’article L. 3511‑7 du code de la santé publique, le moyen tiré de la méconnaissance de l’article 4 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ne peut être accueilli ; que le requérant ne saurait utilement se prévaloir de l’article 21 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ; que dans le régime mis en place par le législateur, l’interdiction de fumer est la règle et la possibilité de fumer l’exception ; qu’en habilitant le pouvoir réglementaire à déterminer les conditions d’application du premier alinéa de l’article L. 3511‑7 du code de la santé publique, le législateur a laissé au pouvoir réglementaire une marge d’appréciation pour la détermination des conditions dans lesquelles pourraient être aménagés des emplacements réservés aux fumeurs, sans que ceux‑ci puissent se prévaloir d’un droit de disposer de tels emplacements ; que les normes relatives à ces emplacements prévues à l’article R. 3511‑3 du code de la santé publique, dans sa rédaction issue du décret attaqué, ont été élaborées en vue de garantir efficacement la protection de la santé publique en prévenant les risques liés au tabagisme passif ; que ces normes ne rendent pas impossible la réalisation d’emplacements pour fumeurs dans les lieux à usage collectif ; que le moyen tiré du défaut d’habilitation législative doit donc être écarté ;
  • Vu les interventions, enregistrées le 28 février 2007, présentées respectivement pour l’association « Confrérie des fumeurs de pipe du Périgord », pour l’association « Pipe Club de Lanester », et pour l’association « Pipe Club de France » ; ces associations demandent que le Conseil d’État fasse droit aux conclusions des requêtes n°s 300680, 300681, 300682 et 300683, par les même moyens que ceux exposés dans ces requêtes ;

Motifs

Considérant que les requêtes de Mme X, de la Confédération des chambres syndicales départementales des débitants de tabac de France, de l’Association « Collectif des amoureux de l’art de vivre », de l’Association « Touche pas à mon clope », de l’association « Confrérie Jean Nicot », de l’Association « Confrérie des maitres pipiers de Saint‑Claude » et de M. Y. sont dirigées contre le même décret du 15 novembre 2006 fixant les conditions d’application de l’interdiction de fumer dans les lieux affectés à un usage collectif, prévue à l’article L. 3511‑7 du code de la santé publique ; qu’il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;

En ce qui concerne les interventions de l’association « Confrérie des fumeurs de pipe du Périgord », de l’association « Pipe Club de Lanester » et de l’association « Pipe Club de France »

Considérant que ces associations ont intérêt à l’annulation du décret attaqué ; que leurs interventions sont, par suite, recevables ;

En ce qui concerne la requête de M. Y

Considérant que le décret attaqué a été publié au Journal officiel de la République française le 16 novembre 2006 ; que, par suite, les conclusions présentées par M. Y à l’encontre de ce décret, enregistrées au secrétariat du contentieux du Conseil d’État le 23 janvier 2007, soit après l’expiration du délai de deux mois prévu par l’article R. 4211‑1 du code de justice administrative, sont tardives et donc irrecevables ; que, dans ces conditions, ses conclusions dirigées contre les circulaires prises pour l’application de ce décret, dont l’annulation est demandée par voie de conséquence de l’annulation du décret attaqué, doivent être rejetées ;

En ce qui concerne les autres requêtes

Sur la fin de non-recevoir opposée par le ministre de la santé et des solidarités à la requête de Mme X

Considérant que les conclusions présentées à l’encontre du décret attaqué par Mme X, en sa qualité d’enseignante, doivent être regardées comme dirigées contre ce décret en tant qu’il modifie l’article R. 3511‑2 du code de la santé publique pour y introduire un second alinéa interdisant l’aménagement d’emplacements réservés aux fumeurs dans les établissements d’enseignement ; qu’en sa qualité de professeur certifié ayant vocation à enseigner dans les établissements de l’enseignement secondaire, l’intéressée n’est recevable à contester la légalité de cette disposition qu’en tant qu’elle s’applique à cette catégorie d’établissements d’enseignement ;

Sur la consultation du Conseil d’État

Considérant qu’il ressort des pièces versées au dossier par le ministre de la santé et des solidarités que les dispositions du décret attaqué ne diffèrent de celles figurant dans le projet du gouvernement ou de celles adoptées par le Conseil d’État que par l’adjonction, à l’article 7, de mentions complémentaires à la liste des ministres chargés de l’exécution du décret ; qu’une telle adjonction est sans incidence sur la légalité du décret ;

Sur la consultation du Conseil supérieur de l’éducation

Considérant qu’aux termes du premier alinéa de l’article L. 231‑1 du code de l’éducation : « Le Conseil supérieur de l’éducation est obligatoirement consulté et peut donner son avis sur toutes les questions d’intérêt national concernant l’enseignement ou l’éducation quel que soit le département ministériel intéressé » ; que l’article L. 231‑2 du même code précise que le Conseil supérieur de l’éducation comprend une section permanente ; qu’en vertu des dispositions de l’article R. 2311‑4 de ce code, la section permanente exerce, en dehors des sessions plénières, l’ensemble des attributions dévolues au Conseil ;

Considérant que la réglementation de santé publique prévue par le décret attaqué, qui s’applique à tous les lieux affectés à un usage collectif, n’est pas au nombre des questions pour lesquelles la consultation du Conseil supérieur de l’éducation est obligatoire ; que, toutefois, alors même qu’il n’y était pas tenu, le ministre chargé de l’éducation a consulté cet organisme ; que, contrairement à ce que soutient Mme X, l’avis de celui‑ci a pu, en tout état de cause, être régulièrement émis par sa section permanente le 19 octobre 2006 dès lors qu’il ne ressort pas des pièces du dossier qu’à cette date, le Conseil siégeait en session plénière ;

Sur les contreseings

Considérant que l’article 22 de la Constitution dispose que les décrets du Premier ministre sont signés par les ministres chargés de leur exécution ; que l’exécution du décret litigieux ne comporte nécessairement l’intervention d’aucune mesure individuelle ou réglementaire que le ministre de l’intérieur et le ministre de la défense auraient compétence pour signer ou contresigner ; que le moyen tiré de ce que ces ministres auraient dû contresigner le décret attaqué doit, par suite, être écarté ;

Sur l’article 1er du décret attaqué en tant qu’il modifie les articles R. 3511‑2 et R. 3511‑3 du code de la santé publique

Considérant, d’une part, qu’aux termes de l’article L. 3511‑7 du code de la santé publique : « Il est interdit de fumer dans les lieux affectés à un usage collectif, notamment scolaire, et dans les moyens de transport collectif, sauf dans les emplacements expressément réservés aux fumeurs./ Un décret en Conseil d’État fixe les conditions d’application de l’alinéa précédent » ;

Considérant, d’autre part, que l’article R. 3511‑2 du code de la santé publique, dans sa rédaction issue du décret attaqué, dispose que : « L’interdiction de fumer ne s’applique pas dans les emplacements mis à la disposition des fumeurs (…) et créés, le cas échéant, par la personne ou l’organisme responsable des lieux./ Ces emplacements ne peuvent être aménagés au sein des établissements d’enseignement publics et privés, des centres de formation des apprentis, des établissements destinés à ou régulièrement utilisés pour l’accueil, la formation, l’hébergement ou la pratique sportive des mineurs et des établissements de santé. » ; que l’article R. 3511‑3, dans sa rédaction issue du même décret, définit les emplacements réservés comme des salles closes, affectées à la consommation de tabac et dans lesquelles aucune prestation de service n’est délivrée, et y interdit l’exécution de tâche d’entretien et de maintenance sans que l’air ait été renouvelé, en l’absence de tout occupant, pendant au moins une heure ; qu’il leur impose également le respect de normes techniques, dont l’équipement d’un dispositif d’extraction d’air par ventilation mécanique permettant un renouvellement d’air minimal de dix fois le volume de l’emplacement par heure et qui soit entièrement indépendant du système de ventilation ou de climatisation d’air du bâtiment, ainsi qu’une superficie au plus égale à 20 % de la superficie totale de l’établissement au sein duquel les emplacements sont aménagés, sans que la superficie d’un emplacement puisse dépasser 35 mètre carrés ;

Considérant, en premier lieu, qu’en donnant compétence au législateur pour fixer « les règles concernant (…) les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques », l’article 34 de la Constitution n’a pas retiré au chef du gouvernement les attributions de police générale qu’il exerçait antérieurement ; qu’il appartient dès lors au Premier ministre, en vertu des articles 21 et 37 de la Constitution, de prendre les mesures de police applicables à l’ensemble du territoire et justifiées par les nécessités de l’ordre public, au nombre desquelles figurent les impératifs de santé publique ; que, lorsque le législateur est intervenu dans ce domaine, il incombe au Premier ministre d’exercer son pouvoir de police générale sans méconnaître la loi ni en altérer la portée ;

Considérant qu’en vue de protéger la santé publique, les dispositions citées plus haut de l’article L. 3511‑7 du code de la santé publique ont posé le principe d’une interdiction générale de fumer dans les lieux affectés à un usage collectif, sauf dans les emplacements réservés aux fumeurs ; que, dans le cadre ainsi fixé par le législateur, il appartient au pouvoir réglementaire de prendre les dispositions permettant d’assurer cette protection et si nécessaire de les adapter, notamment au vu des données épidémiologiques dont il dispose quant à la gravité des risques auxquels le tabagisme expose les personnes qui fréquentent les lieux affectés à un usage collectif ; que, dès lors que la loi n’a pas imposé que soit dans tous les cas laissée aux fumeurs la possibilité de disposer d’emplacements réservés, mais qu’elle a seulement permis, le cas échéant, la création de tels emplacements, il appartient au Premier ministre d’en interdire l’aménagement dans certains de ces lieux, dès lors que cette interdiction est justifiée par la protection de la santé publique et est proportionnée à l’objectif poursuivi ;

Considérant qu’en édictant une telle interdiction dans les collèges et lycées, le décret attaqué a entendu assurer une protection particulière des jeunes contre le risque tabagique, dans des conditions de nature à en renforcer l’efficacité ; qu’en procédant ainsi et en imposant à cet effet des sujétions particulières aux enseignants et personnels des établissements concernés afin de tenir compte de la spécificité du lieu d’exercice de leurs fonctions, il n’a ni porté une atteinte illégale aux droits des personnes concernées, ni méconnu le principe d’égalité ; que, contrairement à ce que prétend Mme X, il ne saurait être sérieusement soutenu que la mesure litigieuse, en lui interdisant de consommer les cigarettes en sa possession sur son lieu de travail, mettrait en cause son droit à disposer de ses biens au sens de l’article premier du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; qu’enfin, le moyen tiré de la méconnaissance de ses droits statutaires n’est pas assorti des précisions permettant d’en apprécier la portée ;

Considérant, en deuxième lieu, qu’en définissant les emplacements réservés aux fumeurs comme des « salles closes » et en excluant ainsi qu’ils puissent être des espaces ouverts, le décret attaqué n’a pas méconnu l’article L. 3511‑7 du code de la santé publique et n’en a pas non plus altéré la portée ; qu’il n’en a pas davantage méconnu les termes ni altéré la portée en édictant à l’article R. 3511‑3 des normes techniques d’installation et de fonctionnement de ces emplacements en vue de limiter les risques de diffusion de la fumée et des particules du tabac, dès lors qu’il ne ressort pas des pièces du dossier que ces normes seraient disproportionnées au regard de l’objectif de protection de la santé publique ainsi poursuivi, ni que, par l’impossibilité de les appliquer, elles reviendraient, en pratique, à poser une interdiction générale et absolue de fumer dans tous les lieux affectés à un usage collectif ; qu’il résulte de ce qui précède que les dispositions litigieuses ne portent pas une atteinte illégale aux libertés dont se prévalent les requérants ; qu’il ne saurait être sérieusement soutenu qu’elles porteraient atteinte à la dignité des fumeurs ;

Considérant, en troisième lieu, que si, en règle générale, le principe d’égalité impose de traiter de la même façon des personnes qui se trouvent dans la même situation, il n’en résulte pas pour autant qu’il oblige à traiter différemment des personnes se trouvant dans des situations différentes ; qu’ainsi, le décret attaqué pouvait, sans porter atteinte au principe d’égalité, fixer des règles uniformes pour la mise en place d’emplacements réservés aux fumeurs et, en particulier, ne pas opérer de distinction selon la taille ou la situation économique des établissements concernés ;

Considérant, enfin, qu’en interdisant l’aménagement d’emplacements réservés dans certains lieux limitativement énumérés et en prévoyant parallèlement des normes techniques d’installation et de fonctionnement contraignantes pour ces emplacements lorsqu’ils sont autorisés, le pouvoir réglementaire n’a pas altéré ni dénaturé la portée de la loi ; qu’il ne saurait être sérieusement soutenu que les dispositions litigieuses, qui ne privent pas les associations ayant un objet en lien avec le tabac de leur droit de réunir leurs membres, porteraient atteinte aux libertés d’association et de réunion, garanties par l’article 11 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

Sur les articles 2 et 4 du décret attaqué

Considérant que si l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, à laquelle se réfère le préambule de la Constitution, énonce le principe selon lequel « Nul ne peut être puni qu’en vertu d’une loi établie et promulguée antérieurement au délit », l’article 34 de la Constitution ne réserve à la loi que la fixation des «  règles concernant (…) la détermination des crimes et délits ainsi que les peines qui leur sont applicables » ; qu’il ne mentionne pas, en revanche, les règles concernant la détermination des infractions punies de peines contraventionnelles ; que, par suite, en application de l’article 37 de la Constitution, la matière des contraventions relève en principe du domaine réglementaire ; qu’ainsi, si le principe de légalité des délits et des peines implique que les infractions et les peines soient prévues et énumérées par un texte, ce dernier, contrairement à ce que soutiennent les requérants, n’a pas, dans tous les cas, à être une loi ; qu’il appartient toutefois au pouvoir réglementaire, lorsqu’il est compétent pour définir les infractions pénales, de le faire en termes suffisamment clairs et précis pour exclure l’arbitraire ;

Considérant, en premier lieu, qu’il résulte de ce qui précède que, dès lors que seules des contraventions sont prévues, le pouvoir réglementaire était compétent pour, à l’article 2 du décret attaqué, modifier les articles R. 35122‑1 et R. 3512‑2 du code de la santé publique afin de définir les peines auxquelles peuvent s’exposer les fumeurs et les responsables des lieux dans lesquels s’applique l’interdiction de fumer énoncée à l’article L. 3511‑7 de ce code ; qu’en complétant la liste de l’article R. 488‑1 du code de procédure pénale pour rendre applicable à certaines de ces contraventions la procédure de l’amende forfaitaire définie à l’article 529 du même code, l’article 4 du décret attaqué n’a pas davantage empiété sur le domaine réservé à la loi ;

Considérant, en second lieu, que les termes de l’article R. 3512‑2 du code de la santé publique, dans sa rédaction issue du décret attaqué, ne sont ni obscurs ni ambigus ; qu’en particulier la mention, parmi les personnes susceptibles d’être poursuivies, du « responsable des lieux », désigne la personne qui, en raison de sa qualité ou de la délégation de pouvoir dont elle dispose, notamment en matière d’hygiène et de sécurité, a l’autorité et les moyens nécessaires pour assurer l’application des dispositions du décret attaqué ; que, de même, en prévoyant qu’est puni d’une amende le fait, pour un responsable des lieux, de « favoriser, sciemment, par quelque moyen que ce soit, » la violation de l’interdiction de fumer, le décret vise les comportements ayant pour objet d’inciter les usagers des lieux à fumer en toute illégalité ;

Sur l’article 5 du décret attaqué

Considérant que l’exercice du pouvoir réglementaire implique pour son détenteur la possibilité de modifier à tout moment les normes qu’il définit sans que les personnes auxquelles sont, le cas échéant, imposées de nouvelles contraintes puissent invoquer un droit au maintien de la réglementation existante ; qu’en principe, les nouvelles normes ainsi édictées ont vocation à s’appliquer immédiatement, dans le respect des exigences attachées au principe de non-rétroactivité des actes administratifs ; que, toutefois, il incombe à l’autorité investie du pouvoir réglementaire, agissant dans les limites de sa compétence et dans le respect des règles qui s’imposent à elle, d’édicter, pour des motifs de sécurité juridique, les mesures transitoires qu’implique, s’il y a lieu, cette réglementation nouvelle ; qu’il en va ainsi lorsque l’application immédiate de celle‑ci entraîne, au regard de l’objet et des effets de ses dispositions, une atteinte excessive aux intérêts publics ou privés en cause ;

Considérant qu’en l’espèce, en fixant au 1er février 2007 son entrée en vigueur, sauf pour les débits permanents de boissons à consommer sur place, casinos, cercles de jeu, débits de tabac, discothèques, hôtels et restaurants, pour lesquels l’entrée en vigueur est différée au 1er janvier 2008, le décret attaqué a entendu assurer une application rapide de dispositions justifiées par des impératifs de santé publique mais aussi tenir compte de la nécessité, pour les établissements concernés, de disposer de délais pour s’adapter à la nouvelle réglementation ; que les dates d’entrée en vigueur retenues ne sont entachées ni d’une erreur manifeste d’appréciation ni d’une méconnaissance du principe de sécurité juridique ;

Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que les requérants ne sont pas fondés à demander l’annulation du décret du 15 novembre 2006 fixant les conditions d’application de l’interdiction de fumer dans les lieux affectés à un usage collectif ; que, par suite, leurs conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées ;

D E C I D E

Article 1er : Les interventions de l’association « Confrérie des fumeurs de pipe du Périgord », de l’association « Pipe Club de Lanester » et de l’association « Pipe Club de France » sont admises.

Article 2 : Les requêtes de Mme X, de la Confédération des chambres syndicales departementales des débitants de tabac de France, de l’Association « Collectif des amoureux de l’art de vivre », de l’Association « Touche pas à mon clope », de l’Association « Confrerie Jean Nicot », de l’Association « Confrérie des maitres pipiers de Saint‑Claude » et de M. Y. sont rejetées.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à Mme A X, à la Confédération des chambres syndicales départementales des débitants de tabac de France, à l’Association « Collectif des amoureux de l’art de vivre », à l’Association « Touche pas à mon clope », à l’Association « Confrérie Jean Nicot », à l’Association « Confrérie des maitres pipiers de Saint‑Claude », à M. F, à l’Association « Confrérie des fumeurs de pipe du Périgord », à l’association « Pipe Club de Lanester », à l’Association « Pipe Club de France », au Premier ministre et au ministre de la santé et des solidarités.


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